lundi 31 octobre 2016

[obs.] Mursic : La Grande chambre prend le parti de la présomption réfragable de traitement inhumain et dégradant en cas d’espace personnel inférieur à 3 m² en cellule collective

1. La formulation des principes. Voici les principes fixés par la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme [CEDH, gde ch., 20 oct. 2016, Mursic c. Croatie, req. n° 7334/13] quant à l’appréciation de l’existence d’un traitement inhumain et dégradant en cas de détention dans une cellule surpeuplée :

« 137. Lorsque la surface au sol dont dispose un détenu en cellule collective est inférieure à 3 m², le manque d’espace personnel est considéré comme étant à ce point grave qu’il donne lieu à une forte présomption de violation de l’article 3. La charge de la preuve pèse alors sur le gouvernement défendeur, qui peut toutefois réfuter la présomption en démontrant la présence d’éléments propres à compenser cette circonstance de manière adéquate (paragraphes 126-128 ci-dessus).
138. La forte présomption de violation de l’article 3 ne peut normalement être réfutée que si tous les facteurs suivants sont réunis :
1) les réductions de l’espace personnel par rapport au minimum requis de 3 m² sont courtes, occasionnelles et mineures (paragraphe 130 cidessus) ;
2) elles s’accompagnent d’une liberté de circulation suffisante hors de la cellule et d’activités hors cellule adéquates (paragraphe 133 ci-dessus) ;
3) le requérant est incarcéré dans un établissement offrant, de manière générale, des conditions de détention décentes, et il n’est pas soumis à d’autres éléments considérés comme des circonstances aggravantes de mauvaises conditions de détention (paragraphe 134 cidessus).
139. Lorsqu’un détenu dispose dans la cellule d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m², le facteur spatial demeure un élément de poids dans l’appréciation que fait la Cour du caractère adéquat ou non des conditions de détention. En pareil cas, elle conclura à la violation de l’article 3 si le manque d’espace s’accompagne d’autres mauvaises conditions matérielles de détention, notamment d’un défaut d’accès à la cour de promenade ou à l’air et à la lumière naturels, d’une mauvaise aération, d’une température insuffisante ou trop élevée dans les locaux, d’une absence d’intimité aux toilettes ou de mauvaises conditions sanitaires et hygiéniques (paragraphe 106 ci-dessus). »

dimanche 16 octobre 2016

[chron.] Pratique de la défense au prétoire pénitentiaire


1.                  L’avocat pénitentiairiste. Les domaines d’intervention de l’avocat auprès de la personne condamnée à une peine privative de liberté ont été largement accrus, accompagnant le mouvement plus large d’amélioration des droits des détenus. La matière pénitentiaire stricto sensu est évidemment concernée. Outre le procès disciplinaire [à travers le célèbre arrêt Marie, par lequel le juge administratif a accepté d’assurer le contrôle de ces décisions, le procès pénitentiaire a même été la première étape de cette évolution – CE,17 févr. 1995, Marie, n° 97754 : Rec. CE, p. 89 ; D., 1995. 381, note N. Belloubet‑Frier ; RFDA 1995. 353, concl. P. Frydman ; RFDA 1995. 822, note F. Moderne ; RFDA 1995. 826, note J.‑P. Céré ; RSC 1995. 381, obs. P. Couvrat ; RSC 1995. 621, obs. M. Herzog‑Evans ; GAJA, 19e éd., 2013, n° 94], l’avocat peut également intervenir dans la procédure de placement et de prolongation à l’isolement [art.726-1 CPP]. Le développement du contrôle du juge administratif sur les décisions de l’administration pénitentiaire ouvre un autre pan possible d’intervention de l’avocat dans le contentieux de l’annulation [v. par ex. pour les décisions de transfert forcé du détenu, CE, ass.,14 déc. 2007, Boussouar,n° 290730 : Rec. CE. 495 ; RDP 2009. 217, chron. C. Groulier ; Gaz. Pal., 9 août 2008. 24, chron. J.-L. Pissaloux et L. Minot ; D. 2008. 820, note M. Herzog‑Evans ; ibid. 1017, chron. É. Péchillon ; RFDA 2008. 87, concl. M. Guyomar ; AJDA 2008, p. 128, chron. J. Boucher et B. Bourgeois‑Machureau ; RSC 2008. 404, chron. P. Poncela] ou par l’usage des référés administratifs [v. par ex. pour l’usage du référé-liberté contre une mesure d’isolement pénitentiaire, CE, réf., 22 avr. 2010, min.justice et des libertés c. Mebarek, n° 338662 : Rec. CE. T : AJDA. 2010. 929, obs. S. Brondel ; D. 2011. 1306, chron. É. Pechillon ; AJP 2010. 299, obs. É. Pechillon ; RSC 2010 p. 645, chron. P. Poncela ; RFDA, 2013. 576, chron. L. Milano]. Le développement du contrôle de la dignité des conditions de détention permet désormais d’engager la responsabilité administrative de l’État [CE, sect., 6 déc. 2013, 6 arrêts, n° 363290,363291, 363292, 363293, 363294 et 363295 : Rec. CE ; AJDA 2014. 237, concl. D. Hedary ; Dr. admin. 2014, repère n° 3, obs. J-B. Auby ; AJP 2014,. 143, comm. É. Péchillon] ou de lui imposer des injonctions en amélioration des conditions de détention [v. par ex. CE, réf., 30juil. 2015, 392043, OIP-SF et Ordres desavocats au barreau de Nîmes : Rec. CE]. La judiciarisation progressive de l’aménagement des peines offre à l’avocat un rôle essentiel dans le procès devant les juridictions compétentes [v. pour le juge de l’application des peines, l’art. 712-6 du Code de procédure pénale, et pour le Tribunal de l’application des peines, l’art. 712-7 du Code de procédure pénale]. Aussi, le cas de la personne condamnée est aussi de plus en plus encadré par des principes supra-légaux, permettant l’usage de la question prioritaire de constitutionnalité [v. par ex. sur le travail pénitentiaire, Cons. const., déc. n° 2015-485 QPC du 25 sept. 2015, M.Johny M.] ou de la requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme. C’est une nouvelle demande sur le marché du droit qui a vu le jour, et qui mérite sans doute que des avocats ayant de solides compétences en la matière y répondent, même si le dénuement de la population pénale complique évidemment la rentabilisation de cette activité. Maître Etienne Noël, actif sur plusieurs de ces contentieux et souvent pionner [Notamment celui de l’aménagement de peine avec la suspension médicale de peine et celui de l’engagement de la responsabilité de l’État pour conditions indignes de détention], a montré que ce nouveau marché pouvait constituer pour un avocat, au moins, une belle vitrine.

dimanche 13 mars 2016

[obs.] Quoi de neuf dans le rapport annuel de la Cour européenne des droits de l’Homme ?



Le rapport annuel de la Cour européenne des droits de l’Homme (dans sa version provisoire) est arrivé depuis quelques semaines. On n’y trouvera pas d’innovation véritablement majeure concernant la matière de la privation de liberté, mais quelques arrêts recensés –pas tous, selon notre avis – méritent de courts développements, parce qu’ils permettent de mesurer l’état de la jurisprudence européenne sur des notions importantes, à savoir la vulnérabilité de la personne en état d’arrestation (1), les droits de la défense contre la privation de liberté (2), la détention de l’ « aliéné » auteur d’une infraction pénale (3), la fonction de l’Habeas corpus (4) et enfin – plus brièvement – les droits de la défense du suspect (5).