mercredi 11 novembre 2015

[obs.] La détention des étrangers sur l’île de Lampedusa : la réalité et les droits de l’Homme [à propos de CEDH, sect. II, 1er sept. 2015, Khlaifia et autres c. Italie, req. n° 16483/12]


1. La description de la réalité : le cas de l'île de Lampedusa devant la Cour européenne des droits de l'Homme. Les faits tels qu’établis par la Cour européenne des droits de l’Homme prennent une reconnaissance particulière, profitant d’un éclairage international et revêtant un caractère impartial, pour émaner d’une juridiction [au point d’ailleurs que la question de l’établissement des faits est parfois particulièrement épineuse pour la Cour ; v. sur la question du génocide arménien, CEDH, gde ch., 15 oct. 2015, Perincek c. Suisse, req. n° 27510/08 et les différentes opinions séparées]. La structure même des arrêts participe à une mise en valeur des faits : leur description y tient une place importante, dès lors que la Cour, en principe du moins – et parfois en apparence seulement –, adopte une analyse in concreto, au risque de compliquer l’analyse de la portée de ses raisonnements [relire l’arrêt Salduz]. Certains arrêts brillent pratiquement par le seul établissement des faits [par exemple, la description du processus de détention secrète orchestré par la CIA est sans doute plus éclairante que la sanction d'un tel procédé, inévitable ; v. CEDH, sect. IV, 24 juil. 2014, Al Nashiri et Abu Zubaydah c. Pologne, req. nos 28761/11 et 7511/13], quand d’autres, s’ils présentent un véritable intérêt dans la construction de la jurisprudence européenne, figurent par ailleurs comme des références documentaires, facilitant l’appréhension précise d’un mécanisme de droit étranger [par ex., pour la description des conditions de détention en établissement pénitentiaire américain supermax, v. CEDH, sect. IV, 10 avr. 2012, Babar Ahmad et autres c. Royaume-Uni, req. nos 24027/07, 11949/08, 36742/08, 66911/09 et 67354/09, en angl.]. En particulier dans la matière de la privation de liberté, l’établissement et la description des faits sont essentiels, qu’il s’agisse d’établir l’existence d’une détention ou d’apprécier la dignité de ses conditions matérielles. Autant dire que la traduction du cas de l’île de Lampedusa par les requérants tunisiens devant la Cour européenne des droits de l’Homme, sous les principes assurant le contrôle de la privation de liberté [nous ne traiterons pas des autres aspects], intéresse d’abord pour promettre de dresser un état des lieux précis de la réalité des détentions subies par les étrangers à cet endroit [CEDH, sect. II, 1er sept. 2015, Khlaifia et autres c. Italie, req. n° 16483/12]. Mais l’arrêt comprend en plus de nombreux apports juridiques. Son « importance […] dépasse de loin le cas des trois requérants. Même s’il concerne des faits se situant dans une période spécifique du passé, du 17 au 29 septembre 2011, ses enseignements sont d’une actualité brûlante » [extrait de l’opinion partielle dissidente du Juge Lemmens].