dimanche 17 janvier 2021

[Tabl.] Les points de contrôle des mesures d'hospitalisation forcée

Au soutien d'une formation organisée par l'Union des jeunes avocats d'EPINAL en novembre 2020, j'ai pu réaliser un tableau sur les points de contrôle des mesures d'hospitalisation sous contrainte qu'il appartient à l'avocat de réaliser. 


Il s'agit donc d'un simple support de formation à destination des praticiens, qui ne prétend pas être complet, alors que la jurisprudence en la matière est évolutive et qu'il existe de nombreux arreêts de fond dont la portée, par définition, est relative.




dimanche 12 juillet 2020

[obs.] Un arrêt remarquable : quand la Chambre criminelle consacre le droit de la personne détenue provisoirement à être libérée en cas de conditions matérielles de détention indignes [Cass. crim., 8 juil. 2020, n° 20-81.739]


1. Les temps modernes. À imaginer que le plus fin connaisseur de la jurisprudence de la Cour de cassation serait tombé dans le coma au début des années 2000, celui-ci n’en aurait surement pas cru ses yeux quand, tout récemment éveillé, il se serait mis à lire l’arrêt rendu par la Chambre criminelle le 8 juillet 2020 [n° 20-81.739], lequel dispose, notamment, que « dans le cas où la chambre de l’instruction constate une atteinte au principe de dignité à laquelle il n’a pas entre-temps été remédié, elle doit ordonner la mise en liberté de la personne ». Et cela tant en raison de la solution qu’en raison des procédés employés par la Chambre criminelle pour aboutir à cette solution.

A contrario, il ressort également de l’arrêt qu’« une […] atteinte à la dignité de la personne en raison des conditions de détention [peut] constituer un obstacle légal au placement ou au maintien en détention provisoire ». La Chambre criminelle ouvre donc tout simplement un nouveau cas de mise en liberté. La solution est remarquable : elle consacre, au moins en matière de détention provisoire, le droit de la personne privée de liberté à être libérer en cas de conditions matérielles de détention irrémédiablement indignes, et ce indépendamment de toute circonstance liée à sa personne, comme par exemple son état de santé, mais par référence uniquement aux conditions matérielles dégradées par la surpopulation ou encore la vétusté.

Il s’agit d’abord d’un spectaculaire  revirement de jurisprudence puisque très récemment encore et dans un arrêt destiné à être publié, la Chambre criminelle avait fermement décidé « qu’une éventuelle atteinte à la dignité de la personne en raison des conditions de détention, si elle est susceptible d’engager la responsabilité de la puissance publique en raison du mauvais fonctionnement du service public, ne saurait constituer un obstacle légal au placement et maintien en détention provisoire » [Cass. crim., 18 sept. 2019, n° 19-83.950]. Il s’agit tout simplement d’un changement de tropisme, tant il était ancré que la manière dont s’exécutait la privation de liberté n’était pas une condition de sa légalité sanctionnée par la libération [v. pour la détention provisoire Cass. crim., 8 nov. 1988, n° 88-85.185 : « les conditions matérielles dans lesquelles s'exécute la détention et qui seraient contraires aux recommandations des conventions internationales échappent à la compétence de la chambre d'accusation ». – Cass. crim., 27 janv. 1998, n° 97-86.014 : « la personne mise en examen [est] irrecevable à critiquer ses conditions de détention à l'occasion d'une demande de mise en liberté [alors que] celles-ci sont étrangères aux prévisions de l'article 144 du Code de procédure pénale ». – Cass. crim., 13 avr. 1999, n° 99-80.481. – Cass. crim., 29 fév. 2012, n° 11-88.441 : Bull. crim., n° 58 ; AJP, 2012. 471, note E. Senna ; RSC, 2013. 879, obs. X. Salvat ; Gaz. Pal., 19 juil. 2012. 17, avis G. Lacan], sauf incapacité à la détention, par exemple pour le détenu gravement malade ou mourant.

dimanche 25 février 2018

[obs.] La détention du condamné mourant [CEDH, sect. IV, 28 nov. 2017, Dorneanu c. Roumanie, req. n° 55089/13]



1. La libération humanitaire du détenu à l’état de santé incomptable. Dans l’arrêt Mouisel [CEDH, 14 nov. 2002, Mouisel c. France, req. n° 67263/01 : Rec. CEDH, 2002-IX ; LPA, 19 juin 2003, p. 15, comm. H. TIGROUDJA ; ibid., 16 juil. 2003, p. 13, comm. D. ROETS ; D., 2003, p. 524, obs. J. F. RENUCCI ; ibid., p. 303, note H. MOUTOUH ; ibid., p. 919, chron. J.-P. CÉRÉ ; RSC, 2003, p. 144, chron. F. MASSIAS ; AJDA, 2003, p. 603, chron. J.-F. FLAUSS] la Cour européenne des droits de l’Homme a sanctionné le « maintien » en détention, malgré l’état de santé incompatible, du requérant, ce qui revenait à reconnaître l’existence d’un droit à la libération pour des motifs humanitaires. La jurisprudence européenne n’a d’ailleurs pas tardé à formuler expressément ce droit à la libération, à la suite de l’arrêt Mouisel [CEDH, sect. IV, 7 juil. 2009, Grori c. Albanie, req. n° 25336/04, en angl. ; § 126 : « in exceptional cases, where the state of a detainee’s health is absolutely incompatible with detention, Article 3 may require the release of such a person under certain conditions »]. A lire l’arrêt Mouisel, ce droit à la libération promettait d’être large : « l’état de santé, l’âge et un lourd handicap physique constituent désormais des situations pour lesquelles la capacité à la détention est aujourd’hui posée au regard de l’article 3 de la Convention en France » [Mousiel, § 38]. L’article 3 offre donc aux détenus, un droit à la libération, en cas d’état de santé incompatible, ou un droit à l’amélioration de la prise en charge médicale, si celle-ci est insuffisante, sans pour état que l’état de santé soit incompatible [v. pour une synthèse de ces différentes exigences dans laquelle la Cour fait œuvre de pédagogie dans la formulation des principes applicables, et les distinctions entre le droit à la libération et le droit à l’obtention d’un meilleur traitement médical, CEDH, sect. II, Ürfi Cetinkaya c. Turquie, req. n° 19866/04 ; § 87 et s.]. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme ultérieure à préciser les contours de ce droit à la libération, limité par trois conditions [CEDH, 15 janv. 2004, Sakkopoulos c. Grèce, req. n° 61828/00 : § 39] : : il faut « tenir compte, notamment, de trois éléments afin d’examiner la compatibilité d’un état de santé préoccupant avec le maintien en détention du requérant : (a) la condition du détenu, (b) la qualité des soins dispensés et (c) l’opportunité de maintenir la détention au vu de l’état de santé du requérant ». Par « la condition du détenu », la Cour vise son état de santé, qui doit présenter une gravité « exceptionnelle » [CEDH, sect. I, 12 juin 2008, Kotsaftis c. Grèce, req. n° 39780/06, § 49 : « s'agissant en particulier de personnes privées de liberté, la Cour souligne que dans un État de droit la capacité à subir une détention est la condition pour que l'exécution de la peine puisse être poursuivie », si bien que « dans des cas "exceptionnels" où l'état de santé du détenu est "absolument incompatible" avec sa détention, l'article 3 peut exiger la libération de la personne concernée sous certaines conditions »]. La Cour reprend par ailleurs un critère déjà dégagé par la Commission et repris déjà par l’arrêt Papon [CEDH, sect. I, 25 juil. 2002, Papon c. France, req. n° 54210/00] de la « qualité des soins en détention ». Enfin, la Cour consacre le critère de « l’opportunité de maintenir en détention », ce qui oblige à tenir compte des risques de récidive.

dimanche 25 juin 2017

[chron.] Le contrôle du bien-fondé de la garde à vue : évolutions et résistances dans la jurisprudence de la Chambre criminelle

1. Le rejet d’une conception purement policière. La garde à vue a fait l’objet ces dernières années de nombreuses réformes qui ont abouti à modifier la nature de la mesure, laquelle n’est définitivement plus purement policière. L’action policière est limitée par les droits qui sont reconnus au suspect et rattachés, au premier titre, à la défense. D’autre part, le contrôle de la garde à vue en temps direct par l’autorité judiciaire est imposé par l’article 66 de la Constitution [Cons. const., déc. n° 93-326 DC du 11 août 1993]. C’est donc sous le double effet de l’inscription dans la garde à vue, premièrement, des droits de la défense liés à la nature pénale de la mesure, et, deuxièmement, des droits et garanties liés à sa nature privative de liberté, que la garde à vue a quitté le champ de l’arbitraire policier. Le régime de la garde à vue reste néanmoins encore fortement marqué par la préoccupation de ne pas entraver l’action policière au détriment des droits de l’individu en état d’arrestation. La garantie judiciaire reste d’une intensité modérée. D’abord, le contrôle en temps direct de la garde à vue peut être assuré, au moins pendant quarante-huit heures, par l’autorité judicaire dépendante – c’est à dire le magistrat du parquet [Cons. const., déc. n° 2010-80 QPC du 17 déc. 2010], et même plus longtemps, en ajoutant à une durée de quarante-huit heures, la durée de vingt heures pendant laquelle le suspect peut être retenu avant son défèrement devant le juge d’instruction, le juge des libertés et de la détention ou le Tribunal correctionnel saisi en comparution immédiate. Au-delà de quarante-huit heures, si l’intervention de l’autorité judiciaire indépendante statutairement – c’est-à-dire le magistrat du siège – est exigée pour prolongée la garde à vue [Cons. const., déc. n° 80-127 DC des 19 et 20 janv. 1981], le juge compétent n’est pas nécessairement indépendant sur le plan fonctionnelle [Cons. const., déc. n° 2004-492 DC du 2 mars 2004] et peut cumuler cette fonction de contrôle de la garde à vue à la fonction de direction des investigations.

lundi 31 octobre 2016

[obs.] Mursic : La Grande chambre prend le parti de la présomption réfragable de traitement inhumain et dégradant en cas d’espace personnel inférieur à 3 m² en cellule collective

1. La formulation des principes. Voici les principes fixés par la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme [CEDH, gde ch., 20 oct. 2016, Mursic c. Croatie, req. n° 7334/13] quant à l’appréciation de l’existence d’un traitement inhumain et dégradant en cas de détention dans une cellule surpeuplée :

« 137. Lorsque la surface au sol dont dispose un détenu en cellule collective est inférieure à 3 m², le manque d’espace personnel est considéré comme étant à ce point grave qu’il donne lieu à une forte présomption de violation de l’article 3. La charge de la preuve pèse alors sur le gouvernement défendeur, qui peut toutefois réfuter la présomption en démontrant la présence d’éléments propres à compenser cette circonstance de manière adéquate (paragraphes 126-128 ci-dessus).
138. La forte présomption de violation de l’article 3 ne peut normalement être réfutée que si tous les facteurs suivants sont réunis :
1) les réductions de l’espace personnel par rapport au minimum requis de 3 m² sont courtes, occasionnelles et mineures (paragraphe 130 cidessus) ;
2) elles s’accompagnent d’une liberté de circulation suffisante hors de la cellule et d’activités hors cellule adéquates (paragraphe 133 ci-dessus) ;
3) le requérant est incarcéré dans un établissement offrant, de manière générale, des conditions de détention décentes, et il n’est pas soumis à d’autres éléments considérés comme des circonstances aggravantes de mauvaises conditions de détention (paragraphe 134 cidessus).
139. Lorsqu’un détenu dispose dans la cellule d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m², le facteur spatial demeure un élément de poids dans l’appréciation que fait la Cour du caractère adéquat ou non des conditions de détention. En pareil cas, elle conclura à la violation de l’article 3 si le manque d’espace s’accompagne d’autres mauvaises conditions matérielles de détention, notamment d’un défaut d’accès à la cour de promenade ou à l’air et à la lumière naturels, d’une mauvaise aération, d’une température insuffisante ou trop élevée dans les locaux, d’une absence d’intimité aux toilettes ou de mauvaises conditions sanitaires et hygiéniques (paragraphe 106 ci-dessus). »