Un carnet de recherches. Ce blog a vocation à diffuser des informations juridiques glanées au cours de mon travail de veille, à réaliser de la vulgarisation, à introduire les axes de mes recherches ou encore à participer à la mise à jour de mes travaux précédents dans le domaine de la privation de liberté. Ce blog juridique est bien un carnet de recherches et son contenu un simple complément à mes quelques "travaux académiques".
samedi 28 février 2015
[biblio.] Doctrine : C. Escuillié, "Un encadrement cosmétique du renvoi des mineurs étrangers arbitrairement rattachés à des adultes accompagnants"
http://revdh.revues.org/1067#authors
mardi 24 février 2015
[bilio.] Doctrine : L. Friouret : "L’absence d’information des droits de la personne hospitalisée sous contrainte, un manquement sans incidence sur la légalité de la décision administrative" [comm. sous Cass. Civ. 1ère, 15 janvier 2015, n° 13-24361, publié au bulletin] ; ADL, févr. 2015
mardi 17 février 2015
[obs.] La reconnaissance de la compétence du juge judiciaire pour apprécier du défaut « de perspective raisonnable d’exécution de la mesure d’éloignement dans le délai restant à courir de la rétention » [Trib. Confl., 9 févr. 2015, M. H. c. Préfet de Seine-et-Marne, n° 3986]
L’affaire [Trib. Confl.,
9 févr. 2015, M. H. c. Préfet de
Seine-et-Marne, n° 3986] ne devrait pas véritablement prêter à
discussion tant sa solution, qui rend le juge des libertés et de la détention
compétent, lorsqu’il est saisi de la prolongation de la rétention
administrative de l’étranger, pour apprécier du défaut « de perspective d’exécution de la mesure d’éloignement
dans le délai restant à courir de la rétention », est logique, pour
poser la question du bien-fondé de la privation de liberté, de sa nécessité et
de sa proportionnalité, pour lequel le juge judiciaire bénéficie d’un monopole
établi par le Conseil constitutionnel, le Tribunal des conflits lui-même et le
juge judiciaire [Cons.
const., déc. n° 2010-71 QPC du 26 nov. 2010, [Mme S.] : J. O., 27 nov. 2010,
p. 21119 ; Dr. Famille,
2011, comm. n° 11, note I. Maria ;
RFDA, 2011, p. 951, chron. A. Pena ; JCP, 2011, n° 189, note K. Grabarczyk ;
AJDA, 2011, p. 174, X. Bioy ; consid. n° 37 :
« si, en l'état du droit applicable,
les juridictions de l'ordre judiciaire ne sont pas compétentes pour apprécier
la régularité de la procédure et de la décision administratives qui ont conduit
à une mesure d'hospitalisation sans consentement, la dualité des ordres de
juridiction ne limite pas leur compétence pour apprécier la nécessité de la
privation de liberté en cause » - T. confl., 6 avr. 1946, Sieur Machinot c. pft Police : Rec. CE, p. 326 : « s’il appartient à la juridiction
administrative de connaître de la régularité de la décision administrative par
laquelle l’autorité préfectorale ordonne un internement dans un établissement
d’aliénés, l’autorité judiciaire est seule compétente, en vertu de la loi du 30
juin 1838, pour apprécier la nécessité de cette mesure et les conséquences qui
peuvent en résulter » - Cass.
civ. I, 29 nov.1989, n° 87-18.660 : Bull.
civ. I, n° 370 ; « si
l'autorité judiciaire s'est vu conférer par l'article 35 bis de
l'ordonnance du 2 novembre 1945 l'appréciation de l'opportunité et de la
régularité des mesures de surveillance et de contrôle qui peuvent être prises
par l'autorité pour assurer le départ de l'étranger ayant fait l'objet d'un
refus d'autorisation d'entrée sur le territoire français, d'un arrêté
d'expulsion ou d'une mesure de reconduite à la frontière, elle est incompétente
pour se prononcer sur la régularité de la mesure de reconduite à la frontière
prise en application de l'ordonnance du 2 novembre 1945, hormis
l'existence d'une voie de fait »].
En matière de rétention
administrative, la loi rappelle que la durée de la rétention administrative ne doit
dépasser « le temps strictement
nécessaire à son départ », si bien que
« l'administration doit
exercer toute diligence à cet effet », réalisant elle-même le lien
entre le bien-fondé de la privation de liberté, l’existence de perspectives raisonnables
d’exécution de la mesure d’éloignement durant le délai de rétention et la diligence
des autorités à réaliser les opérations [art.
L. 551-4 CESEDA]. La jurisprudence de la Cour de cassation la plus récente
en la matière avait pourtant refusé au juge judiciaire d’opérer le contrôle du
respect des conditions posées par la disposition et de libérer en cas de
constat de l’absence de perspective raisonnable d’exécution de la mesure d’éloignement
dans le délai restant à courir de la rétention [Cass.
civ. I, 25 juin 2014, n° 13-23.940 : inédit ; « qu'en
procédant ainsi à une vérification des conditions de délai nécessaires au
départ prévu à l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des
étrangers et du droit d'asile, le premier président a porté une appréciation
sur la légalité de la décision administrative ordonnant le placement en
rétention administrative de [l’étranger],
partant excédé ses pouvoirs » - v. pour nos critiques de cette
solution, notre
chron., n° 43 – on notera que les conclusions
de B. Da Costa sur cette
affaire tranchée par le Tribunal des conflits ont minimisé la portée de cet
arrêt, notant que concernant le cas d’un étranger ayant réalisé un recours
devant la Cour nationale du droit d’asile, l’appréciation des perspectives d’éloignement
pendant le délai de la rétention par le juge judiciaire revenait bien à
apprécier la légalité de la décision administrative de placement en rétention,
laissant la possibilité pour cette jurisprudence de perdurer, dans ce cas
particulier seulement]. Le juge des libertés et de la détention avait en l’espèce
réalisé la même appréciation restrictive de sa propre compétence naturelle, tandis
que le juge administratif saisi en référé-liberté avait renvoyé l’affaire devant
le Tribunal des conflits, « estimant
que le maintien en rétention résultait d’une décision du juge judiciaire et que
le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile attribuait
compétence à ce dernier pour y mettre fin ».
Au regard de la
décision, il revient en conséquence au juge judiciaire de vérifier que la
détention de l’étranger ne dépasse pas le temps strictement nécessaire à son
départ, au regard de l’existence d’une perspective raisonnable d’exécution de
la mesure d’éloignement dans le délai restant à courir de la rétention, notion
issue directement de l’article 15-4 de la Directive « retour » du 16 décembre 2008 [« lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement
pour des considérations d’ordre juridique ou autres ou que les conditions
énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus
et la personne concernée est immédiatement remise en liberté »], mais
aussi, du fait du raisonnement mené sur l’article L. 551-4 du Code de l’entrée
et du séjour des étrangers et du droit d’asile sans distinction entre ses deux
phrases, d’assurer le contrôle des diligences de l’administration [v. sur la
jurisprudence plus ancienne de la Cour de cassation autorisant le juge
judiciaire du fond à réaliser ce contrôle, Cass.
civ. II, 30 nov. 2000, n° 99-50.085 : Bull.
civ. II, n° 158 et Cass.
civ. I, 16 juin 2011, n° 10-18.226 : Bull.
civ. I ; Rev. crit. DIP, 2012, p.
82, obs. S. Corneloup].
De manière plus
générale, le Tribunal des conflits semble définitivement fermer toute
possibilité pour le juge administratif, notamment saisi en référé, de libérer l’étranger
retenu : « il résulte de ce qui
précède que le juge judiciaire est seul compétent pour mettre fin à la
rétention lorsqu’elle ne se justifie plus pour quelque motif que ce soit ».
Alors que le juge judicaire est incompétent pour apprécier de la légalité des
décisions administratives fondant la détention de l’étranger, les référés
administratifs ne peuvent définitivement pas combler les lacunes de l’article L.
512-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile,
qui prévoit un contrôle à 72 heures par le juge administratif et pour certains
cas des décisions administratives fondant la rétention de l’étranger [on notera
toutefois que le Conseil d’État défend une application large du champ de la
disposition pour avoir reconnu récemment son application à l’étranger retenu en
vue de sa remise, en application de l'article L.
531-1 CESEDA, aux autorités compétentes de l'État membre qui l'a admis à
entrer ou à séjourner sur son territoire ; CE,
sect., 30 déc. 2013, Bashardost, n° 367533 : Rec. CE].
Enfin, fidèle à sa
jurisprudence traditionnelle, on pourra regretter que le Tribunal des conflits
fonde la compétence judiciaire sur les réserves d’interprétation formulées par
le Conseil constitutionnel dans ses examens de la législation des étrangers [Cons.
const., déc. n° 2003‑484 DC du 20 nov. 2003 portant sur la loi relative à la maîtrise de l’immigration,
au séjour des étrangers en France et à la nationalité : J.
O., 27 nov. 2003, p. 20154 : Gaz.
Pal., 2005, doct., p. 685, comm. J.
Boyer ; consid. n° 51 ; LPA,
20 janv. (partie I) et 21 janv. (partie II) 2004, p. 10, comm. J.‑É. Schoettl ; consid.
n° 66 : « l'étranger ne
peut être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son
départ, l'administration devant exercer toute diligence à cet effet ; que
l'autorité judiciaire conserve la possibilité d'interrompre à tout moment la
prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande
de l'étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient »
- v. pour une formule approchante, Cons.
const., déc. n° 2011-631 DC du 9 juin 2011 portant sur la loi
relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité : J. O., 17 juin 2011,
p. 10306 ; AJDA, 2011, p.
1174, obs. M.-C. de Montecler ;
Constitutions, 2012, p. 597,
obs. V. Tchen ; consid.
n° 75], plutôt que directement sur le fondement de l’article 66 de la
Constitution, visé au même titre que l’article 62 de la Constitution mais
absent du corps du raisonnement, le caractère attributif de compétence de la première disposition au
profit du juge judiciaire, d’une façon ou d’une autre, étant toujours minoré.
lundi 16 février 2015
[veille] doctrine : Th. Hochmann, "La pilosité carcérale devant la Cour suprême des Etats-Unis" ; RDLF, chron., n° 6
http://www.revuedlf.com/droit-constitutionnel/la-pilosite-carcerale-devant-la-cour-supreme-des-etats-unis/
[obs.] L’application constitutionnelle du bref délai à la Chambre de l’instruction saisie après cassation en matière de détention provisoire [à propos de Cons. const., déc. n° 2014-446 QPC du 29 janv. 2015, [M. Maxime T.] : J. O., 31 janv. 2015, p. 1502]
1.
L’application constitutionnelle du bref délai à la Chambre de l’instruction
saisie après cassation en matière de détention provisoire. Le droit
français organise un contrôle vertical [impliquant plusieurs degrés de
juridiction] et horizontal [impliquant périodiquement le juge de premier degré]
de la légalité de la détention provisoire, dépassant ainsi la Convention
européenne des droits de l’Homme [la Convention exige un contrôle horizontal
périodique, au regard de son article 5 § 4, mais celui-ci n’impose pas
l’adoption d’un double degré de juridiction ; v. infra, n° 3] : ainsi, le prévenu peut à tout moment demander
sa mise en liberté [art.
148 CPP], comme il peut former appel devant la chambre de
l’instruction de la décision ordonnant son placement en détention, rejetant sa
mise en liberté ou prolongeant sa détention provisoire aux échéances légales [art.
194 CPP], et former un pourvoi contre l’arrêt de la chambre
de l’instruction le maintenant en détention provisoire [art.
567-2 du CPP]. Les différentes dispositions précitées
obligent les différents juges à trancher la contestation du maintien en
détention provisoire dans un délai impératif dont le dépassement est sanctionné
de la mise en liberté d’office. Cependant, aucune disposition légale expresse
n’encadre le délai dans lequel la Chambre de l’instruction, saisie après
cassation en matière de détention provisoire, doit trancher la question du
maintien en privation de liberté, l’interprétation littérale de l’article 194
du Code de procédure, qui prévoit qu’« en
matière de détention provisoire, la chambre de l'instruction doit se prononcer
dans les plus brefs délais et au plus tard dans les dix jours […] lorsqu'il s'agit d'une ordonnance de
placement en détention et dans les quinze jours dans les autres cas »,
excluant l’application de la disposition à cette hypothèse, pour viser
expressément « l’appel »,
solution adoptée dans une jurisprudence constante par la Chambre criminelle [Cass.
crim., 21 nov. 1968, n° 68-92.213 : Bull. crim., n° 311 – Cass.
crim., 27 mars 2001, n° 01-80.549 : inédit - Cass.
crim., 10 avril 2002, n° 02-80.886 : inédit - Cass.
crim., 8 juil. 2009, n° 09-82.492 : inédit - Cass.
crim., 24 mai 2011, n° 11-81.118 : inédit]. À défaut de précision légale, la
célérité, dans laquelle la chambre de l’instruction saisie par renvoi après
cassation tranchait la question de la détention provisoire, était très variable
selon les cas [l’avocat d’un des demandeurs dans
ses observations orales devant le Conseil constitutionnel
évoquait dans une affaire un délai de douze jours et dans une autre un délai de
six mois]. Dans le cadre d’une question prioritaire constitutionnalité contestant
ce défaut au regard des principes plaçant la privation de liberté sous le
contrôle du juge judiciaire [v. pour la décision de renvoi, Cass.
crim., 12 nov. 2014, n° 14-86.016 : inédit], le Conseil constitutionnel a
conclu à l’absence de violation de la Constitution, tout en posant une réserve
d’interprétation, rappelant « qu'en
matière de privation de liberté, le droit à un recours juridictionnel effectif
impose que le juge judiciaire soit tenu de statuer dans les plus brefs délais »
et qu’en conséquence, « il
appartient aux autorités judiciaires, sous le contrôle de la Cour de cassation,
de veiller au respect de cette exigence y compris lorsque la chambre de
l'instruction statue sur renvoi de la Cour de cassation » [Cons.
const., déc. n° 2014-446 QPC du 29 janv. 2015, [M. Maxime T.] : J. O., 31 janv. 2015, p. 1502 ; le Conseil constitutionnel
avait été saisi d’un autre grief, tenant à l’atteinte au principe d’égalité,
également rejeté, problème qui ne sera pas traité dans ces lignes]. Le Conseil
constitutionnel a donc choisi de ne pas forcer le législateur à se saisir de la
question, mais plutôt de remédier lui-même à la lacune législative par une
réserve d’interprétation, peut-être au regard du caractère exceptionnel d’une
telle situation, alors même que la Cour de cassation, dans
son rapport annuel de 2013, avait suggéré une modification de
la loi en la matière, simple proposition que le Conseil constitutionnel a
reprise à son compte dans son considérant final [déc. n° 2014-446 QPC du 29
janv. 2015 : préc. ;
consid. n° 14 : « considérant
qu'il est loisible au législateur de modifier les dispositions législatives
contestées pour préciser les délais dans lesquels la chambre de l'instruction
statue en matière de détention provisoire lorsqu'elle est saisie sur renvoi de
la Cour de cassation »]. Une telle solution, finalement peu
surprenante, mérite toutefois quelques rapides observations, ne serait-ce que
pour mesurer l’incidence du pont ainsi créé entre la jurisprudence
constitutionnelle et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’Homme, par la notion de bref délai,
issue de l’article 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Nous reviendrons d’abord sur les effets du constat de l’irrégularité de la
décision judiciaire de rang inférieur prononçant ou maintenant en détention
provisoire par la juridiction supérieure saisie d’un recours contre la légalité
de celle-ci (n° 2), ensuite sur les
contours de la constitutionnalisation de la notion de bref délai (n° 3) et
enfin sur les effets de l’application du bref
délai à la chambre de l’instruction saisie sur renvoi après cassation de la
question du maintien en privation de liberté (n° 4).
Libellés :
[obs.],
5 § 4 CEDH,
CEDH,
Cons. const.,
contrôle judiciaire,
détention provisoire,
légalité,
libération,
QPC,
recours à bref délai,
Tribunal,
vice de forme
samedi 7 février 2015
[obs.] Que reste-t-il de l’arrêt de Grande chambre Vinter ? [à propos de CEDH, sect. IV, 3 févr. 2015, Hutchinson c. Royaume-Uni, req. n° 57592/08]
1. La peine
perpétuelle répressive de droit britannique [à la différence de la peine
perpétuelle sécable, la peine
perpétuelle répressive conserve
durant tout son cours l’objectif de punition et elle n’est donc pas soumise à
révision judiciaire au cours de son exécution sur le fondement de l’article 5 §
4 de la Convention ; dans le communiqué de presse concernant l’affaire Hutchinson, le greffe s’est référé à la
notion de perpétuité réelle, pourtant
impropre, dès lors que la peine de facto et
de jure incompressible constitue par
nature un traitement inhumain et dégradant ; v. sur la distinction entre
peine perpétuelle répressive et peine
perpétuelle sécable, nos obs., ici,
n° 1] avait donné lieu à un arrêt de Grande chambre de violation d’importance, aboutissant
à un meilleur encadrement de cette peine sur le fondement de l’article 3, par
le dégagement, au cours d’un long raisonnement caractérisé par de nombreuses
précautions sémantiques, d’un droit au réexamen bénéficiant au détenu [CEDH,
gde ch., 9 juil. 2013, Vinter et autre c.
Royaume-Uni, req. nos 66069/09, 130/10 et 3896/10 : Rec. CEDH, 2013 ; D., actu., 12 juil. 2013, obs. M. Léna ; ibid., 2013, p. 2081, note J.‑F. Renucci ; ibid.,
p. 2713, chron. G. Roujou de Boubée ; ibid.,
2014, p. 1235, chron. J.-P. Céré ;
RFDA, 2014, p. 538, chron. L. Labayle ; AJP, 2013, p. 494, obs. D. van Zyl Smit ; RSC, 2013, p. 625, chron. P. Poncela ; ibid., p. 649, obs. D. Roets
; Dr. pénal, 2013, comm. n° 165, obs.
É. Bonis-Garçon ; ibid., 2014, chron. n° 3, obs. V. Peltier ; ibid., chron. n° 4, chron. E. Dreyer ; JCP, 2014, n° 970, obs. L.
Milano ; ibid., 2013, n° 918,
obs. F. Sudre ; § 110 et s.]. Alors que la jurisprudence
appréciait auparavant la compatibilité de la perpétuité répressive à la simple existence d’une chance de facto et de jure d’être
libéré, même discrétionnaire [v. pour la validation d’une peine perpétuelle répressive en raison de l’existence d’un
droit de grâce discrétionnaire offrant une chance d’être libéré, CEDH,
gde ch., 12 févr. 2008, Kafkaris c. Chypre, req. n° 21906/04 : Rec.
CEDH, 2008 : RSC, 2008, p. 692, obs. D. Roets ; § 97], le droit au réexamen oblige les
autorités à contrôler la persistance d’« un motif légitime d’ordre pénologique »
[Vinter, gde ch. : préc. ; § 119] justifiant le
maintien de la peine au cours de son exécution. Ce critère a été précisé par la
jurisprudence ultérieurement : le dispositif national ayant « précisément pour but de se prononcer sur
[la] dangerosité [du condamné] et de prendre en compte son évolution au
cours de l’exécution de sa peine » répond aux exigences conventionnelles [CEDH,
sect. V, 13 nov. 2014, Bodein c. France, req.
n° 40014/10 : § 60]. En revanche, le droit au réexamen ne saurait se
confondre avec l’existence d’une simple mesure de libération humanitaire pour
motif d’ordre médical [Vinter : préc. ; § 127 – Bodein, préc., § 59 – CEDH,
sect. II, 18 mars 2014, Ocalan c. Turquie (n° 2), req. nos 24069/03,
197/04 et 6201/06 : D., 2014, p. 1235, chron.
J.-P . Cere ; § 203].
D’autre part, le droit au réexamen est exigible pour la première fois au bout
d’un temps d’épreuve de vingt-cinq ans, puis périodiquement [Vinter : préc. ; § 120]. Enfin, dans un nouvel apport au mouvement plus
général de la prise en compte croissante de la sécurité juridique en matière de
privation de liberté [v. pour la rétention de sûreté, CEDH,
sect. V, 17 déc. 2009, M. c. Allemagne,
req. n° 19359/04, et pour l’aménagement des peines, CEDH,
gde ch., 21 oct. 2013, Del Rio Prada c. Espagne,
req. n° 42750/09], le droit au réexamen doit être prévu par une loi de qualité
dès le début de l’exécution de la peine perpétuelle répressive [Vinter, gde
ch., préc., § 122]. Le droit au
réexamen découvert sur le fondement de l’article 3 prend tous les atours du
droit de recours devant le Tribunal de l’article 5 § 4, si ce n’est, qu’au nom
de la marge d’appréciation, la Cour européenne des droits de l’Homme laisse le
choix aux États d’en saisir un organe juridictionnel ou administratif [ibid., § 120]. C’est dire que cette jurisprudence
portait les germes d’un encadrement sévère de la perpétuité répressive, peine servant de substitut à
la peine de mort, d’autant plus que les nouvelles exigences du droit au réexamen
étaient mises en exergue, après de longues justifications, dans une subdivision
spécifique [« 3. Conclusion générale
concernant les peines de réclusion à perpétuité »].
Libellés :
[obs.],
3 CEDH,
5 § 4 CEDH,
CEDH,
dignité,
droit au réexamen,
libération,
libération conditionnelle,
ordre public,
peine,
perpétuité,
proportionnalité
mercredi 4 février 2015
[biblio.] Rapport : Parution du Rapport annuel de la Cour européenne des droits de l’Homme pour l’année 2014
La parution
électronique du Rapport annuel de la Cour européenne des droits de l’Homme pour l’année 2014, dans
une version encore provisoire, est l’occasion de revenir sur les différents
arrêts importants – ou du moins ceux jugés comme tels par la Cour et figurant
dans l’« aperçu de la jurisprudence »
– de l’année passée en matière de privation de liberté. Si ces arrêts apportent
le plus souvent de simples précisions à des raisonnements éprouvés, ils
rappellent aussi l’implication de très nombreuses dispositions de la Convention
dans l’encadrement de la privation de liberté. Si l’article 5, pourtant spécialisé
en la matière, en souffre peut-être quant à son enrichissement, il reste l’un
des fondements les plus fertiles en condamnation, signe le plus évident des
progrès restant à réaliser en Europe en matière de privation de liberté [en
2014, la Cour européenne des droits de l’Homme a retenu 212 violations de
l’article 5 sur un total de 756 arrêts constatant au moins une violation de la
Convention, et seuls les articles 3 – 248 – et 6 – 313 – ont fondé un nombre
plus important de constat de violation ; rap. p. 179].
D’abord, les arrêts
relatifs à la privation de liberté ont permis plusieurs apports à la
délimitation de la compétence et à la définition des conditions de
recevabilité, dans le sens de l’extension du champ d’action de la Cour,
principalement du fait de l’usage de la privation de liberté dans les conflits
internationaux auxquels participent des États tiers à la Convention [v. concernant
l’arrestation et la détention d’un combattant national durant les opérations
militaires de 2003 dirigées en Irak par les forces américaines et britanniques,
Hassan
c. Royaume-Uni [GC], n° 29750/09,
CEDH, 2014, rap. p. 84 ; v. concernant la
détention secrète et la torture de personnes suspectées de terrorisme en
Pologne par les autorités américaines, Al
Nashiri c. Pologne, no
28761/11, 24 juil. 2014 et Husayn
(Abu Zubaydah) c. Pologne, no
7511/13, 24 juil. 2014, rap. p. 85 ; v. concernant
l’inapplication de la condition de l’épuisement des voies de recours, s’agissant
de la pratique administrative d’arrestation, de détention et d’expulsion de
ressortissants géorgiens par la Russie, Géorgie
c. Russie (no 1)
[GC], no 13255/07, CEDH, 2014, rap. p. 87 et
nos obs. ici
et là].
D’autres arrêts ont
apporté des précisions quant à l’étendue des obligations positives mises à la
charge des États pour protéger la vie [v. pour une limitation de l’obligation
positive de l’État, qui ne saurait constituer une obligation de résultat quant
à la prohibition de la circulation de produits stupéfiants en prison,
concernant le décès d’un détenu par overdose, Marro
et autres c. Italie (déc.),
no 29100/07, 8 avr. 2014, rap. p. 92] ou la
santé [v. concernant le traitement médical défectueux d’un détenu,
notamment au regard des effets secondaires de celui-ci, qui avait créé une
dépendance, Budanov
c. Russie, no
66583/11, 9 janv. 2014, rap. p. 103] des détenus.
Des arrêts signalés
reviennent sur le contrôle de mesures de sécurité particulièrement sévères
appliquées à des personnes privées de liberté : si la Cour s’est montrée stricte
quant à la pratique de la comparution au tribunal dans une cage en métal, au
point pratiquement de la considérer par principe comme contraire à l’article 3,
alors que ses constats de violation antérieurs étaient plus mesurés [Svinarenko
et Slyadnev c. Russie [GC],
nos 32541/08 et 43441/08, CEDH, 2014, rap. p. 101],
elle a appliqué plus classiquement sur le même fondement un contrôle de
proportionnalité entre l’atteinte à la dignité provoquée et le gain pour la
sûreté obtenu concernant le port de vêtements scellés par des détenus isolés, destiné
à éviter toute détention de drogue [Lindström
et Mässeli c. Finlande, no
24630/10, 14 janv. 2014, rap. p. 103], dans un
raisonnement plus lâche rappelant son contrôle du port des menottes.
La Cour européenne
des droits de l’Homme a aussi poursuivi son encadrement de la perpétuité réelle autour de la notion du
droit au réexamen, établie sur le fondement de l’article 3 dans l’arrêt de
Grande
chambre Vinter de 2013, qu’il
s’agisse du contentieux de l’extradition vers un pays pratiquant une telle
peine [Trabelsi
c. Belgique, no
140/10, 4 sept. 2014, rap. p. 104] ou du
contentieux de l’infliction d’une telle peine par un État partie à la
Convention [Harakchiev
et Tolumov c. Bulgarie, nos
15018/11 et 61199/12, CEDH, 2014, rap. p. 106 et nos obs. ici
et là], ces deux arrêts montrant des progrès dans l’intensité du contrôle,
même si la marge d’appréciation des États en la matière reste importante, comme
l’a montré la même année l’arrêt Bodein,
non rapporté [v. notre comm. de celui-ci ici].
Un tel recensement
rappelle l’importance cruciale de l’article 3 de la Convention européenne des
droits de l’Homme concernant la protection des droits des personnes privées de
liberté [v. pour une illustration de différents contrôles de la privation de
liberté réalisés par la Cour européenne des droits de l’Homme sur ce fondement,
Harakchiev
et Tolumov, préc., la Cour y assurant sur ce fondement le
contrôle de la dignité des conditions matérielles de détention, de l’isolement
pénitentiaire et du caractère compressible
de la peine perpétuelle].
Seuls deux arrêts
cités concernent l’article 5. Le premier reconnaît, dans un raisonnement
original, l’atténuation de l’application des garanties de la disposition pour
la personne détenue par des autorités agissant dans le cadre du droit
international humanitaire [Hassan, préc., rap. p. 108]. Le second, peut-être le plus important de
l’année dans notre matière, concerne l’application d’une exigence de célérité
renforcée à l’intervention du Tribunal, saisi par la personne privée de liberté
sur le fondement de l’article 5 § 4, lorsqu’elle réalise le premier contrôle
judiciaire de la détention, solution marquant un pas décisif vers la généralisation
de l’Habeas corpus : le Tribunal
doit intervenir dans ce cas avec une célérité s’approchant d’« aussitôt », notion contenue à
l’article 5 § 3 et applicable, selon le texte, uniquement au premier contrôle
judiciaire de la privation de liberté du suspect, plutôt qu’à « bref délai », l’exigence textuelle
réservée désormais aux interventions ultérieures [Shcherbina
c. Russie, no 41970/11,
26 juin 2014, rap. p. 110 et notre comm. ici ; la mention de l’arrêt au rapport rappelle son intérêt, alors qu’un
faible niveau d’importance lui avait été attribué à sa publication et que le collège
a rejeté son renvoi en Grande chambre].
D’autres
dispositions ont aussi servi, dans des raisonnements classiques, au contrôle de
la privation de liberté, qu’il s’agisse de l’article 8, concernant le contrôle
de la proportionnalité de l’ingérence causée à ce droit du détenu par rapport
au gain obtenu par les autorités pour la sécurité [v. pour la sanction de
l’interdiction de mener des conversations téléphoniques dans la langue
maternelle du détenu kurde, Nusret
Kaya et autres c. Turquie, nos
43750/06 et autres, CEDH, 2014, rap. p. 137], ou de
l’article 10, concernant, par exception, le contrôle de la proportionnalité des
peines privatives de liberté à temps prononcées pour réprimer des
manifestations protégées par la disposition [v. pour la sanction d’une peine de
treize ans d’emprisonnement réprimant le versement de peinture sur cinq statues
de Kemal Atatürk, Murat
Vural c. Turquie, no 9540/07,
21 oct. 2014, rap. p. 143 ; v. pour l’admission de
peines d’emprisonnement d’un total cumulé de sept ans, prononcées et purgées en
répression du comportement réitéré de l’individu, qui se montrait nu dans des
lieux publics, Gough
c. Royaume-Uni, no
49327/11, 28 oct. 2014, rap. p. 143].
De manière plus
originale, dans une jurisprudence dont la portée reste à préciser, au regard de
la courte durée de la peine d’emprisonnement prononcée en l’espèce et du
constat dans le même arrêt de sa disproportion sur le fondement de l’article
10, la Cour a estimé que l’exécution totale de la peine privative de liberté
avant que la juridiction saisie en appel ne se soit prononcée violait le droit
à un double degré de juridiction en matière pénale consacré à l’article 2 du
Protocole n° 7 [Shvydka
c. Ukraine, no
17888/12, 30 oct. 2014].
Enfin, les outils
conventionnels visant à assurer l’effectivité de la jurisprudence européenne
ont été employés en matière de la privation de liberté, qu’il s’agisse du
contrôle des mesures étatiques prises après l’adoption d’un arrêt-pilote pour
remédier aux conditions matérielles de détention indignes généralisées [Stella
et autres c. Italie (déc.), no
49169/09, 16 sept. 2014, rap. p. 82], qu’il s’agisse de
l’adoption de mesures individuelles [v. pour une utilisation innovante destinée
à empêcher que le requérant ne subisse à l’avenir une nouvelle détention
défectueuse, alors qu’il se trouvait, à la sortie de la première privation de
liberté, dans la même situation qui avait entraîné son arrestation, Kim
c. Russie, no
44260/13, 17 juil. 2014, rap. p. 163 ; v. pour une
application plus classique, concernant le détenu gravement malade, visant à lui
apporter un traitement médical adéquat et à surveiller son état, Amirov
c. Russie, no 51857/13,
27 nov. 2014, rap. p. 165] ou qu’il s’agisse du contrôle
du respect de la mesure provisoire précédemment adoptée [v. pour la sanction de
l’État qui n’a pas respecté l’obligation de procéder à une expertise médicale
indépendante pour apprécier la compatibilité de l’état de santé du détenu avec
la détention, Amirov, préc., rap.
p. 165].
dimanche 1 février 2015
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