mardi 17 février 2015

[obs.] La reconnaissance de la compétence du juge judiciaire pour apprécier du défaut « de perspective raisonnable d’exécution de la mesure d’éloignement dans le délai restant à courir de la rétention » [Trib. Confl., 9 févr. 2015, M. H. c. Préfet de Seine-et-Marne, n° 3986]


L’affaire [Trib. Confl., 9 févr. 2015, M. H. c. Préfet de Seine-et-Marne, n° 3986] ne devrait pas véritablement prêter à discussion tant sa solution, qui rend le juge des libertés et de la détention compétent, lorsqu’il est saisi de la prolongation de la rétention administrative de l’étranger, pour apprécier du défaut « de perspective d’exécution de la mesure d’éloignement dans le délai restant à courir de la rétention », est logique, pour poser la question du bien-fondé de la privation de liberté, de sa nécessité et de sa proportionnalité, pour lequel le juge judiciaire bénéficie d’un monopole établi par le Conseil constitutionnel, le Tribunal des conflits lui-même et le juge judiciaire [Cons. const., déc. n° 2010-71 QPC du 26 nov. 2010, [Mme S.] : J. O., 27 nov. 2010, p. 21119 ; Dr. Famille, 2011, comm. n° 11, note I. Maria ; RFDA, 2011, p. 951, chron. A. Pena ; JCP, 2011, n° 189, note K. Grabarczyk ; AJDA, 2011, p. 174, X. Bioy ; consid. n° 37 : « si, en l'état du droit applicable, les juridictions de l'ordre judiciaire ne sont pas compétentes pour apprécier la régularité de la procédure et de la décision administratives qui ont conduit à une mesure d'hospitalisation sans consentement, la dualité des ordres de juridiction ne limite pas leur compétence pour apprécier la nécessité de la privation de liberté en cause » - T. confl., 6 avr. 1946, Sieur Machinot c. pft Police : Rec. CE, p. 326 : « s’il appartient à la juridiction administrative de connaître de la régularité de la décision administrative par laquelle l’autorité préfectorale ordonne un internement dans un établissement d’aliénés, l’autorité judiciaire est seule compétente, en vertu de la loi du 30 juin 1838, pour apprécier la nécessité de cette mesure et les conséquences qui peuvent en résulter » - Cass. civ. I, 29 nov.1989, n° 87-18.660 : Bull. civ. I, n° 370 ; « si l'autorité judiciaire s'est vu conférer par l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 l'appréciation de l'opportunité et de la régularité des mesures de surveillance et de contrôle qui peuvent être prises par l'autorité pour assurer le départ de l'étranger ayant fait l'objet d'un refus d'autorisation d'entrée sur le territoire français, d'un arrêté d'expulsion ou d'une mesure de reconduite à la frontière, elle est incompétente pour se prononcer sur la régularité de la mesure de reconduite à la frontière prise en application de l'ordonnance du 2 novembre 1945, hormis l'existence d'une voie de fait »].
En matière de rétention administrative, la loi rappelle que la durée de la rétention administrative ne doit dépasser « le temps strictement nécessaire à son départ », si bien que  « l'administration doit exercer toute diligence à cet effet », réalisant elle-même le lien entre le bien-fondé de la privation de liberté, l’existence de perspectives raisonnables d’exécution de la mesure d’éloignement durant le délai de rétention et la diligence des autorités à réaliser les opérations [art. L. 551-4 CESEDA]. La jurisprudence de la Cour de cassation la plus récente en la matière avait pourtant refusé au juge judiciaire d’opérer le contrôle du respect des conditions posées par la disposition et de libérer en cas de constat de l’absence de perspective raisonnable d’exécution de la mesure d’éloignement dans le délai restant à courir de la rétention [Cass. civ. I, 25 juin 2014, n° 13-23.940 : inédit ; « qu'en procédant ainsi à une vérification des conditions de délai nécessaires au départ prévu à l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le premier président a porté une appréciation sur la légalité de la décision administrative ordonnant le placement en rétention administrative de [l’étranger], partant excédé ses pouvoirs » - v. pour nos critiques de cette solution, notre chron., n° 43 – on notera que les conclusions de B. Da Costa sur cette affaire tranchée par le Tribunal des conflits ont minimisé la portée de cet arrêt, notant que concernant le cas d’un étranger ayant réalisé un recours devant la Cour nationale du droit d’asile, l’appréciation des perspectives d’éloignement pendant le délai de la rétention par le juge judiciaire revenait bien à apprécier la légalité de la décision administrative de placement en rétention, laissant la possibilité pour cette jurisprudence de perdurer, dans ce cas particulier seulement]. Le juge des libertés et de la détention avait en l’espèce réalisé la même appréciation restrictive de sa propre compétence naturelle, tandis que le juge administratif saisi en référé-liberté avait renvoyé l’affaire devant le Tribunal des conflits, « estimant que le maintien en rétention résultait d’une décision du juge judiciaire et que le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile attribuait compétence à ce dernier pour y mettre fin ».
Au regard de la décision, il revient en conséquence au juge judiciaire de vérifier que la détention de l’étranger ne dépasse pas le temps strictement nécessaire à son départ, au regard de l’existence d’une perspective raisonnable d’exécution de la mesure d’éloignement dans le délai restant à courir de la rétention, notion issue directement de l’article 15-4 de la Directive « retour » du 16 décembre 2008 [« lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté »], mais aussi, du fait du raisonnement mené sur l’article L. 551-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile sans distinction entre ses deux phrases, d’assurer le contrôle des diligences de l’administration [v. sur la jurisprudence plus ancienne de la Cour de cassation autorisant le juge judiciaire du fond à réaliser ce contrôle, Cass. civ. II, 30 nov. 2000, n° 99-50.085 : Bull. civ. II, n° 158 et Cass. civ. I, 16 juin 2011, n° 10-18.226 : Bull. civ. I ; Rev. crit. DIP, 2012, p. 82, obs. S. Corneloup].
De manière plus générale, le Tribunal des conflits semble définitivement fermer toute possibilité pour le juge administratif, notamment saisi en référé, de libérer l’étranger retenu : « il résulte de ce qui précède que le juge judiciaire est seul compétent pour mettre fin à la rétention lorsqu’elle ne se justifie plus pour quelque motif que ce soit ». Alors que le juge judicaire est incompétent pour apprécier de la légalité des décisions administratives fondant la détention de l’étranger, les référés administratifs ne peuvent définitivement pas combler les lacunes de l’article L. 512-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui prévoit un contrôle à 72 heures par le juge administratif et pour certains cas des décisions administratives fondant la rétention de l’étranger [on notera toutefois que le Conseil d’État défend une application large du champ de la disposition pour avoir reconnu récemment son application à l’étranger retenu en vue de sa remise, en application de l'article L. 531-1 CESEDA, aux autorités compétentes de l'État membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire ; CE, sect., 30 déc. 2013, Bashardost, n° 367533 : Rec. CE].

Enfin, fidèle à sa jurisprudence traditionnelle, on pourra regretter que le Tribunal des conflits fonde la compétence judiciaire sur les réserves d’interprétation formulées par le Conseil constitutionnel dans ses examens de la législation des étrangers [Cons. const., déc. n° 2003‑484 DC du 20 nov. 2003 portant sur la loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité : J. O., 27 nov. 2003, p. 20154 : Gaz. Pal., 2005, doct., p. 685, comm. J. Boyer ; consid. n° 51 ; LPA, 20 janv. (partie I) et 21 janv. (partie II) 2004, p. 10, comm. J.‑É. Schoettl ; consid. n° 66 : « l'étranger ne peut être maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, l'administration devant exercer toute diligence à cet effet ; que l'autorité judiciaire conserve la possibilité d'interrompre à tout moment la prolongation du maintien en rétention, de sa propre initiative ou à la demande de l'étranger, lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient » - v. pour une formule approchante, Cons. const., déc. n° 2011-631 DC du 9 juin 2011 portant sur la loi relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité : J. O., 17 juin 2011, p. 10306 ; AJDA, 2011, p. 1174, obs. M.-C. de Montecler ; Constitutions, 2012, p. 597, obs. V. Tchen ; consid. n° 75], plutôt que directement sur le fondement de l’article 66 de la Constitution, visé au même titre que l’article 62 de la Constitution mais absent du corps du raisonnement, le caractère attributif de compétence de la première disposition au profit du juge judiciaire, d’une façon ou d’une autre, étant toujours minoré.

lundi 16 février 2015

[veille] doctrine : Th. Hochmann, "La pilosité carcérale devant la Cour suprême des Etats-Unis" ; RDLF, chron., n° 6

http://www.revuedlf.com/droit-constitutionnel/la-pilosite-carcerale-devant-la-cour-supreme-des-etats-unis/

[obs.] L’application constitutionnelle du bref délai à la Chambre de l’instruction saisie après cassation en matière de détention provisoire [à propos de Cons. const., déc. n° 2014-446 QPC du 29 janv. 2015, [M. Maxime T.] : J. O., 31 janv. 2015, p. 1502]


1. L’application constitutionnelle du bref délai à la Chambre de l’instruction saisie après cassation en matière de détention provisoire. Le droit français organise un contrôle vertical [impliquant plusieurs degrés de juridiction] et horizontal [impliquant périodiquement le juge de premier degré] de la légalité de la détention provisoire, dépassant ainsi la Convention européenne des droits de l’Homme [la Convention exige un contrôle horizontal périodique, au regard de son article 5 § 4, mais celui-ci n’impose pas l’adoption d’un double degré de juridiction ; v. infra, n° 3] : ainsi, le prévenu peut à tout moment demander sa mise en liberté [art. 148 CPP], comme il peut former appel devant la chambre de l’instruction de la décision ordonnant son placement en détention, rejetant sa mise en liberté ou prolongeant sa détention provisoire aux échéances légales [art. 194 CPP], et former un pourvoi contre l’arrêt de la chambre de l’instruction le maintenant en détention provisoire [art. 567-2 du CPP]. Les différentes dispositions précitées obligent les différents juges à trancher la contestation du maintien en détention provisoire dans un délai impératif dont le dépassement est sanctionné de la mise en liberté d’office. Cependant, aucune disposition légale expresse n’encadre le délai dans lequel la Chambre de l’instruction, saisie après cassation en matière de détention provisoire, doit trancher la question du maintien en privation de liberté, l’interprétation littérale de l’article 194 du Code de procédure, qui prévoit qu’« en matière de détention provisoire, la chambre de l'instruction doit se prononcer dans les plus brefs délais et au plus tard dans les dix jours […] lorsqu'il s'agit d'une ordonnance de placement en détention et dans les quinze jours dans les autres cas », excluant l’application de la disposition à cette hypothèse, pour viser expressément « l’appel », solution adoptée dans une jurisprudence constante par la Chambre criminelle [Cass. crim., 21 nov. 1968, n° 68-92.213 : Bull. crim., n° 311 – Cass. crim., 27 mars 2001, n° 01-80.549 : inédit - Cass. crim., 10 avril 2002, n° 02-80.886 : inédit - Cass. crim., 8 juil. 2009, n° 09-82.492 : inédit - Cass. crim., 24 mai 2011, n° 11-81.118 : inédit]. À défaut de précision légale, la célérité, dans laquelle la chambre de l’instruction saisie par renvoi après cassation tranchait la question de la détention provisoire, était très variable selon les cas [l’avocat d’un des demandeurs dans ses observations orales devant le Conseil constitutionnel évoquait dans une affaire un délai de douze jours et dans une autre un délai de six mois]. Dans le cadre d’une question prioritaire constitutionnalité contestant ce défaut au regard des principes plaçant la privation de liberté sous le contrôle du juge judiciaire [v. pour la décision de renvoi, Cass. crim., 12 nov. 2014, n° 14-86.016 : inédit], le Conseil constitutionnel a conclu à l’absence de violation de la Constitution, tout en posant une réserve d’interprétation, rappelant « qu'en matière de privation de liberté, le droit à un recours juridictionnel effectif impose que le juge judiciaire soit tenu de statuer dans les plus brefs délais » et qu’en conséquence, « il appartient aux autorités judiciaires, sous le contrôle de la Cour de cassation, de veiller au respect de cette exigence y compris lorsque la chambre de l'instruction statue sur renvoi de la Cour de cassation » [Cons. const., déc. n° 2014-446 QPC du 29 janv. 2015, [M. Maxime T.] : J. O., 31 janv. 2015, p. 1502 ; le Conseil constitutionnel avait été saisi d’un autre grief, tenant à l’atteinte au principe d’égalité, également rejeté, problème qui ne sera pas traité dans ces lignes]. Le Conseil constitutionnel a donc choisi de ne pas forcer le législateur à se saisir de la question, mais plutôt de remédier lui-même à la lacune législative par une réserve d’interprétation, peut-être au regard du caractère exceptionnel d’une telle situation, alors même que la Cour de cassation, dans son rapport annuel de 2013, avait suggéré une modification de la loi en la matière, simple proposition que le Conseil constitutionnel a reprise à son compte dans son considérant final [déc. n° 2014-446 QPC du 29 janv. 2015 : préc. ; consid. n° 14 : « considérant qu'il est loisible au législateur de modifier les dispositions législatives contestées pour préciser les délais dans lesquels la chambre de l'instruction statue en matière de détention provisoire lorsqu'elle est saisie sur renvoi de la Cour de cassation »]. Une telle solution, finalement peu surprenante, mérite toutefois quelques rapides observations, ne serait-ce que pour mesurer l’incidence du pont ainsi créé entre la jurisprudence constitutionnelle et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, par la notion de bref délai, issue de l’article 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Nous reviendrons d’abord sur les effets du constat de l’irrégularité de la décision judiciaire de rang inférieur prononçant ou maintenant en détention provisoire par la juridiction supérieure saisie d’un recours contre la légalité de celle-ci (n° 2), ensuite sur les contours de la constitutionnalisation de la notion de bref délai (n° 3) et enfin sur les effets de l’application du bref délai à la chambre de l’instruction saisie sur renvoi après cassation de la question du maintien en privation de liberté (n° 4).

samedi 7 février 2015

[obs.] Que reste-t-il de l’arrêt de Grande chambre Vinter ? [à propos de CEDH, sect. IV, 3 févr. 2015, Hutchinson c. Royaume-Uni, req. n° 57592/08]


1. La peine perpétuelle répressive de droit britannique [à la différence de la peine perpétuelle sécable, la peine perpétuelle répressive conserve durant tout son cours l’objectif de punition et elle n’est donc pas soumise à révision judiciaire au cours de son exécution sur le fondement de l’article 5 § 4 de la Convention ; dans le communiqué de presse concernant l’affaire Hutchinson, le greffe s’est référé à la notion de perpétuité réelle, pourtant impropre, dès lors que la peine de facto et de jure incompressible constitue par nature un traitement inhumain et dégradant ; v. sur la distinction entre peine perpétuelle répressive et peine perpétuelle sécable, nos obs., ici, n° 1] avait donné lieu à un arrêt de Grande chambre de violation d’importance, aboutissant à un meilleur encadrement de cette peine sur le fondement de l’article 3, par le dégagement, au cours d’un long raisonnement caractérisé par de nombreuses précautions sémantiques, d’un droit au réexamen bénéficiant au détenu [CEDH, gde ch., 9 juil. 2013, Vinter et autre c. Royaume-Uni, req. nos 66069/09, 130/10 et 3896/10 : Rec. CEDH, 2013 ; D., actu., 12 juil. 2013, obs. M. Léna ; ibid., 2013, p. 2081, note J.F. Renucci ; ibid., p.  2713, chron. G. Roujou de Boubée ; ibid., 2014, p. 1235, chron. J.-P. Céré ; RFDA, 2014, p. 538, chron. L. Labayle ; AJP, 2013, p. 494, obs. D. van Zyl Smit ; RSC, 2013, p. 625, chron. P. Poncela ; ibid., p. 649, obs. D. Roets ; Dr. pénal, 2013, comm. n° 165, obs. É. Bonis-Garçon ; ibid., 2014, chron. n° 3, obs. V. Peltier ; ibid., chron. n° 4, chron. E. Dreyer ; JCP, 2014, n° 970, obs. L. Milano ; ibid., 2013, n° 918, obs. F. Sudre ; § 110 et s.]. Alors que la jurisprudence appréciait auparavant la compatibilité de la perpétuité répressive à la simple existence d’une chance de facto et de jure d’être libéré, même discrétionnaire [v. pour la validation d’une peine perpétuelle répressive en raison de l’existence d’un droit de grâce discrétionnaire offrant une chance d’être libéré,  CEDH, gde ch., 12 févr. 2008, Kafkaris c. Chypre, req. n° 21906/04 : Rec. CEDH, 2008 : RSC, 2008, p. 692, obs. D. Roets ; § 97], le droit au réexamen oblige les autorités à contrôler la persistance d’« un motif légitime d’ordre pénologique » [Vinter, gde ch. : préc. ; § 119] justifiant le maintien de la peine au cours de son exécution. Ce critère a été précisé par la jurisprudence ultérieurement : le dispositif national ayant « précisément pour but de se prononcer sur [la] dangerosité [du condamné] et de prendre en compte son évolution au cours de l’exécution de sa peine » répond aux exigences conventionnelles [CEDH, sect. V, 13 nov. 2014, Bodein c. France, req. n° 40014/10 : § 60]. En revanche, le droit au réexamen ne saurait se confondre avec l’existence d’une simple mesure de libération humanitaire pour motif d’ordre médical [Vinter : préc. ; § 127 – Bodein, préc., § 59 – CEDH, sect. II, 18 mars 2014, Ocalan c. Turquie (n° 2), req. nos 24069/03, 197/04 et 6201/06 :  D., 2014, p. 1235, chron. J.-P . Cere ; § 203]. D’autre part, le droit au réexamen est exigible pour la première fois au bout d’un temps d’épreuve de vingt-cinq ans, puis périodiquement [Vinter : préc. ; § 120]. Enfin, dans un nouvel apport au mouvement plus général de la prise en compte croissante de la sécurité juridique en matière de privation de liberté [v. pour la rétention de sûreté, CEDH, sect. V, 17 déc. 2009, M. c. Allemagne, req. n° 19359/04, et pour l’aménagement des peines, CEDH, gde ch., 21 oct. 2013, Del Rio Prada c. Espagne, req. n° 42750/09], le droit au réexamen doit être prévu par une loi de qualité dès le début de l’exécution de la peine perpétuelle répressive [Vinter, gde ch., préc., § 122]. Le droit au réexamen découvert sur le fondement de l’article 3 prend tous les atours du droit de recours devant le Tribunal de l’article 5 § 4, si ce n’est, qu’au nom de la marge d’appréciation, la Cour européenne des droits de l’Homme laisse le choix aux États d’en saisir un organe juridictionnel ou administratif [ibid., § 120]. C’est dire que cette jurisprudence portait les germes d’un encadrement sévère de la perpétuité répressive, peine servant de substitut à la peine de mort, d’autant plus que les nouvelles exigences du droit au réexamen étaient mises en exergue, après de longues justifications, dans une subdivision spécifique [« 3. Conclusion générale concernant les peines de réclusion à perpétuité »].

mercredi 4 février 2015

[biblio.] Rapport : Parution du Rapport annuel de la Cour européenne des droits de l’Homme pour l’année 2014


La parution électronique du Rapport annuel de la Cour européenne des droits de l’Homme pour l’année 2014, dans une version encore provisoire, est l’occasion de revenir sur les différents arrêts importants – ou du moins ceux jugés comme tels par la Cour et figurant dans l’« aperçu de la jurisprudence » – de l’année passée en matière de privation de liberté. Si ces arrêts apportent le plus souvent de simples précisions à des raisonnements éprouvés, ils rappellent aussi l’implication de très nombreuses dispositions de la Convention dans l’encadrement de la privation de liberté. Si l’article 5, pourtant spécialisé en la matière, en souffre peut-être quant à son enrichissement, il reste l’un des fondements les plus fertiles en condamnation, signe le plus évident des progrès restant à réaliser en Europe en matière de privation de liberté [en 2014, la Cour européenne des droits de l’Homme a retenu 212 violations de l’article 5 sur un total de 756 arrêts constatant au moins une violation de la Convention, et seuls les articles 3 – 248 – et 6 – 313 – ont fondé un nombre plus important de constat de violation ; rap. p. 179].
D’abord, les arrêts relatifs à la privation de liberté ont permis plusieurs apports à la délimitation de la compétence et à la définition des conditions de recevabilité, dans le sens de l’extension du champ d’action de la Cour, principalement du fait de l’usage de la privation de liberté dans les conflits internationaux auxquels participent des États tiers à la Convention [v. concernant l’arrestation et la détention d’un combattant national durant les opérations militaires de 2003 dirigées en Irak par les forces américaines et britanniques, Hassan c. Royaume-Uni [GC], n° 29750/09, CEDH, 2014, rap. p. 84 ; v. concernant la détention secrète et la torture de personnes suspectées de terrorisme en Pologne par les autorités américaines, Al Nashiri c. Pologne, no 28761/11, 24 juil. 2014 et Husayn (Abu Zubaydah) c. Pologne, no 7511/13, 24 juil. 2014, rap. p. 85 ; v. concernant l’inapplication de la condition de l’épuisement des voies de recours, s’agissant de la pratique administrative d’arrestation, de détention et d’expulsion de ressortissants géorgiens par la Russie, Géorgie c. Russie (no 1) [GC], no 13255/07, CEDH, 2014, rap. p. 87 et nos obs. ici et ].
D’autres arrêts ont apporté des précisions quant à l’étendue des obligations positives mises à la charge des États pour protéger la vie [v. pour une limitation de l’obligation positive de l’État, qui ne saurait constituer une obligation de résultat quant à la prohibition de la circulation de produits stupéfiants en prison, concernant le décès d’un détenu par overdose, Marro et autres c. Italie (déc.), no 29100/07, 8 avr. 2014, rap. p. 92] ou la santé [v. concernant le traitement médical défectueux d’un détenu, notamment au regard des effets secondaires de celui-ci, qui avait créé une dépendance, Budanov c. Russie, no 66583/11, 9 janv. 2014, rap. p. 103] des détenus.
Des arrêts signalés reviennent sur le contrôle de mesures de sécurité particulièrement sévères appliquées à des personnes privées de liberté : si la Cour s’est montrée stricte quant à la pratique de la comparution au tribunal dans une cage en métal, au point pratiquement de la considérer par principe comme contraire à l’article 3, alors que ses constats de violation antérieurs étaient plus mesurés [Svinarenko et Slyadnev c. Russie [GC], nos 32541/08 et 43441/08, CEDH, 2014, rap. p. 101], elle a appliqué plus classiquement sur le même fondement un contrôle de proportionnalité entre l’atteinte à la dignité provoquée et le gain pour la sûreté obtenu concernant le port de vêtements scellés par des détenus isolés, destiné à éviter toute détention de drogue [Lindström et Mässeli c. Finlande, no 24630/10, 14 janv. 2014, rap. p. 103], dans un raisonnement plus lâche rappelant son contrôle du port des menottes.
La Cour européenne des droits de l’Homme a aussi poursuivi son encadrement de la perpétuité réelle autour de la notion du droit au réexamen, établie sur le fondement de l’article 3 dans l’arrêt de Grande chambre Vinter de 2013, qu’il s’agisse du contentieux de l’extradition vers un pays pratiquant une telle peine [Trabelsi c. Belgique, no 140/10, 4 sept. 2014, rap. p. 104] ou du contentieux de l’infliction d’une telle peine par un État partie à la Convention [Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, nos 15018/11 et 61199/12, CEDH, 2014, rap. p. 106 et nos obs. ici et ], ces deux arrêts montrant des progrès dans l’intensité du contrôle, même si la marge d’appréciation des États en la matière reste importante, comme l’a montré la même année l’arrêt Bodein, non rapporté [v. notre comm. de celui-ci ici].
Un tel recensement rappelle l’importance cruciale de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme concernant la protection des droits des personnes privées de liberté [v. pour une illustration de différents contrôles de la privation de liberté réalisés par la Cour européenne des droits de l’Homme sur ce fondement, Harakchiev et Tolumov, préc., la Cour y assurant sur ce fondement le contrôle de la dignité des conditions matérielles de détention, de l’isolement pénitentiaire et du caractère compressible de la peine perpétuelle].
Seuls deux arrêts cités concernent l’article 5. Le premier reconnaît, dans un raisonnement original, l’atténuation de l’application des garanties de la disposition pour la personne détenue par des autorités agissant dans le cadre du droit international humanitaire [Hassan, préc., rap. p. 108]. Le second, peut-être le plus important de l’année dans notre matière, concerne l’application d’une exigence de célérité renforcée à l’intervention du Tribunal, saisi par la personne privée de liberté sur le fondement de l’article 5 § 4, lorsqu’elle réalise le premier contrôle judiciaire de la détention, solution marquant un pas décisif vers la généralisation de l’Habeas corpus : le Tribunal doit intervenir dans ce cas avec une célérité s’approchant d’« aussitôt », notion contenue à l’article 5 § 3 et applicable, selon le texte, uniquement au premier contrôle judiciaire de la privation de liberté du suspect, plutôt qu’à « bref délai », l’exigence textuelle réservée désormais aux interventions ultérieures [Shcherbina c. Russie, no 41970/11, 26 juin 2014, rap. p. 110 et notre comm. ici ; la mention de l’arrêt au rapport rappelle son intérêt, alors qu’un faible niveau d’importance lui avait été attribué à sa publication et que le collège a rejeté son renvoi en Grande chambre].
D’autres dispositions ont aussi servi, dans des raisonnements classiques, au contrôle de la privation de liberté, qu’il s’agisse de l’article 8, concernant le contrôle de la proportionnalité de l’ingérence causée à ce droit du détenu par rapport au gain obtenu par les autorités pour la sécurité [v. pour la sanction de l’interdiction de mener des conversations téléphoniques dans la langue maternelle du détenu kurde, Nusret Kaya et autres c. Turquie, nos 43750/06 et autres, CEDH, 2014, rap. p. 137], ou de l’article 10, concernant, par exception, le contrôle de la proportionnalité des peines privatives de liberté à temps prononcées pour réprimer des manifestations protégées par la disposition [v. pour la sanction d’une peine de treize ans d’emprisonnement réprimant le versement de peinture sur cinq statues de Kemal Atatürk, Murat Vural c. Turquie, no 9540/07, 21 oct. 2014, rap. p. 143 ; v. pour l’admission de peines d’emprisonnement d’un total cumulé de sept ans, prononcées et purgées en répression du comportement réitéré de l’individu, qui se montrait nu dans des lieux publics, Gough c. Royaume-Uni, no 49327/11, 28 oct. 2014, rap. p. 143].
De manière plus originale, dans une jurisprudence dont la portée reste à préciser, au regard de la courte durée de la peine d’emprisonnement prononcée en l’espèce et du constat dans le même arrêt de sa disproportion sur le fondement de l’article 10, la Cour a estimé que l’exécution totale de la peine privative de liberté avant que la juridiction saisie en appel ne se soit prononcée violait le droit à un double degré de juridiction en matière pénale consacré à l’article 2 du Protocole n° 7 [Shvydka c. Ukraine, no 17888/12, 30 oct. 2014].
Enfin, les outils conventionnels visant à assurer l’effectivité de la jurisprudence européenne ont été employés en matière de la privation de liberté, qu’il s’agisse du contrôle des mesures étatiques prises après l’adoption d’un arrêt-pilote pour remédier aux conditions matérielles de détention indignes généralisées [Stella et autres c. Italie (déc.), no 49169/09, 16 sept. 2014, rap. p. 82], qu’il s’agisse de l’adoption de mesures individuelles [v. pour une utilisation innovante destinée à empêcher que le requérant ne subisse à l’avenir une nouvelle détention défectueuse, alors qu’il se trouvait, à la sortie de la première privation de liberté, dans la même situation qui avait entraîné son arrestation, Kim c. Russie, no 44260/13, 17 juil. 2014, rap. p. 163 ; v. pour une application plus classique, concernant le détenu gravement malade, visant à lui apporter un traitement médical adéquat et à surveiller son état, Amirov c. Russie, no 51857/13, 27 nov. 2014, rap. p. 165] ou qu’il s’agisse du contrôle du respect de la mesure provisoire précédemment adoptée [v. pour la sanction de l’État qui n’a pas respecté l’obligation de procéder à une expertise médicale indépendante pour apprécier la compatibilité de l’état de santé du détenu avec la détention, Amirov, préc., rap. p. 165].