mardi 9 décembre 2014

[obs.] La stabilité du contrôle européen de l’arrestation et de la détention des suspects d’actes de piraterie ou de transport de stupéfiants en mer réalisées par les forces militaires nationales en dehors du territoire (remarques sur les arrêts Ali Samatar et Hasan)


1. Bref retour sur les différentes affaires.  Pour la troisième[1] – affaire du Ponant - et la quatrième fois[2] – affaire du Carré d’As -, dans deux arrêts rendus le même jour, après les arrêts Medvedyev[3] - affaire du Winner - et Vassis[4] - affaire du Junior - qui avaient été remarqués, notamment – surtout ? - quant au rejet de considérer le magistrat du parquet français comme une « autorité judiciaire » au sens de la Convention européenne des droits de l’Homme, la Cour européenne de Strasbourg s’est donc prononcée sur la conventionnalité de l’arrestation et de la détention des suspects d’actes de piraterie ou de transport de stupéfiants en mer par les forces militaires françaises en dehors du territoire national. D’abord, le contrôle européen porte sur la légalité de la privation de liberté des suspects – arrestation et détention -, exigence ressortant de l’article 5 § 1er([5]), impliquant que la privation de liberté repose sur une base légale prévisible et précise, concernant des pratiques résultant de la coopération internationale des États et visant à lutter contre la grave criminalité. Ensuite le contrôle porte sur le respect de l’Habeas corpus, prévu par l’article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui impose que la personne suspectée soit « aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », concernant des cas où, nécessairement, le moment de la présentation du suspect devant le juge se trouve fortement décalée du moment de l’arrestation, du fait de l’éloignement géographique séparant les deux lieux. Sans grande surprise, les deux derniers arrêts Ali Samatar et Hasan n’apparaissent pas novateurs, reprenant en grande partie les principes développés antérieurement par la jurisprudence européenne : celle-ci apparaît pour l’essentiel stabilisée, qu’il s’agisse de l’analyse rigoureuse de l’existence d’une base légale prévisible et précise à la privation de liberté (n° 2), qu’il s’agisse du maintien d’une marge d’appréciation dans le contrôle de la célérité de l’acheminement des suspects sur le territoire (n° 3), qu’il s’agisse du refus d’imposer un contrôle en temps réel par l’autorité judiciaire de la détention des suspects (n° 4), qu’il s’agisse de la reconnaissance de l’aptitude du juge d’instruction français à l’exercice de l’Habeas corpus (n° 5), ou qu’il s’agisse enfin du rejet de la validité du placement en garde à vue des suspects à leur débarquement sur le territoire national (n° 6).

lundi 17 novembre 2014

[obs.] La perpétuité réelle française sous l’examen européen : certitudes et incertitudes du contrôle européen de la peine perpétuelle [à propos de l’arrêt Bodein]



1. La distinction entre la peine perpétuelle répressive et la peine perpétuelle sécable. Alors que la Cour européenne des droits de l’Homme a posé un arrêt de principe quant à son contrôle de la peine perpétuelle sur le fondement de l’article 3 en juillet 2013 [CEDH, gde ch., 9 juil. 2013, Vinter et autres c. Royaume-Uni, req. nos 66069/09, 130/10 et 3896/10 : Rec. CEDH, 2013 ; D., actu., 12 juil. 2013, obs. M. Léna ; ibid., 2013, p. 2081, note J.‑F. Renucci ; ibid., p.  2713, chron. G. Roujou de Boubée ; ibid., 2014, p. 1235, chron. J.-P. Cere ; RFDA, 2014, p. 538, chron. L. Labayle ; AJP, 2013, p. 494, obs. D. van Zyl Smit ; RSC, 2013, p. 625, chron. P. Poncela ; ibid., p. 649, obs. D. Roets ; Dr. pénal, 2013, comm. n° 165, obs. É. Bonis-Garçon ; ibid., 2014, chron. n° 3, obs. V. Peltier ; ibid., chron. n° 4, chron. E. Dreyer ; JCP, 2014, n° 970, obs. L. Milano ; ibid., 2013, 918, obs. F. Sudre : la Cour s’est prononcée dans cette affaire sur une condamnation à la peine perpétuelle obligatoire en droit interne, prévue en cas d’assassinat, s’agissant d’une peine créée à la suite de l’abrogation de la peine de mort, concernant laquelle le juge avait étendu à la totalité de son exécution le mécanisme empêchant l’accès du condamné à la libération conditionnelle], la Cour européenne des droits de l’Homme a déjà eu à quatre reprises l’occasion d’en préciser les apports, une fois quant au droit turque [CEDH, sect. II, 18 mars 2014, Ocalan c. Turquie (n° 2), req. nos 24069/03, 197/04 et 6201/06 :  D., 2014, p. 1235, chron. J.-P . Cere : le requérant avait été condamné initialement à la peine de mort, commuée, à la suite de l’abrogation de cette dernière, en une peine perpétuelle aggravée, empêchant l’octroi de la libération conditionnelle], une fois quant au droit hongrois [CEDH, sect. II, 20 mai 2014, Laszlo Magyar c. Hongrie, req. n° 73593/10, en angl. : le requérant avait été condamné à la perpétuité sans possibilité d’obtenir une libération conditionnelle, du fait de sa qualité de récidiviste], une fois quant au droit bulgare [CEDH, sect. IV, 8 juil. 2014, Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, req. nos 15018/11 et 61199/12, en angl. ; v. notre chron., n° 54 : le requérant avait été condamné à une modalité spéciale de la peine perpétuelle, l’empêchant de bénéficier de la libération conditionnelle, sauf à en obtenir la commutation en une peine perpétuelle de droit commun, la peine dérogatoire ayant servi au remplacement de la peine de mort] et une fois quant au droit français [CEDH, sect. V, 13 nov. 2014, Bodein c. France, req. n° 40014/10 : la Cour s’est prononcée sur la perpétuité réelle du droit français, issue de l’extension de la période de sûreté à la totalité de la peine, empêchant, sauf relèvement, le bénéfice des principaux aménagements de peine, dont la libération conditionnelle]. À chaque fois, c’est une modalité dérogatoire de la peine perpétuelle qui était soumise au contrôle de la Cour européenne des droits de l’Homme sur le fondement de l’article 3, celle-ci se substituant à la peine de mort, au plus près ou plus loin de son abrogation, et se justifiant par la gravité des infractions commises. La sévérité de la répression se caractérise par l’exclusion de principe, durant la totalité de la peine, de l’obtention des mesures d’aménagement de peine, la principale restant la libération conditionnelle, à la différence des modalités moins sévères de peine perpétuelle, empêchant uniquement l’obtention des mesures d’aménagement de peine de droit commun durant un temps d’épreuve. Le panorama issu de ces cinq arrêts montre la récurrence dans les États du Conseil de l’Europe [au moins, donc, en France, en Angleterre, en Hongrie, en Bulgarie et en Turquie] de ces peines perpétuelles particulièrement sévères. Plutôt que de perpétuité réelle [expression certes couramment utilisée, mais impropre, dès lors que celle‑ci, au sens strict, celle incompressible, qui suppose d’interdire de facto et de jure toute possibilité de libération, constitue assurément un traitement inhumain et dégradant par nature ; CEDH, gde ch., 12 févr. 2008, Kafkaris c. Chypre, req. n° 21906/04 : Rec. CEDH, 2008 : RSC, 2008, p. 692, obs. D. Roets ; § 97.], c’est plus justement la notion de peine perpétuelle répressive que nous évoquerons , celle-ci étant censée conserver durant la totalité de son exécution son objectif de punition, de répression ou encore de châtiment : elle est justifiée « lorsque la gravité de l’infraction est si exceptionnellement élevée qu’un juste châtiment exige que son auteur demeure en prison pour le restant de ses jours » [v. CEDH, sect. IV, 17 janv. 2012, Vinter et autres c. Royaume-Uni, req. nos 66069/09, 130/10 et 3896/10 : JCP, 2012, doctr., n° 924, chron. F. Sudre ; D., 2012, p. 1294, chron. J.‑P. Céré ; § 103 : la Cour citait ici la motivation employée par le juge national]. L’objectif permanent de répression justifie l’exclusion de l’application de l’article 5 § 4 à la peine perpétuelle répressive [l’article dispose que « toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale »], puisque la peine « ne [repose] pas sur des éléments risquant d’évoluer avec le temps » [ibid., § 102] et que « que l’examen de la légalité de la détention du requérant, imposé par l’article 5 § 4, [est] englobé dans la condamnation prononcée par le juge et qu’aucun réexamen n’[est] donc requis [sur ce fondement] » [ibid.] : elle est soumise à la théorie du contrôle incorporé, c’est-à-dire que la décision de condamnation du Tribunal, qui assure le contrôle de la légalité de la privation de liberté, épuise tout contrôle judiciaire ultérieur. La peine perpétuelle répressive doit en revanche être distinguée de celle d’un autre type, celle sécable « en une période punitive et une période de sécurité » [ibid.] ou qui « se [constitue] d’une période punitive (pour satisfaire à l’impératif de châtiment) et du reste de la peine, lorsque le maintien en détention avait été décidé à l’aune des critères du risque et de la dangerosité » [ibid., § 103] : le constat par la Cour européenne des droits de l’Homme du terme de sa période répressive entraîne la requalification de la peine en mesure de sûreté, au-delà des distinctions internes, aboutissant à reconnaitre pour la seconde partie seulement l’application de l’article 5 § 4, afin de solliciter devant le Tribunal une libération anticipée, fondée sur la disparition du « risque » ou « de la dangerosité », c’est-à-dire des éléments « risquant d’évoluer avec le temps », pour reprendre la terminologie européenne.

vendredi 7 novembre 2014

[chr.] Chronique jurisprudentielle de droit général de la privation de liberté [15 juin 2014 - 14 juillet 2014]

Chronique jurisprudentielle de droit général de la privation de liberté
15 juin 2014 au 14 juillet 2014

Un droit de la privation de liberté. En prolongement de ma thèse, établissant un « Essai de la théorie générale des droits d'une personne privée de liberté » [2014, Nancy], cette chronique vise à présenter une partie de l’actualité juridique de la privation de liberté, concernant les éléments susceptibles d'éclairer sa théorie générale, soit qu'ils se situent directement dans son encadrement général supra-légal, l'article 66 de la Constitution ou l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'Homme principalement, soit qu'ils concernent un élément qui, sans avoir d'implication supra-légale, se retrouve répandu dans l'ensemble des cas spéciaux de la privation de liberté de la législation nationale. L'existence d'un droit de la privation de liberté peut sans doute être caractérisée, non pas seulement du fait de son objet, mais du fait d'une cohérence le structurant : la présente chronique se propose de traiter de sa partie générale dans son actualité jurisprudentielle.

jeudi 31 juillet 2014

[obs.] Un pas de plus vers la généralisation de l’Habeas corpus européen sur le fondement de l’article 5 § 4 [à propos de CEDH, sect. I, 26 juin 2014, Shcherbina c. Russie, req. n° 41970/11, en angl.]

L’arrestation la personne suspecte lui ouvre une garantie d’Habeas corpus, celle d’« être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » [art. 5 § 3 CEDH], et un droit de recours, celui « d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale » [art. 5 § 4 CEDH – le recours doit être disponible dès l’arrestation ; v. par ex. CEDH, sect. IV, 24 juin 2014, Petkov et Profirox contre Bulgarie, req.nos 50027/08 et 50781/09, en angl. ; § 67 : « the wording of Article 5 § 4 of the Convention indicates that it becomes operative immediately after arrest or detention »],  afin d’accéder rapidement au juge indépendant, pour contester son maintien en privation de liberté. L’Habeas corpus de l’article 5 § 3 profite au seul suspect, est automatique [la personne « doit » être présentée], possède une célérité exceptionnelle [« aussitôt » dans la version française de la Convention, « promptly » dans la version anglaise], mais n’impose pas une intervention judiciaire respectant les garanties du procès équitable [v. pour la définition de l’Habeas corpus de l’article 5 § 3, CEDH, gde ch., 29 mars 2010, Medvedyev et autres c. France, req. n° 3394/03 : Rec. CEDH, 2010 ; D., 2010, p. 1386, obs. S. Lavric ; ibid., p. 1390, note P. Hennion-Jacquet ; ibid., p. 1386, note J.-F. Renucci ; ibid., p. 952, entretien P. Spinosi ; ibid., p. 970, obs. D. Rebut ; AJDA, 2010, p. 648, obs. S. Brondel ; RSC, 2010, p. 685, obs. J.‑P. Marguénaud ; § 117 et s. – l’assistance d’un avocat y est par principe écartée ; v. CEDH, sect. V, 6 mars 2012, Marzohl c. Suisse, req. n° 24895/06, déc.], seulement une présentation devant « un juge un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », dont les critères principaux de qualification tiennent à son indépendance [v. pour la disqualification du magistrat du parquet français pour son défaut d’indépendance, CEDH, sect. V, 23 nov. 2010, Moulin c. France, req. n° 37104/06 : AJDA, 2011, p. 889, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D., 2011, p. 277, obs. J.-F. Renucci ; ibid., p. 338, obs. S. Lavric ; ibid., note J. Pradel ; ibid., p. 26, point de vue F. Fourment ; RSC, 2011, p. 208, note D. Roets ; Dr. pénal, 2011, comm. n° 26, obs. A. Maron et M. Haas ; Procédures, 2011, comm. n° 30, note A.‑S. Chavent‑Leclère ; Gaz. Pal., 9 déc. 2010, p. 6, note O. Bachelet ; JCP, 2010, n° 1206, obs. F. Sudre] et à son pouvoir de libération [v. Medvedyev, gde ch. : préc.]. À l’inverse, le droit de recours à bref délai, applicable à l’ensemble des cas de privation de liberté autorisés dans la liste de l’article 5 § 1er, suppose par définition l’action de la personne détenue pour l’initier, l’intervention du juge judiciaire ainsi sollicitée est d’une célérité moindre [à « bref délai » dans la version française, « speedily » dans la version anglaise], et l'intervention doit respecter les garanties du procès équitable pour que le juge reçoive la qualification de Tribunal [v. pour un ex. CEDH, gde ch., 29 mars 2001, D. N. c. Suisse, req. n° 27154/95 : Rec. CEDH, 2001-III].

samedi 26 juillet 2014

[biblio.] Rapport : Rapport de l'observatoire de l'enfermement des étrangers sur l'effectivité des recours offerts aux étrangers privés de liberté

L'Observatoire de l'enfermement des étrangers, composé de différentes organisations intéressées par l'enfermement des étrangers (dont le SM, le GISTI, le GENEPI, le SAF, la CIMADE ou l'ADDE), vient de rendre le 2 juillet 2014 un rapport intitulé "Une procédure en trompe l’oeil : les entraves à l’accès au recours effectif pour les étrangers privés de liberté en France" [86 p. ; synthèse ici].

Outre l'identification des défauts de la législation quant aux droits de recours reconnus à l'étranger privé de liberté [p. 13 et s.], le rapport éclaire aussi sur les difficultés pratiques.

Le rapport s'intéresse en particulier sur les limites à l'exercice des droits reconnus à l'étranger du fait de son placement en détention [p. 27 et s.] et sur les procédures dérogatoires, dont la grande chambre de la Cour européenne des droits de l'Homme a été saisie, pour partie, dans l'affaire Souza Ribeiro [p. 49 et s.].

vendredi 25 juillet 2014

[biblio.] Rapport : Rapport annuel d'activité 2013 du Défenseur des droits

Malgré l'existence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, le Défenseur des droits est aussi concerné par la privation de liberté, principalement du fait de ses compétences en matière de déontologie de la sécurité mais pas uniquement, ce que montre son dernier rapport d'activité.

Ainsi, le Défenseur des droits a évoqué dans celui-ci ses interventions en 2013 concernant des cas de détentions de mineurs étrangers [p. 87 et s.], des cas d'arrestations violentes [p. 99 et s.], ou encore des cas de fouilles en établissement pénitentiaire [p. 105]. 

Le rapport comprend également un court résumé de son action depuis 2000 pour les personnes détenues [p. 124 et s. ; v. sur ce point la synthèse plus complète réalisée spécialement par le Défenseur des droits], ainsi qu'une synthèse générale de ses actions sous le mandat de Dominique BAUDIS, certaines ayant également concerné la privation de liberté [v. pour l'évocation de ses différentes recommandations sur les mineurs détenus, p. 189, ou sur les détenus handicapés, p. 194, ou sur l'arrestation des étrangers, p. 195, ou sur l'interpellation réalisée à l'aide du pistolet à impulsion électronique, p. 197, ou sur la garde à vue des mineurs, p. 198 - v. pour la synthèse de ses interventions concernant les interpellations par les forces de police, p. 267 et s.].

mercredi 16 juillet 2014

[veille] Suspension par le Conseil d'Etat de l'injonction d'un jugement imposant au directeur du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier "de proposer régulièrement aux détenus de confession musulmane des menus composés de viandes “halal”" dès lors que celle-ci comporte un "risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables et [que] les moyens énoncés dans la requête paraissent sérieux en l’état de l’instruction" [CE, 16 juillet 2014, Garde des Sceaux, Ministre de la justice c/. M. B., n° 377145]

CE, 16 juillet 2014, Garde des Sceaux, Ministre de la justice c/. M. B., n° 377145 [v. le communiqué de presse]
[...]

"7. Considérant, d’une part, qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, la distribution au sein du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier de repas composés de viande « halal » imposerait des travaux d’un montant très élevé et matériellement difficiles à réaliser ou, à supposer l’approvisionnement par un sous-traitant matériellement possible, des coûts qui demeureraient élevés ; qu’elle entraînerait des évolutions majeures dans le fonctionnement du centre pénitentiaire qui ne pourraient, en cas d’annulation du jugement du tribunal administratif de Grenoble, qu’être très difficilement remises en cause ; qu’ainsi, le ministre de la justice est fondé à soutenir que l’exécution du jugement attaqué est de nature à entraîner des conséquences, particulièrement dans le milieu sensible de la détention et à la date à laquelle la présente décision est rendue, difficilement réversibles ;
8. Considérant, d’autre part, que les moyens tirés de l’atteinte au principe de laïcité et de l’incompatibilité de la mesure ordonnée avec les exigences de la détention apparaissent, en l’état de l’instruction, comme sérieux ;
9. Considérant qu’il y a lieu, par suite, d’ordonner qu’il soit sursis à l’exécution, dans cette mesure, du jugement attaqué ; que, par voie de conséquence, les conclusions présentée en appel par l’avocat de M. B…au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu’être rejetées ;".

[...]

[biblio.] Rapport : Remise au Garde des sceaux du Rapport Beaume sur la procédure pénale [10 juillet 2014, 89 p.]

La mission Beaume, installée pour préparer la réforme de la procédure pénale, avait pour mission de rechercher un nouvel équilibre dans la procédure de l'enquête pénale.[v. les annexes pour la lettre de mission, notamment]. Son rapport, remis au Garde des sceaux le 10 juillet 2014, a fait du "droit à la liberté et à la sûreté" un de ses thèmes transversaux [p. 19], estimant même que celui-ci devait servir pour l'encadrement de l'enquête initiale, plus encore que le principe du contradictoire [p. 22]. Si de nombreuses propositions ont été formulées sur certains actes d'enquêtes en particulier ou la phase de mise en l'état de l'enquête, le rapport ne préconise pas de modification des équilibres actuels quant au contrôle de l'autorité judiciaire de la privation de liberté.

Le rapport se prononce pour le maintien de l'inclusion des magistrats du parquet dans le rôle de gardien de la liberté individuelle, ceux-ci devant figurer comme "le « premier niveau » de liberté publique" [p. 29], le réel exercice de cette mission nécessitant de desserrer l'emprise des magistrats du parquet sur la police judiciaire ou, autrement dit, d'accroître l'autonomie des enquêteurs, notamment par une réduction du traitement en temps réel des infractions à sa fonction fondamentale décrite comme le "contrôle de la légalité, de la proportionnalité, de la nécessité et de la qualité de l’enquête" [p. 30]. Dès lors, le rapport préconise le maintien des dispositions actuelles du contrôle de la garde à vue, notamment la mainmise du magistrat du parquet sur la mesure, sauf pour la prolongation exceptionnelle au-delà de quarante-huit heures [p. 47]. En conclusion, le rapport insiste aussi sur la nécessité de mener à terme la réforme constitutionnelle du statut du parquet pour rendre effectif ses propositions [p. 89].

D'autre part, le rapport préconise de réserver l'intervention du Juge des libertés et de la détention aux atteintes à la liberté individuelle [p. 31], son office étant défini comme le "gardien naturel « de second niveau » de la liberté individuelle ou de la vie privée susceptibles d’être compromises par une enquête, ne [devant] intervenir « que » pour garantir la légalité et la proportionnalité de l’investigation attentatoire à la liberté ou à la vie privée" [p. 32]. Au regard de la nature de cette fonction, le rapport se montre favorable à la construction d'un véritable régime statutaire et spécialisé pour les juges des libertés et de la détention [p. 34]. Le rapport se montre en conséquence défavorable à l’immixtion du Juge des libertés et de la détention dans "le « premier niveau » de liberté publique", réservé, comme vu précédemment, aux magistrats du parquet, ou encore à l'établir comme juge des recours contre les décisions des magistrats du parquet [p. 32].


[veille] Renvoi par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité concernant la prolongation au-delà de 48 heures de la garde à vue pour escroquerie en bande organisée [Cass.crim., 16 juillet 2014, n° 14-90.021]

Cass.crim., 16 juillet 2014, n° 14-90.021


[...]

"Attendu que la question posée présente un caractère sérieux en ce que l’article 706-73 8° bis du code de procédure pénale qui autorise, dans les conditions de l’article 706-88 du même code, alinéas 1 à 5, dans sa version applicable au moment des faits, le placement en garde à vue au delà du délai de droit commun et dans la limite de quatre-vingt seize heures, de personnes mises en cause pour des faits qualifiés d’escroquerie en bande organisée, est susceptible de porter à la liberté individuelle proclamée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et aux droits de la défense garantis par le même texte, une atteinte disproportionnée au but de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions poursuivi par le législateur ;"

[...]

vendredi 11 juillet 2014

[veille] Le retrait du crédit de réduction de peine pour "mauvaise conduite" "ne constitue [...] ni une peine ni une sanction ayant le caractère d'une punition" - Cons. const., déc. du 11 juillet 2014 n° 2014-408 QPC [M. Dominique S.]

Cons. const., déc. du 11 juillet 2014 n° 2014-408 QPC [M. Dominique S.]

[...]

Considérant que le retrait d'un crédit de réduction de peine en cas de mauvaise conduite du condamné a pour conséquence que le condamné exécute totalement ou partiellement la peine telle qu'elle a été prononcée par la juridiction de jugement ; qu'un tel retrait ne constitue donc ni une peine ni une sanction ayant le caractère d'une punition ; que, par suite, les griefs tirés de la violation de l'article 8 de la Déclaration de 1789 et de l'article 34 de la Constitution sont inopérants ; 

[...]

jeudi 10 juillet 2014

[obs.] Le contrôle européen de l'isolement pénitentiaire de sûreté : vers un contrôle plus approfondi de la nécessité du placement et de ses incidences en droit français [à propos de CEDH, sect. IV, 8 juillet 2014, HARAKCHIEV et TOLUMOV c. Bulgaire, req. n° 15018/11 et 61199/12, en angl.]

L'isolement pénitentiaire de sûreté est un régime pénitentiaire dérogatoire pérenne [à la différence de la sanction de placement en cellule disciplinaire] destiné "à prévenir les risques d’évasion, d’agression ou la perturbation de la collectivité des détenus", si bien que "ces régimes ont comme base la mise à l’écart de la communauté pénitentiaire accompagnée d’un renforcement des contrôles" [CEDH, sect. IV, 27 nov. 2012, Chervenko c.Bulgarie, req. n° 45358/04 ; § 61]. 

La Cour européenne des droits de l'Homme réalise trois contrôles de l'isolement pénitentiaire, comme le montre l'arrêt signalé. Deux, dans une approche classique, tiennent à la mesure de l'affliction générée par l'isolement [I]. Le dernier, plus récent dans la jurisprudence européenne, tient dans l'appréciation de la proportionnalité de la durée de l'isolement [II]. L'apport de l'arrêt tend au développement d'un quatrième contrôle, celui de la nécessité du placement en isolement [III].


mercredi 9 juillet 2014

[obs.] Rappel européen des qualités du recours interne effectif en contestation de la dignité des conditions matérielles de détention [CEDH, sect. IV, 8 juillet 2014, HARAKCHIEV et TOLUMOV c. Bulgaire, req. n° 15018/11 et 61199/12, en angl.]

Dans l'arrêt signalé, en plus de contrôler l'infliction aux requérants d'une peine perpétuelle et leur placement puis leur maintien en isolement pénitentiaire de sûreté, la Cour européenne a aussi réalisé le rappel des qualités du recours interne effectif en contestation de la dignité des conditions matérielles de détention, seul point abordé dans ces observations.

lundi 7 juillet 2014

[obs.] Retour sur les droits de recours interne de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'Homme (5 § 4, 5 § 5 et 5 § 1er combiné avec l'article 13) : à propos d'une curiosité de l'arrêt Géorgie c. Russie [CEDH, gde ch., 3 juil. 2014, GÉORGIE c. Russie (I), req. n° 13255/07]

La Grande chambre de la Cour européenne des droits de l'Homme, dans son arrêt Géorgie contre Turquie [CEDH, gde ch., 3 juil. 2014, GÉORGIE c. Russie (I), req. n° 13255/07 ; v. nos remarques sur l'arrêt], a reconnu, pour la première fois dans la jurisprudence de la convention, il nous semble, l'efficacité de la combinaison des l'articles 5 § 1er et 13, et a même conclu à une violation en l'espèce sur ce fondement : par cette combinaison, la Cour européenne des droits de l'Homme a en conséquence sanctionné le défaut de recours efficace interne [l'article 13 dispose que "Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale"] pour trancher le grief de la violation d'une garantie conventionnelle figurant dans l'article 5 § 1er de la Convention. 

dimanche 6 juillet 2014

[obs.] La sanction de la "pratique administrative" russe d’arrestation, de détention et d’expulsion de ressortissants géorgiens : le maintien d'un ménagement de l'Etat défendeur dans la requête inter-étatique [quelques remarques sur CEDH, gde ch., 3 juil. 2014, GÉORGIE c. Russie (I), req. n° 13255/07]

Le 27 septembre 2006, quatre officiers russes soupçonnés d'espionnage étaient arrêtés par les autorités géorgiennes dans la capitale à Tbilissi. L'Etat géorgien dénonçait devant la Cour européenne des droits de l'Homme l'expulsion par la Russie de nombreux de ses ressortissants, en situation régulière ou irrégulière, en rétorsion, dès septembre 2006, et jusqu'à janvier 2007 [§ 22 et s.]. Durant cette période, l’État géorgien estimait que près de 4.600 décisions d'expulsion avaient été prises contre ses nationaux, dont 2.400 avaient fondé arrestations et détentions aux fins d'exécution forcée, et 2.200 avaient fait l'objet d'une exécution volontaire. D'après l'Etat requérant, le nombre de ses nationaux expulsés de Russie, en temps normal de 80 à 100 personnes par mois, était passé à environ 700 à 800 par mois durant la période dénoncée [§ 27]. Pour sa défense, la Russie, se fondant sur une statistique établie sur l'année 2006, affirmait que seulement 4.000 géorgiens avaient été expulsés, et si ces chiffres étaient en augmentation de 40 % par rapport à 2005, elle relativisait leur importance, dès lors que les ressortissants géorgiens représentaient seulement le troisième contingent par nationalité des étrangers expulsés [§ 28]. La Russie, à défaut de décompte mensuel, indiquait que selon sa statistique la plus précise, du 1er octobre 2006 au 1er avril 2007, 2.800 nationaux géorgiens avaient été expulsés [ibid.]. La Grande Chambre était donc saisie de l'établissement de la preuve de l'ampleur de ces expulsions, contestée par la Russie, et de leur qualification éventuelle en "pratiques administratives", notion caractérisant une violation particulièrement grave des droits de la Convention spécifique aux requêtes inter-étatiques.

mercredi 2 juillet 2014

[obs.] Les incohérences de la définition légale des critères de la motivation de l'emprisonnement ferme et la neutralisation jurisprudentielle de ses apports [à propos de Cass. crim., 25 juin 2014, n° 13-82.720 : inédit]

L'arrêt rapporté, bien qu'inédit, constitue un bon exemple du faible contrôle de la Chambre criminelle sur la motivation de l'emprisonnement correctionnel ferme du juge du fond, tant celle utilisée en l'espèce, validée, présentait de faiblesses. La motivation de l'emprisonnement ferme est exigée par l'article 132-19 du Code pénal, qui prévoit, sauf état de récidive légale, qu'"en matière correctionnelle, la juridiction ne peut prononcer une peine d'emprisonnement sans sursis qu'après avoir spécialement motivé le choix de cette peine". La disposition ne fixe pas pour autant les critères sur lesquels le juge doit s'appuyer, et ceux-ci figurent à l'article 132-24 du Code pénal. De manière générale, y compris en dehors de la peine d'emprisonnement ferme, le juge doit fixer la peine "en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur", au regard de l'alinéa 1er de la disposition. Concernant plus spécifiquement l'emprisonnement ferme, la peine "ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; dans ce cas, la peine d'emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28".

[veille] "Hors de toute contrainte", le moyen de la violation des droits de la défense concernant une audition réalisée durant l'enquête ne cause pas grief, dès lors que la condamnation ne se fonde "ni exclusivement, ni même essentiellement", sur les déclarations faites au cours de celle-ci [Cass. crim., 24 juin 2014, n° 13-83.126 : inédit]

Cass. crim., 24 juin 2014, n° 13-83.126 : inédit

[...]

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation du droit à un procès équitable, consacré par l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme, et des articles 591, 593 du code de procédure pénale, contradiction de motifs, défaut de motifs et manque de base légale ;

[...]

Attendu que les demandeurs ne sauraient se faire un grief de ce que la cour d'appel, a écarté le moyen de nullité selon lequel les droits de la défense de M. Y...avaient été méconnus lors de ses auditions réalisées, en cours d'enquête, hors de toute contrainte, sans qu'il ait été informé de son droit de garder le silence et d'être assisté par un avocat, dès lors que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que, pour les déclarer coupables de blessures involontaires, les juges du second degré ne se sont fondés ni exclusivement, ni même essentiellement, sur les déclarations faites au cours de ces auditions ;

[...]

[obs.] Sanction d'une détention provisoire d'une durée d'un an et quatre mois justifiée par le seul risque de trouble à l'ordre public [CEDH, 1er juillet 2014, sect. III, SIMON c. Roumanie, req. n° 34945/06]

L'article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme reconnaît à la personne suspecte et traduite devant l'autorité judiciaire "le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure". Ce droit fonde le contrôle par la Cour européenne des droits de l'Homme de la détention provisoire, dont l'arrêt signalé rappelle  les principes applicables.

mardi 1 juillet 2014

[obs.] Sanction des conditions matérielles de détention par leurs "effets cumulatifs" pour un prévenu [CEDH, sect. III, 1er juillet 2014, MIHĂILESCU c. Roumanie, req. n° 46546/12, en angl.]

Le contrôle de la dignité des conditions matérielles de détention, réalisé sur le fondement de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme, s'applique à toute privation de liberté, y compris au prévenu en détention provisoire, comme en l'espèce.

Si les cas typiques de violation résident dans la surpopulation ou encore l'inadaptation du lieu de privation à la durée de la mesure, des vices moins graves peuvent, par "effets cumulatifs" [§ 53], entraîner également la violation de la Convention. 

La Cour examine l'ensemble des défauts de conditions de détention, tenant le plus souvent, comme en l'espèce, à l'état de la cellule [la Cour notait ici l'absence de mobilier adapté, par exemple pour l'alimentation, et la vétusté des lieux, alors que des fuites dans les conduits d'eau rendaient la cellule humide, et provoquait parfois des inondations, pour conclure à la violation de la Convention, pour les périodes pendant lesquelles le requérant n'avait pas souffert de surpopulation ; § 57].

lundi 30 juin 2014

[biblio.] Doctrine : R. Mignot-Mahdavi, "La notion de peine en droit international pénal éclairée par la CPI (CPI,23 mai 2014, Le Procureur c. Germain Katanga)" ; ADL, juin 2014

R. Mignot-Mahdavi, "La notion de peine en droit international pénal éclairée par la CPI (CPI,23 mai 2014, Le Procureur c. Germain Katanga)" ; ADL, juin 2014

La décision commentée concerne une condamnation à 12 ans d'emprisonnement.

[biblio.] Publication du Manuel de droit européen en matière d'asile, de frontières et d'immigration de l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne, éd. 2014

V. notamment, le chapitre 6, sur "La détention et les restrictions à la libre circulation"

[veille] La "suspension de l'accès aux activités" en cellule disciplinaire ne porte pas "une atteinte excessive au droit [des détenus] de pratiquer leur religion" [CE, 11 juin 2014, n° 365237 : Rec. CE., T.]

V. sur l'arrêt signalé les observations de M. Touzeil-Divina, au JCP A, 2014, actu. n° 505 ou ici.

[veille] Détermination du point de départ du délai dans lequel la juridiction doit statuer en cas de demande de remise en liberté [Cass. crim., 3 juin 2014, n° 14-82.042 : publié au Bulletin]

Cass. crim., 3 juin 2014, n° 14-82.042 : publié au Bulletin

[...]

"Lorsque la déclaration prévue par l'article 148-6, alinéa 3, du code de procédure pénale n'a pas été adressée directement au greffier de la juridiction compétente pour statuer sur la demande de mise en liberté, le délai imparti à ladite juridiction pour se prononcer ne court qu'à compter du lendemain du jour où le greffier a attesté avoir reçu la déclaration, la chambre de l'instruction a justifié sa décision".

[...]

V. sur l'arrêt signalé les observations de S. ANANE, D., actu.

vendredi 27 juin 2014

[veille] Avis de la COMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L’HOMME du 26 juin 2014 sur la situation des mineurs isolés étrangers présents sur le territoire national. Etat des lieux un an après la circulaire du 31 mai 2013 relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers

http://infomie.net/IMG/pdf/avis_cncdh_-_26_juin_2014.pdf

[chron.] Premier bilan jurisprudentiel du contrôle judiciaire de la retenue pour vérification du droit au séjour : la conservation par l'autorité de police d'une large marge de manœuvre

La retenue pour vérification du droit au séjour, créée à l'article L. 6111-1-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par la loi n° 2012 1560 du 31 déc. 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées [J. O., 1er janv. 2013, p. 48 ; AJP, 2013, p. 8, comm. R. PARIZOT ; RSC, 2013, p. 421, note N. CATELAN ; Gaz. Pal., 12 mars 2013, comm. L. ROBERT et P. GAGNOUD ; JCP, 2013, n° 74, obs. N. GUIMEZANES ; Procédures, 2013, comm. n° 52, obs. J. BUISSON ; Dr. admin., 2013, comm. n° 23, note V. TCHEN], est devenue la principale voie d'entrée en privation de liberté de l'étranger en situation irrégulière dans l'attente de son éloignement.

[veille] Justification du dépassement du délai pour statuer sur une demande de remise en liberté "[entachée] de mentions erronées, de nature à rendre incertaine la désignation de la juridiction compétente" [Cass. crim., 12 juin 2014, n° 14-82.233 : à paraître au Builletin]

Sur l'arrêt signalé, v. D., actu., obs. S. Fucini

jeudi 26 juin 2014

[obs.] Rappel des conditions de conventionnalité de la détention de la personne "contre laquelle une procédure d’expulsion [...] est en cours" [CEDH, sect. I, 26 juin 2014, EGAMBERDIYEV contre Russie, req. n° 34742/13, en angl.]

La Cour européenne des droits de l'Homme, au regard du but de l'article 5, la lutte contre l'arbitraire, et au moyen d'une interprétation téléologique visant à assurer son efficience, fixe ses propres conditions de conventionnalité des différents cas de privation de liberté figurant dans la liste de l'article 5 § 1er), au-delà du contrôle du respect du droit interne ou des conditions fixées expressément par le texte de la Convention.

L'arrêt ici signalé fait preuve de pédagogie en reprenant précisément ces conditions, concernant la détention de l'étranger contre lequel "une procédure d'expulsion [...] est en cours" : la privation de liberté doit être effectuée de "bonne foi", elle doit avoir pour finalité constante l'exécution de la procédure d'expulsion, le lieu et les conditions de détention doivent être appropriés, et sa durée ne doit pas excéder "le délai raisonnable nécessaire pour atteindre le but poursuivi" [§ 59].

La violation de la Convention ne faisait guère de doute en l'espèce au regard des sanctions précédentes de la législation russe, en la matière, par la Cour européenne des droits de l'Homme, notamment au regard de la qualité de la loi ou du contrôle judiciaire de la détention [§ 62].

L'intérêt de l'arrêt, à relativiser sans doute par les violations précédentes relevées contre la législation russe, est de censurer abstraitement la durée maximale de la détention dans l'attente de l'expulsion prévue par la législation interne, en l'espèce de deux ans, au regard des défauts de la loi précédemment sanctionnés, quant à l'organisation du contrôle judiciaire ou quant à sa qualité [§ 62 et s.], mais aussi de la disproportion entre la durée maximale "préventive" permise pour réaliser l'expulsion de l'étranger en situation irrégulière, et la peine privative de liberté encourue pour sanctionner cette même situation, qualifiée par le droit russe d'"infraction administrative", d'une durée maximale de 30 jours [§ 63].


[obs.] Le lieu de la privation de liberté doit être adapté à sa durée [CEDH, sect. I, 26 juin 2014, DE LOS SANTOS ET DE LA CRUZ c. Grèce, req. nos 2134/12 et 2161/12]

L'article 3 de Convention européenne des droits de l'Homme permet de sanctionner les conditions matérielles de détention indignes, soit du fait de la surpopulation, soit du fait de la vétusté et de l'insalubrité de la cellule, pour les hypothèses les plus communes.

La sanction des conditions matérielles de détention peut également résulter de l'inadaptation du lieu de privation de liberté à la détention de longue durée [en l'espèce, il s'agissait de la détention d'étrangers en attente de leur expulsion dans un commissariat de police pendant 42 et 49 jours, pratique couramment sanctionnée par la Cour européenne des droits de l'Homme concernant la Grèce ; § 44] de par son défaut d'infrastructures permettant aux personnes privées de liberté de se promener [en l'espèce, les étrangers pouvaient uniquement marcher dans un petit couloir ; § 44], de bénéficier d'"activités récréatives" [§ 40] et de disposer d'une alimentation satisfaisante [en l'espèce, les étrangers devaient se nourrir pour 5,87 euros par jour § 44].

Si en l'espèce la violation des conditions de détention résultait, en plus de l'inadaptation des lieux, des autres défauts classiquement sanctionnés en la matière [la Cour notait que "les requérantes étaient placées dans une cellule où la superficie était inférieure à 3 m² par personne, où la majorité des détenues dormaient sur des matelas posés par terre et avec un accès médiocre à la lumière" ; § 44], la seule inadaptation du lieu à la longue privation de liberté apparaît, à la lecture de l'arrêt, susceptible de violer la Convention, dès que ce traitement s'applique pendant plus de deux ou trois mois [§ 43].

[biblio.] Le Guide de l'article 5, édité par le Conseil de l'Europe, à jour jusqu'en juin 2012

http://www.echr.coe.int/Documents/Guide_Art_5_FRA.pdf

[text.] Décret n° 2014-676 du 24 juin 2014 relatif à l'accès des associations humanitaires aux lieux de rétention

http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=?cidTexte=JORFTEXT000029136361&dateTexte=&oldAction=dernierJO&categorieLien=id

[obs.] Définition de la privation de liberté et champ d'application de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'Homme [CEDH, sect. I, 26 juin 2014, KRUPKO et autres c. Russie, req. n° 26587/07, en angl.]

Pour que la protection de l'article 5 de la Convention européenne s'applique, la mesure critiquée doit être qualifiée de privation de liberté, la simple restriction à la liberté d'aller et venir relevant de l'article 2 du Protocole n° 4.

La question de la qualification était posée dans l'arrêt rapporté, concernant l'irruption de forces de police lors d'un rassemblement de témoins de Jéovah, duquel plusieurs individus étaient retirés, puis conduits au poste de police, où ils restèrent trois heures.

mercredi 25 juin 2014

[veille] Imputation de la détention provisoire sur la période de sûreté lors de l'exécution de la peine [Cass. crim., 25 juin 2014, n° 14-81.793]

Attendu que la période de sûreté prévue par ce texte n’étant qu’une modalité d’exécution de la peine privative de liberté qu’elle assortit, court à compter de la mise à exécution de celle-ci ; que si la condamnation qui l’emporte ou la prononce a été précédée d’une détention provisoire, l’entier temps de celle-ci doit s’imputer sur la durée de la période de sûreté, sans qu’il y ait lieu de tenir compte, pour diminuer d’autant cette durée, du temps pendant lequel ont été simultanément exécutées une ou plusieurs condamnations à des peines non assorties d’une période de sûreté ;"


V. les observations de M. Léna, D., actu.

[obs.] Droits de l'aliéné dangereux arrêté dans le cadre des mesures provisoires : point de départ du délai de "l'intervention" du juge judiciaire et théorie générale de la protection juridique de la personne arrêtée [Cass. civ. I, 5 févr. 2014, n° 11-28.564 ; Bull. civ. I]

La théorie générale de la protection juridique de la personne arrêtée

Les législations spéciales des différents cas de privation de liberté convergent pour accorder à la personne un paquet identique de droits - droit à l'assistance d'un avocat, droit à un examen médical, droit à la notification des droits, droits à l'information des motifs de l'arrestation et droit de faire prévenir un tiers - généré par l'arrestation , celle-ci pouvant se définir comme le moment de la perte de la liberté individuelle de l'individu par application d'une contrainte physique [v. L. Mortet, Essai d'une théorie générale des droits d'une personne privée de liberté, th., Nancy, 2014]. Si l'exemple le plus emblématique de ce paquet tient dans les droits du suspect en garde à vue [art. 63-1 Cpp], un paquet similaire profite à l'aliéné faisant l'objet d'une hospitalisation psychiatrique forcée [art. L. 3211-3 CSP].

mardi 24 juin 2014

[obs.] Il revient au juge national d'intensifier son contrôle du bien-fondé du maintien en détention provisoire au fil du temps [CEDH, sect. III, 24 juin 2014, IONUŢ-LAURENŢIU TUDOR c. Roumanie, req. n° 34013/05]

Encore un raisonnement classique du contrôle de la Cour européenne des droits de l'Homme sur la détention provisoire dans cet arrêt, dont le mérite est d'exposer clairement les principes.


Si le placement en détention provisoire et sa prolongation sont permises pour quatre motifs, "le risque que l’accusé ne prenne la fuite [...], et le risque que, une fois remis en liberté, il n’entrave l’administration de la justice [...], ne commette de nouvelles infractions [...] ou ne trouble l’ordre public [...]" [§ 68], ces considérations d'ordre public, suffisantes au début, doivent être mises en balance par le juge national au fil de la détention provisoire par les examens"[du] profil personnel et [de la] situation familiale" du prévenu, ainsi que de "la possibilité d’adopter l’une des mesures alternatives prévues par le droit interne" [§ 70]. En l'espèce, la Cour estimait que ce contrôle plus intense du maintien en détention provisoire du juge national aurait dû s'exercer au bout de quatre mois de privation de liberté [§ 70].

Si la Cour européenne des droits de l'Homme semble se montrer plus tolérante lorsque le juge national use du risque de réitération, encore faut-il que celui-ci se réfère à des "faits concrets", les seuls antécédents ne pouvant suffire, d'autant plus lorsqu'ils concernent des chefs de gravité et de nature différents [§ 72].

[obs.] Un exemple classique de contrôle des conditions matérielles de détention par la Cour européenne des droits de l'Homme : la sanction de la surpopulation [CEDH, sect. III, 24 juin 2014, IONUŢ-LAURENŢIU TUDOR c. Roumanie, req. n° 34013/05]

L'article 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme, qui prohibe la torture et les traitements inhumains et dégradants, sert à la Cour européenne des droits de l'Homme pour sanctionner les conditions matérielles de détention indignes, dans un raisonnement bien établi dont l'arrêt est une illustration typique.

La surpopulation grave, caractérisée, par référence aux travaux du CPT, au confinement dans un espace pénitentiaire inférieur à 4 m² par détenu [en l'espèce, le requérant avait été détenu dans un "espace personnel" compris entre 1,20 m² et 2,35 m²], aboutit pratiquement à elle-seule à une violation de l'article 3 ["l'élément essentiel", § 48], sans que la Cour n'examine les autres critiques du requérant [celui-ci avait également dénoncé "l’absence d’aération des cellules, [les] conditions sanitaires et d’hygiène déplorables et [...] l’absence d’activités à l’extérieur des cellules", autres critères pouvant servir à caractériser à la violation de l'article 3, même en l'absence de surpopulation, en mesurant leur effet cumulatif ; § 45], ni ne se montre particulièrement rigoureuse quant à la durée du traitement [la Cour ne fixait pas précisément la durée d'application de ces conditions], ni ne cherche à le qualifier d'inhumain ou dégradant.


[obs.] Maintien des exigences limitées de la Cour européenne des droits de l'Homme sur le droit de la personne arrêtée d'être informée "dans le plus court délai" des motifs de son arrestation [CEDH, sect. IV, 24 juin 2014, PETKOV et PROFIROV contre Bulganie, req. n° 50027/08 50781/09, en angl.]

L'article 5 § 2 de la Convention européenne des droits de l'Homme consacre le droit pour toute personne arrêtée d'être informée "dans le plus court délai" des "raisons" de son arrestation.

Si la jurisprudence européenne est plutôt mince sur ce point, cet arrêt maintient les exigences limitées de la Cour quant à l'information du suspect.

Si la Cour rappelle que l'étendue de l'information ne saurait se limiter à la simple communication du visa de la base légale fondant l'arrestation [§ 61], si bien que celle-ci doit en principe également contenir les éléments de fait la justifiant, et qu'une durée de détention de vingt-quatre heures sans information ne respecte pas l'exigence de célérité posée par le texte de la Convention, elle maintient sa jurisprudence ancienne selon laquelle l'information peut être déduite par le suspect des questions qui lui sont posées lors de son interrogatoire [§ 62].

[obs.] Critique par la Cour européenne des droits de l'Homme du pouvoir discrétionnaire de la police ["the discretionary power of the police"] de placer en garde à vue [CEDH, sect. IV, 24 juin 2014, PETKOV et PROFIROV contre Bulgarie, req. nos 50027/08 et 50781/09, en angl.]

Si l'arrêt se trouve pourvu du niveau d'importance le plus faible, il nous semble se situer directement dans le mouvement de la jurisprudence européenne aboutissant à un meilleur contrôle de la garde à vue, confortant les solutions récentes, sans non plus, il est vrai, réaliser d'apport substantiel.

L'arrêt sanctionne le pouvoir discrétionnaire de la police de placer en garde à vue ["the discretionary power of the police" ; § 53], et le raisonnement de la Cour pose de manière limpide trois critères lui servant à apprécier la validité de l'arrestation et de la détention du suspect.

Deux critères ressortent du texte même de la Convention à l'article 5 § 1er-c), qui autorise l'arrestation et la détention du suspect "s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci". D'abord, la Cour contrôle de manière classique l'existence des soupçons au moment de l'arrestation, condition faisant défaut en l'espèce [§ 46].

La Cour déduit ensuite de la même disposition un critère finaliste : l'arrestation et la détention du suspect doivent servir à conduire l'individu devant l'autorité judiciaire ["the purpose of bringing the arrested person before the competent legal authority" ; § 52]. Dès lors que la détention de vingt-quatre heures des individus n'a servi qu'à leur audition rapide après l'arrestation, sans enregistrement, l'absence d'enquête plus approfondie durant la détention exclut que celle-ci ait servi cette finalité. Ce dernier critère, à se développer, pourrait servir à sanctionner la courte garde à vue de confort, même en cas d'existence de soupçons suffisamment graves pour justifier l'arrestation [ce raisonnement avait servi à la Cour jusqu'ici pour sanctionner des gardes à vue plus longues ; v. par exemple CEDH, sect. IV, 15 octobre 2013, GUTSANOVI contre Bulgarie, req. n° 34529/10].

Enfin, la Cour, sur le fondement plus général de l'article 5, rappelle que toute privation de liberté ne peut être légitime que si elle est entourée de garanties suffisantes contre l'arbitraire. Si elle constate en l'espèce que les individus n'avaient pu bénéficier ni de l'accès à un avocat dès leur arrestation, ni d'un recours leur permettant de contester immédiatement la légalité de leur détention pour obtenir leur libération [§ 54], nouveaux vices justifiant la condamnation [§55], la Cour n'en fait toutefois pas des garanties exigées par la Convention, mais justifie leur examen par leur consécration dans la législation nationale ["in so far as the domestic law provided for some guarantees against arbitrariness"; § 54].

[biblio.] Doctrine : Mireille DELMAS-MARTY regrette l'absence de débat sur la rétention de sûreté dans la réforme pénale