mercredi 2 juillet 2014

[obs.] Les incohérences de la définition légale des critères de la motivation de l'emprisonnement ferme et la neutralisation jurisprudentielle de ses apports [à propos de Cass. crim., 25 juin 2014, n° 13-82.720 : inédit]

L'arrêt rapporté, bien qu'inédit, constitue un bon exemple du faible contrôle de la Chambre criminelle sur la motivation de l'emprisonnement correctionnel ferme du juge du fond, tant celle utilisée en l'espèce, validée, présentait de faiblesses. La motivation de l'emprisonnement ferme est exigée par l'article 132-19 du Code pénal, qui prévoit, sauf état de récidive légale, qu'"en matière correctionnelle, la juridiction ne peut prononcer une peine d'emprisonnement sans sursis qu'après avoir spécialement motivé le choix de cette peine". La disposition ne fixe pas pour autant les critères sur lesquels le juge doit s'appuyer, et ceux-ci figurent à l'article 132-24 du Code pénal. De manière générale, y compris en dehors de la peine d'emprisonnement ferme, le juge doit fixer la peine "en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur", au regard de l'alinéa 1er de la disposition. Concernant plus spécifiquement l'emprisonnement ferme, la peine "ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; dans ce cas, la peine d'emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28".


La loi fixe donc au juge des principes directeurs précis pour prononcer une peine d'emprisonnement ferme par rapport aux autres peines, montrant sa volonté de lutter contre la courte peine d'emprisonnement, et la combinaison des dispositions de l'article 132-19 et 132-24 semble contraindre le juge du fond à motiver l'emprisonnement correctionnel ferme au regard de l'ensemble des critères décrits par la dernière disposition. L'arrêt signalé le confirme, puisque la Cour de cassation y vérifie l'établissement par le juge du fond d'une des exigences issues de l'article 132-24, la démonstration que "toute autre sanction [est] manifestement [in]adéquate" [on notera que la transcription de l'arrêt sur Légifrance au 2 juillet 2014 contient une erreur matérielle, puisqu'on peut y lire que la Cour de cassation valide la motivation du juge du fond qui lui suffit à caractériser "que toute autre sanction était manifestement adéquate"].

Au regard de l'article 132-19, c'est d'abord la nature de la peine qui doit être justifiée, l'emprisonnement ferme, et la motivation ne concerne pas le quantum. Les critères de l'article 132-24 le confirment : seule la "nécessité" de la peine privative de liberté est expressément visée, et non la "proportionnalité", la première notion semblant trouver une redondance dans l'obligation de prononcer une peine d'emprisonnement ferme uniquement en "dernier recours". En réalité, même la mention dans l'article 132-24 de la démonstration de l'inadéquation manifeste de toute autre sanction est une redondance du principe de nécessité, celle-ci dégageant même une marge d'appréciation au juge du fond, puisqu'elle revient à lui interdire de prononcer une peine d'emprisonnement ferme manifestement contraire à la nécessité, et, exprimé différemment, à la tolérer même lorsque des peines d'autres natures ne sont pas manifestement inadéquates. Cette dernière expression du principe de nécessité, qui n'imposerait pas au juge du fond un examen poussé, apparaît même en opposition avec la première expression du même principe dans la disposition, puisque le prononcé de la peine d'emprisonnement ferme en dernier recours justifie au contraire une appréciation rigoureuse. En tout cas, ces trois éléments - l'usage de l'emprisonnement ferme comme dernier recours, la nécessité de celui-ci et l'inadaptation manifeste de toute autre sanction - apparaissent comme l'expression redondante, quoiqu'un peu contradictoire quant à l'intensité de l'examen du juge, de la nécessité de l'emprisonnement ferme, appréciée selon la disposition au regard de "la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur". Cette interprétation est retenue par la Cour de cassation dans l'arrêt signalé, qui tire des mêmes éléments avancés par le juge du fond, sans qu'il ait décomposé ni ventilé sa motivation selon les différentes notions de l'article 132-24, le caractère "nécessaire" de la peine prononcée et celui "manifestement inadéquate" de toute autre sanction, et qui valide la motivation du juge du fond, sans s'intéresser à la démonstration par celui-ci du prononcé de l'emprisonnement ferme en "dernier recours".

Si l'analyse de l'article 132-24 du Code pénal montre des incohérences dans sa rédaction, aboutissant à des exigences limitées puisque redondantes, le dernier élément directeur du choix de la peine d'emprisonnement ferme, celui tenant au principe de l'aménagement pour une condamnation inférieure ou égale à deux ans au regard des articles 132-25 à 132-28 du Code pénal [si le même principe ressort pour la peine inférieure ou égale à un an en cas d'état de récidive légale, le juge est, en raison de cette dernière circonstance, dégagé de l'obligation de motivation], devrait aboutir à un élément de motivation supplémentaire par rapport à la simple nécessité, en cas de refus d'aménager : ou bien les éléments tenant à "la personnalité et la situation du condamné" empêchant l'aménagement, ce qui dépasse le simple examen de la personnalité, ou bien l'impossibilité matérielle le permettant. Dans l'arrêt signalé, la Cour de cassation ne vérifiait pourtant pas que le juge du fond avait établi l'impossibilité d'un tel aménagement [la peine prononcée en l'espèce de quatre ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis pouvait pourtant, pour sa partie ferme, être éligible à ces aménagements, comme l'a montré un arrêt publié au Bulletin dans lequel la Cour de cassation avait sanctionné le juge du fond qui n'avait pas motivé sur l'impossibilité de prononcer l'aménagement, pour une peine de cinq ans d'emprisonnement dont trois ans avec sursis ; v. Cass. crim., 10 nov. 2010, n° 10-80.265 : Bull. crim., n° 179]. Si notre arrêt, inédit, ne saurait être interprété comme abandonnant l'exigence de la motivation de l'impossibilité de l'aménagement, la Chambre criminelle a, de toute manière, vidé l'élément de sa substance, en autorisant le juge du fond à motiver l'impossibilité par l'absence d'information suffisante sur la personnalité dans un arrêt publié au Bulletin [Cass. crim., 22févr. 2012, n° 11-82.975 : Bull. crim., n° 53 : RSC, 2012, p. 389, D. Boccon‑Gibod ; en l’espèce, le juge du fond avait estimé qu’il n’était pas opportun de prononcer l’aménagement de peine car, il ne disposait pas « en l'état, de renseignements suffisamment précis pour évaluer la situation personnelle et professionnelle du [condamné] »]. Le juge du fond dans notre espèce avait d'ailleurs utilisé cet argument, même si ce point n'avait pas été relevé par la Cour de cassation.

Finalement, des éléments de l'article 132-24 du Code pénal, il semble que le juge du fond n'est besoin d'apporter d'éléments concrets que sur la personnalité et la gravité de l'infraction pour justifier en même temps de la "nécessité" de la peine d'emprisonnement ferme et du caractère "manifestement inadéquat" de toute autre sanction, l'affirmation de l'absence d'information suffisante sur la personnalité permettant d'évacuer la motivation de l'impossibilité d'aménagement : les éléments de la motivation spéciale de l'emprisonnement ferne de l'article 132-24 alinéa 3 se retrouvent ainsi réduits aux principes directeurs généraux du choix de la nature de la peine de l'article 132-19.

La ratio legis de l'article 132-24 du Code pénal devrait toutefois aboutir à un meilleur contrôle par la Cour de cassation de la qualité et de la pertinence de la motivation du juge du fond, malgré la réduction des éléments qu'il impose. Quant à la qualité, et au regard de l'arrêt signalé, le juge du fond n'est pourtant pas obligé de découper clairement les éléments de sa motivation en fonction des éléments légaux, la Chambre criminelle pouvant les réassembler lors de son contrôle [la Chambre criminelle déduit même parfois directement l'existence d'un élément légal, qui n'est pourtant pas abordé expressément par le juge du fond, d'autres éléments qu'il a utilisés ; Cass. crim., 22 févr. 2012, n° 11-82.214 : inédit ; RSC, 2012, p. 389, D. BOCCON-GIBOD]. Toujours dans l'arrêt signalé, le juge du fond s'était contenté d'évoquer abstraitement la gravité des faits, à défaut d'élément concret, sans pour autant être sanctionné. Quant à la pertinence, un contrôle poussé de la motivation en droit doit permettre à la Cour de cassation d'écarter par principe l'usage de certains critères par le juge du fond, ce qu'elle a d'ailleurs fait, en sanctionnant sur le fondement de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme un juge du fond qui avait reproché au condamné, dans sa motivation de la condamnation à l'emprisonnement ferme, l'usage d'une voie de recours [Cass. crim., 24 janv. 2007, n° 06-84.330 : Bull. crim., n° 17]. Dans l'arrêt signalé pourtant, la Chambre criminelle n'a pas sanctionné le juge du fond, qui s'était fondé sur le fait que "l'intéressé conteste devant la cour sa culpabilité", alors même qu'elle avait déjà écarté ce critère pour la motivation de l'emprisonnement correctionnel sur le même fondement de l'article 6 [Cass. crim., 1er oct. 2008, n° 08-81.338 : Bull. crim., n° 201 ; Dr. pén., 2009, comm. n° 4, obs. M. VÉRON ; RSC, 2009, p. 412, obs. R. FINIELTZ] et que ce critère de l'absence d'aveu a aussi été écarté de l'aménagement des peines [pour la libération conditionnelle, v. Cass. crim., 3 févr. 2010, n° 09-84.850 : inédit ; Procédures, 2010, comm. n° 196, obs. A. S. CHAVENT LECLÈRE ; AJP, 2010, p. 334, obs. M. HERZOG EVANS - pour le placement sous surveillance électronique, v. Cass. crim., 25 nov. 2009, n° 09-82.971 : Bull. crim., n° 197 ; AJP, 2010, p. 90, obs. M. HERZOG EVANS]. De manière moins fragrante, le défaut du contrôle de la pertinence de la motivation apparaît en l'espèce par l'admission de l'usage dans la motivation d'un ancien antécédent, en l'espèce un fait délictuel datant de plus de dix ans.

Finalement, si la rédaction de l'article 132-24 du Code pénal n'aide pas au durcissement des exigences tenant à la motivation de l'emprisonnement ferme, le contrôle de la Chambre criminelle sur la motivation du juge du fond ne supplée pas le défaut de rédaction malgré l'esprit de la loi, et si l'arrêt signalé demeure inédit, il inquiète malgré tout par la validation d'une motivation insuffisante sur plusieurs points, en contradiction parfois avec la jurisprudence publiée au Bulletin de la Chambre criminelle, et même à ses premiers arrêts inédits sur la disposition, plus exigeants [v. par ex. Cass. crim., 30 nov. 2010, n° 10-81.840 : inédit].




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