1.
La distinction entre la peine perpétuelle répressive
et la peine perpétuelle sécable. Alors
que la Cour européenne des droits de l’Homme a posé un arrêt de principe quant
à son contrôle de la peine perpétuelle sur le fondement de l’article 3 en juillet
2013 [CEDH,
gde ch., 9 juil. 2013, Vinter et autres
c. Royaume-Uni, req. nos 66069/09, 130/10 et 3896/10 :
Rec. CEDH, 2013 ; D., actu., 12 juil. 2013, obs. M. Léna ; ibid., 2013, p. 2081, note J.‑F. Renucci ; ibid., p. 2713, chron. G. Roujou de Boubée ; ibid., 2014,
p. 1235, chron. J.-P. Cere ; RFDA, 2014, p. 538, chron. L.
Labayle ; AJP, 2013, p.
494, obs. D. van Zyl Smit ; RSC, 2013, p. 625, chron. P. Poncela ; ibid., p. 649, obs. D. Roets ;
Dr. pénal, 2013, comm. n° 165,
obs. É. Bonis-Garçon ; ibid., 2014, chron. n° 3, obs. V. Peltier ; ibid., chron. n° 4, chron. E. Dreyer ;
JCP, 2014, n° 970, obs. L. Milano ; ibid., 2013, n° 918, obs. F. Sudre :
la Cour s’est prononcée dans cette affaire sur une condamnation à la
peine perpétuelle obligatoire en droit interne, prévue en cas d’assassinat,
s’agissant d’une peine créée à la suite de l’abrogation de la peine de mort, concernant
laquelle le juge avait étendu à la totalité de son exécution le mécanisme
empêchant l’accès du condamné à la libération conditionnelle], la Cour
européenne des droits de l’Homme a déjà eu à quatre reprises l’occasion d’en
préciser les apports, une fois quant au droit turque [CEDH,
sect. II, 18 mars 2014, Ocalan c. Turquie
(n° 2), req. nos 24069/03, 197/04 et 6201/06 : D.,
2014, p. 1235, chron. J.-P . Cere :
le requérant avait été condamné initialement à la peine de mort, commuée,
à la suite de l’abrogation de cette dernière, en une peine perpétuelle
aggravée, empêchant l’octroi de la libération conditionnelle], une fois quant au droit hongrois [CEDH,
sect. II, 20 mai 2014, Laszlo Magyar c. Hongrie,
req. n° 73593/10, en angl. : le
requérant avait été condamné à la perpétuité sans possibilité d’obtenir une
libération conditionnelle, du fait de sa qualité de récidiviste], une fois
quant au droit bulgare [CEDH,
sect. IV, 8 juil. 2014, Harakchiev et Tolumov c.
Bulgarie, req. nos 15018/11 et 61199/12, en angl. ;
v. notre
chron., n° 54 : le requérant avait été condamné à une
modalité spéciale de la peine perpétuelle, l’empêchant de bénéficier de la
libération conditionnelle, sauf à en obtenir la commutation en une peine
perpétuelle de droit commun, la peine dérogatoire ayant servi au remplacement
de la peine de mort] et une fois quant au droit français [CEDH,
sect. V, 13 nov. 2014, Bodein c. France,
req. n° 40014/10 : la Cour s’est prononcée sur la perpétuité réelle du droit français, issue de
l’extension de la période de sûreté à la totalité de la peine, empêchant, sauf
relèvement, le bénéfice des principaux aménagements de peine, dont la
libération conditionnelle]. À chaque fois, c’est une modalité dérogatoire de la
peine perpétuelle qui était soumise au contrôle de la Cour européenne des
droits de l’Homme sur le fondement de l’article 3, celle-ci se substituant à la
peine de mort, au plus près ou plus loin de son abrogation, et se justifiant
par la gravité des infractions commises. La sévérité de la répression se
caractérise par l’exclusion de principe, durant la totalité de la peine, de
l’obtention des mesures d’aménagement de peine, la principale restant la
libération conditionnelle, à la différence des modalités moins sévères de peine
perpétuelle, empêchant uniquement l’obtention des mesures d’aménagement de
peine de droit commun durant un temps d’épreuve. Le panorama issu de ces cinq
arrêts montre la récurrence dans les États du Conseil de l’Europe [au moins,
donc, en France, en Angleterre, en Hongrie, en Bulgarie et en Turquie] de ces
peines perpétuelles particulièrement sévères. Plutôt que de perpétuité réelle [expression certes couramment
utilisée, mais impropre, dès lors que celle‑ci, au sens strict, celle
incompressible, qui suppose d’interdire de
facto et de jure toute
possibilité de libération, constitue assurément un traitement inhumain et
dégradant par nature ; CEDH,
gde ch., 12 févr. 2008, Kafkaris c.
Chypre, req. n° 21906/04 : Rec. CEDH, 2008 : RSC,
2008, p. 692, obs. D. Roets ; §
97.], c’est plus justement la notion de peine perpétuelle répressive que nous évoquerons , celle-ci étant censée conserver durant
la totalité de son exécution son objectif de punition, de répression ou encore
de châtiment : elle est justifiée « lorsque la gravité de l’infraction est si exceptionnellement élevée
qu’un juste châtiment exige que son auteur demeure en prison pour le restant de
ses jours » [v. CEDH,
sect. IV, 17 janv. 2012, Vinter et autres c. Royaume-Uni,
req. nos 66069/09, 130/10 et 3896/10
: JCP, 2012, doctr., n° 924,
chron. F. Sudre ; D., 2012, p. 1294, chron. J.‑P. Céré ; § 103 : la Cour citait
ici la motivation employée par le juge national]. L’objectif permanent de
répression justifie l’exclusion de l’application de l’article 5 § 4 à la peine
perpétuelle répressive [l’article
dispose que « toute personne privée
de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours
devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa
détention et ordonne sa libération si la détention est illégale »],
puisque la peine « ne [repose] pas sur des éléments risquant d’évoluer avec
le temps » [ibid., § 102] et
que « que l’examen de la légalité de
la détention du requérant, imposé par l’article 5 § 4, [est] englobé dans la condamnation prononcée par
le juge et qu’aucun réexamen n’[est] donc requis [sur ce fondement] » [ibid.] : elle est soumise à la
théorie du contrôle incorporé, c’est-à-dire que la décision de condamnation du
Tribunal, qui assure le contrôle de la légalité de la privation de liberté,
épuise tout contrôle judiciaire ultérieur. La peine perpétuelle répressive doit en revanche être
distinguée de celle d’un autre type, celle sécable
« en une période punitive et une période
de sécurité » [ibid.] ou qui
« se [constitue] d’une période punitive (pour satisfaire
à l’impératif de châtiment) et du reste de la peine, lorsque le maintien en
détention avait été décidé à l’aune des critères du risque et de la
dangerosité » [ibid., §
103] : le constat par la Cour européenne des droits de l’Homme du terme de
sa période répressive entraîne la requalification de la peine en mesure de
sûreté, au-delà des distinctions internes, aboutissant à reconnaitre pour la
seconde partie seulement l’application de l’article 5 § 4, afin de solliciter
devant le Tribunal une libération anticipée, fondée sur la disparition du
« risque » ou « de la dangerosité », c’est-à-dire
des éléments « risquant d’évoluer
avec le temps », pour reprendre la terminologie européenne.
Un carnet de recherches. Ce blog a vocation à diffuser des informations juridiques glanées au cours de mon travail de veille, à réaliser de la vulgarisation, à introduire les axes de mes recherches ou encore à participer à la mise à jour de mes travaux précédents dans le domaine de la privation de liberté. Ce blog juridique est bien un carnet de recherches et son contenu un simple complément à mes quelques "travaux académiques".
lundi 17 novembre 2014
[obs.] La perpétuité réelle française sous l’examen européen : certitudes et incertitudes du contrôle européen de la peine perpétuelle [à propos de l’arrêt Bodein]
Libellés :
[obs.],
3 CEDH,
5 § 1er-a) CEDH,
5 § 4 CEDH,
CEDH,
contrôle judiciaire,
droit au réexamen,
libération,
libération conditionnelle,
mesure de sûreté,
peine,
période de sûreté,
perpétuité,
Tribunal
vendredi 7 novembre 2014
[chr.] Chronique jurisprudentielle de droit général de la privation de liberté [15 juin 2014 - 14 juillet 2014]
Chronique jurisprudentielle
de droit général de la privation de liberté
15
juin 2014 au 14 juillet 2014
Un droit de la privation de liberté. En
prolongement de ma thèse, établissant un « Essai de la théorie générale
des droits d'une personne privée de liberté » [2014, Nancy], cette
chronique vise à présenter une partie de l’actualité juridique de la privation
de liberté, concernant les éléments susceptibles d'éclairer sa théorie
générale, soit qu'ils se situent directement dans son encadrement général
supra-légal, l'article 66 de la Constitution ou l'article 5 de la Convention
européenne des droits de l'Homme principalement, soit qu'ils concernent un
élément qui, sans avoir d'implication supra-légale, se retrouve répandu dans
l'ensemble des cas spéciaux de la privation de liberté de la législation
nationale. L'existence d'un droit de la privation de liberté peut sans doute
être caractérisée, non pas seulement du fait de son objet, mais du fait d'une
cohérence le structurant : la présente chronique se propose de traiter de
sa partie générale dans son actualité jurisprudentielle.
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