dimanche 12 juillet 2020

[obs.] Un arrêt remarquable : quand la Chambre criminelle consacre le droit de la personne détenue provisoirement à être libérée en cas de conditions matérielles de détention indignes [Cass. crim., 8 juil. 2020, n° 20-81.739]


1. Les temps modernes. À imaginer que le plus fin connaisseur de la jurisprudence de la Cour de cassation serait tombé dans le coma au début des années 2000, celui-ci n’en aurait surement pas cru ses yeux quand, tout récemment éveillé, il se serait mis à lire l’arrêt rendu par la Chambre criminelle le 8 juillet 2020 [n° 20-81.739], lequel dispose, notamment, que « dans le cas où la chambre de l’instruction constate une atteinte au principe de dignité à laquelle il n’a pas entre-temps été remédié, elle doit ordonner la mise en liberté de la personne ». Et cela tant en raison de la solution qu’en raison des procédés employés par la Chambre criminelle pour aboutir à cette solution.

A contrario, il ressort également de l’arrêt qu’« une […] atteinte à la dignité de la personne en raison des conditions de détention [peut] constituer un obstacle légal au placement ou au maintien en détention provisoire ». La Chambre criminelle ouvre donc tout simplement un nouveau cas de mise en liberté. La solution est remarquable : elle consacre, au moins en matière de détention provisoire, le droit de la personne privée de liberté à être libérer en cas de conditions matérielles de détention irrémédiablement indignes, et ce indépendamment de toute circonstance liée à sa personne, comme par exemple son état de santé, mais par référence uniquement aux conditions matérielles dégradées par la surpopulation ou encore la vétusté.

Il s’agit d’abord d’un spectaculaire  revirement de jurisprudence puisque très récemment encore et dans un arrêt destiné à être publié, la Chambre criminelle avait fermement décidé « qu’une éventuelle atteinte à la dignité de la personne en raison des conditions de détention, si elle est susceptible d’engager la responsabilité de la puissance publique en raison du mauvais fonctionnement du service public, ne saurait constituer un obstacle légal au placement et maintien en détention provisoire » [Cass. crim., 18 sept. 2019, n° 19-83.950]. Il s’agit tout simplement d’un changement de tropisme, tant il était ancré que la manière dont s’exécutait la privation de liberté n’était pas une condition de sa légalité sanctionnée par la libération [v. pour la détention provisoire Cass. crim., 8 nov. 1988, n° 88-85.185 : « les conditions matérielles dans lesquelles s'exécute la détention et qui seraient contraires aux recommandations des conventions internationales échappent à la compétence de la chambre d'accusation ». – Cass. crim., 27 janv. 1998, n° 97-86.014 : « la personne mise en examen [est] irrecevable à critiquer ses conditions de détention à l'occasion d'une demande de mise en liberté [alors que] celles-ci sont étrangères aux prévisions de l'article 144 du Code de procédure pénale ». – Cass. crim., 13 avr. 1999, n° 99-80.481. – Cass. crim., 29 fév. 2012, n° 11-88.441 : Bull. crim., n° 58 ; AJP, 2012. 471, note E. Senna ; RSC, 2013. 879, obs. X. Salvat ; Gaz. Pal., 19 juil. 2012. 17, avis G. Lacan], sauf incapacité à la détention, par exemple pour le détenu gravement malade ou mourant.