lundi 23 mars 2015

[obs.] Torreggiani vs Mursic : les atermoiements européens sur la sanction de la surpopulation [à propos de CEDH, sect. I, 12 mars 2015, Mursic c. Croatie, n° 7334/13, en angl.]


1. Une hausse du seuil ? Différents sites d’information en ligne, visiblement sur la base d’une dépêche AFP [v. par ex. ici ou ici, les sites étant mentionnés comme auteurs avec l’AFP], avec parfois un titrage fort [par ex. La surpopulation en prison n’enfreint pas nécessairement les droits humains], ont fait état d’un arrêt récent de la Cour européenne des droits de l’Homme [CEDH, sect. I, 12 mars 2015, Mursic c. Croatie, n° 7334/13, en angl.], reprenant peu ou prou les mêmes extraits, tirés du communiqué de presse [l’arrêt n’existe qu’en anglais] : on apprend dans ces articles que la Cour a précisé le principe selon lequel « s'il existe une forte présomption de traitement inhumain ou dégradant (...) lorsqu'un détenu dispose de moins de trois mètres carrés d'espace personnel », cet état peut « être compensé par les aspects cumulés des conditions de détention, tels que la liberté de circulation et le caractère approprié » de l'établissement pénitentiaire.
Une telle présentation laisse craindre une inflexion du contrôle de la Cour européenne des droits de l’Homme en la matière, alors que la surpopulation est un critère qui gagnait en autonomie dans le contrôle de la dignité des conditions matérielles de détention [v. pour la détention en cellule, nos obs. ici ou notre chron., n° 29 ; v. par assimilation, pour le contrôle du transport des prisonniers, notre chron., n° 38]. L’existence d’une évolution de la jurisprudence européenne est d’ailleurs confortée par le titrage du communiqué de presse de la Cour signalant l’arrêt [Principes généraux sur le surpeuplement carcéral], comme par son contenu [« l’arrêt mérite d’être noté en ce qu’il réaffirme les principes généraux sur la question du surpeuplement carcéral et précise la jurisprudence de la Cour à cet égard »], et si l’arrêt bénéficie d’un niveau d’importance relatif [niveau 2], il a déjà été intégré dans la fiche thématique réalisée par le service de presse de la Cour européenne des droits de l’Homme sur les conditions de détention et traitement des détenus, au titre de l’apport de la compensation de la surpopulation. Si la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme sur le contrôle de la dignité des conditions de détention est emblématique, elle grève aussi l’action de la Cour du fait d’un contentieux massif. À confirmer l’existence de la  hausse du seuil servant à l’établissement d’un mauvais traitement en la matière, elle pourrait faire montre d’un certain désengagement de la Cour quant à la voie contentieuse classique, alors que celle-ci développe un nouveau front contre la surpopulation et recherche des solutions plus négociées, par le recours à l’arrêt-pilote [v. pour un nouvel arrêt-pilote dans ce domaine pris récemment, CEDH, sect. II, 10 mars 2015, Varga et autres c. Bulgarie, req. nos 14097/12, 45135/12 et 73712/12, en angl. ; § 145 et s. ; v. nos obs. ici].
Il y a dans l’arrêt Mursic, en tout cas, une volonté de la Cour de réaliser une synthèse de sa jurisprudence en la matière, plus détaillée et mieux organisée que le rappel des principes généraux usuel, allant même jusqu’à dresser les conditions abstraites de la violation de la Convention, concernant le cas du détenu en cellule collective surpeuplée [Mursic : préc. ; § 48 et s.]. Pour reprendre des questions intéressant le contrôle de la privation de liberté, d’autres synthèses similaires peuvent être citées, certaines abordant des points cruciaux du contrôle européen, par exemple l’arrêt Saadi concernant le contrôle européen du bien-fondé de la détention [CEDH, gde ch., 29 janv. 2008, Saadi c. Royaume-Uni, req. n° 13229/03 : Rec. CEDH ; AJDA, 2008, p. 978, chron. J.‑F. Flauss], l’arrêt Medvedyev concernant les critères de qualification de l’Habeas corpus de l’article 5 § 3 [CEDH, gde ch., 29 mars 2010, Medvedyev et autres c. France, req. n° 3394/03 : Rec. CEDH, 2010 ; D., 2010, p. 1386, obs. S. Lavric ; ibidem, p. 1390, note P. Hennion‑Jacquet ; ibid., p. 1386, note J.-F. Renucci ; ibid., p. 952, entretien P. Spinosi ; ibid., p. 970, obs. D. Rebut ; AJDA, 2010, p. 648, obs. S. Brondel ; RSC, 2010, p. 685, obs. J.‑P. Marguénaud] ou précédemment, pour la dignité des conditions matérielles de détention, les arrêts Ananyev [CEDH, sect. I, 10 janv. 2012, Ananyev et autres c. Russie, req. nos 42525/07 et 60800/08, en angl.] et Torreggiani [CEDH, sect. II, 8 janv. 2013, Torreggiani et autres c. Italie, req. nos 43517/09, 35315/10, 37818/10 : AJP, 2013, p. 361, obs. É. Péchillon ; Gaz. Pal., 12 mars 2013, p. 16, comm. É. Senna ; JCP, 2013, n° 319, note F. Laffaille ; § 65 et s.], et d’autres abordant des points plus spécialisés de la protection européenne, comme l’arrêt Sakkopoulos concernant le droit à la libération du détenu à l’état de santé incompatible [CEDH, sect. I,15 janv. 2004, Sakkopoulos c. Grèce, req. n° 61828/00 : § 36 et s.]. Si l’œuvre de pédagogie est louable, la genèse et les ressorts de l’adoption de tels arrêts interrogent malgré tout, alors qu’ils apparaissent de nature à tenir un rôle important dans la construction de la jurisprudence européenne, sans qu’on n’en connaisse véritablement tous les aboutissants. Tous ne semblent pas vraiment réaliser un apport à la jurisprudence ainsi rationnalisée [v. par ex. Medvedyev, mis à part l’intérêt de l’arrêt quant au droit français]. Et si l’arrêt Mursic porte bien une clarification dans la jurisprudence européenne, la retranscription faite par l’arrêt de la jurisprudence préexistante n’est pas exempte de reproches. Toujours est-il que les premiers principes généraux rappelés dans l’arrêt Mursic sont classiques, pour évoquer les obligations positives mises à la charge de l’État envers le détenu [§ 50] ou l’appréciation par « effets cumulatifs » du dépassement du seuil de souffrance et d’humiliation déclenchant la violation de l’article 3 [§ 51 ; v. une illustration ici ou notre chron., n° 39].

vendredi 13 mars 2015

[veille] Nouvel arrêt-pilote en matière de conditions matérielles de détention indignes : au tour de la Hongrie [CEDH, sect. II, 10 mars 2015, Varga et autres c.Hongrie, req. nos 14097/12, 45135/12 et 73712/12, en angl.]

La Cour européenne des droits de l'Homme est submergée de requêtes visant les conditions matérielles de détention, situation engendrée par l'état de surpopulation carcérale présent dans de nombreux pays du Conseil. Cette situation est d'autant plus dommageable que, tant qu'elle perdure, elle neutralise sûrement tout progrès dans la construction du standard pénitentiaire européen, pour rendre tout nouvel apport pratiquement illusoire. L'usage de l'arrêt-pilote est donc opportun, et après la Bulgarie [CEDH, sect. IV, 27 janv. 2015, Neshkov et autres c. Bulgarie, req. nos 36925/10, 21487/12 et 72893/12, en angl. ; § 267 et s.], l’Italie [CEDH, sect. II, 8 janv. 2013, Torreggiani et autres c. Italie, req. nos 43517/09, 35315/10, 37818/10 : AJP, 2013, p. 361, obs. É. PECHILLON ; Gaz. Pal., 12 mars 2013, p. 16, comm. É. SENNA ; JCP, 2013, n° 319, note F. LAFFAILLE ; § 84 et s.], la Russie [CEDH, sect. I, 10 janv. 2012, Ananyev et autres c. Russie, req. nos 42525/07 et 60800/08, en angl. : D., 2013, p. 201, chron. J.-F. RENUCCI, N. FRICERO et Y. STRICKLER ; § 180 et s.] ou la Pologne [CEDH, sect. IV, 22 oct. 2009, Sikorski c. Pologne, req. n° 17599/05 ; § 145 et s.], c'est au tour de la Hongrie d'en faire l'objet [CEDH, sect. II, 10 mars 2015, Varga et autres c. Bulgarie, req. nos 14097/12, 45135/12 et 73712/12, en angl.].

Le raisonnement de la Cour, sur le fondement de l'article 46, tient d'abord à démontrer le caractère "structuel" du problème dans l'Etat ["a structural problem warranting the application of the pilot-judgment procedure" ; ibidem], au regard du nombre de précédents récents ayant abouti à une condamnation [en l'espèce, s'agissant des conditions de détention indignes, 4 condamnations contre la Hongrie, entre janvier 2012 et juillet 2013 ; ibid., § 98], mais aussi de l'importance du stock de requêtes enregistrées et en attente de premier examen [en l'espèce, 450 ; ibid.].

La Cour formule ensuite des mesures générales indicatives ["avenues"], le choix des mesures à adopter, pour résoudre le problème, restant dans la marge des Etats [ibid., § 101 et s.]. D'une certaine manière, lorsque les mesures suggérées visent à lutter contre la surpopulation pénale, elles forment une sorte de recommandation de politique pénale européenne. Celle-ci repose principalement sur la limitation du recours à la détention provisoire et sur l'usage préférentiel de la sanction non privative de liberté, comme le montre une nouvelle fois l'arrêt ici signalé [ibid., § 104 et s.].

jeudi 12 mars 2015

[obs.] Le Conseil d’État pique le Conseil constitutionnel quant à la qualification du retrait du crédit de réduction de peine pour mauvaise conduite [à propos de CE 18 févr. 2015, X c. Secrétariat général du gouvernement, req. n° 375765]



1. Le champ des principes encadrant le droit répressif. Le juge répressif n’a pas le monopole de la punition, et le champ du droit répressif dépasse le seul droit pénal. Le Conseil constitutionnel a développé la notion de « sanction ayant le caractère d’une punition », recouvrant la sanction prononcée par une autorité administrative indépendante [Cons. const., déc. n° 88-248 DC du 17 janv. 1989 portant sur la loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 sept. 1986 relative à la liberté de communication : J. O., 18 janv. 1989, p. 754 ; consid. n° 34 et s.] et la sanction disciplinaire [Cons. const., déc. n° 2014-385 QPC du 28 mars 2014 [Joël M.] : J. O., 30 mars 2014, p. 6202], laquelle impose à son prononcé l’application des mêmes principes que ceux encadrant l’infliction de la « peine », soit « le principe de légalité des délits et des peines, le principe de nécessité des peines, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale d'incrimination plus sévère ainsi que le principe du respect des droits de la défense » [déc. n° 88-248 DC du 17 janv. 1989 : préc. ; consid. n° 34 et s.]. La légalité organique y est cependant moins forte qu’en matière d’infraction pénale, puisque l’article 34 de la Constitution attribue la compétence législative  à la seule « détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables » [v. pour l’admission, concernant la sanction prononcée par une autorité administrative, de la définition des infractions « par la référence aux obligations auxquelles le titulaire d'une autorisation administrative est soumis en vertu des lois et règlements », déc. n° 88-248 DC du 17 janv. 1989 : préc. ; consid. n° 37 – v. pour la large admission de la compétence réglementaire, en matière disciplinaire, s’étendant à « la détermination des règles de déontologie, de la procédure et des sanctions disciplinaires applicables à une profession » dès lors que la matière « ne relève ni du droit pénal ni de la procédure pénale au sens de l’article 34 de la Constitution », à condition que ne soient « mis en cause aucune des règles ni aucun des principes fondamentaux placés par la Constitution dans le domaine de la loi », Cons. const., déc. n° 2011-171/178 QPC du 29 sept. 2011, [M. Michael C. et autre] : J. O., 30 sept. 2011, p. 16471 ; consid. n° 5]. L’examen a posteriori de nombreux régimes disciplinaires a permis au Conseil constitutionnel de rappeler clairement l’application au prononcé de la « sanction ayant le caractère d’une punition » des grands principes du procès équitable : l'article 16 de la Déclaration de 1789 [« toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution »] impose l’application des « principes d'indépendance et d'impartialité, indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles, ainsi que le respect des droits de la défense lorsqu'est en cause une sanction ayant le caractère d'une punition » [Cons. const., déc. n° 2011-199 QPC du 25 nov. 2011, [M. Michel G.] : J. O., 26 nov. 2011, p. 20016 ; consid. n° 11]. Pour autant, la sanction ayant le caractère d’une punition n’a pas un régime uniforme, comme le montre le champ de la privation de liberté, proscrite en matière de sanction administrative et admise en matière disciplinaire [v. nos obs. ici].
La Cour européenne des droits de l’Homme procède de manière similaire, étendant la notion de « matière pénale » au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, à laquelle s’applique les garanties du procès équitable [v. par ex., pour le permis à point, CEDH, ch., 23 sept. 1998, Malige c. France, req. n° 68/1997/852/1059 : Rec. CEDH, 1998-VII ; RFDA, 1999, p. 1004, comm. C. Mamontoff ; RSC, 1999, p. 112, obs. J.-P. Delmas Saint-Hilaire ; AJP, 2008, p. 491, obs. D. Botteghi], comme la notion de « peine » au sens de l’article 7 de la Convention, à laquelle s’applique le principe de la légalité criminelle [v. par ex., pour la contrainte par corps, [CEDH, ch., 8 juin 1995, Jamil c. France, req. n° 15917/89 : Rec. CEDH, série A, n° 317-B ; RSC, 1995, p. 855, obs. L.‑E. Pettiti ; ibid., 1996, p. 471, obs. R. Koering-Joulin AJDA, 1995, p. 719, chron. J.‑F. Flauss ; D., 1996, p. 197, obs. J.-F. Renucci], en dehors du domaine pénal, pris strictement.
Les jurisprudences constitutionnelle et conventionnelle se rejoignent pour appliquer les principes encadrant le droit répressif – principalement la légalité criminelle et le procès équitable – au-delà du confinement du droit pénal réalisé par le législateur. Au regard de ces différents raisonnements, on comprend l’intérêt d’identifier la nature du retrait de crédit de réduction de peine pour mauvaise conduite [art. 721 CPP] : l’intégration de la mesure dans la notion de « sanction ayant le caractère d’une punition » au sens constitutionnel ou dans la notion d’« accusation en matière pénale » aboutissant au prononcé d’une « peine » au sens conventionnel déclenche d’une part l’application des garanties du procès équitable à la procédure de retrait et oblige d’autre part à définir le comportement réprimé – ici, donc, la mauvaise conduite – en des termes suffisamment clairs et précis.

lundi 9 mars 2015

[veille] Épilogue quant à l'existence d'une obligation pour l'administration pénitentiaire à fournir des menus confessionnels aux détenus : rejet [CE, 25 févr. 2015, X c. Secrétariat général du gouvernent, n° 375724]

Les revendications visant à obliger l'administration pénitentiaire à fournir des repas confessionnels aux détenus ont animé la jurisprudence administrative récente. Un juge du fond avait d'abord admis cette revendication, formant même une injonction à l'administration de fournir "régulièrement" des menus composés de viande "halal" [TA Grenoble, 7 nov. 2013, M. AB c. Directeur du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier, n°1302502]. 
L'injonction avait été suspendue par le Conseil d'Etat, au terme d'une procédure rarement utilisée [CE, 16 juillet 2014, Garde des Sceaux, Ministre de la justice c/. M. B., n° 377145 ; voir ici], permettant le prononcé du sursis à exécution d'un jugement annulant pour excès de pouvoir une décision administrative, dès lors que "l'exécution de la décision de première instance attaquée risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables et si les moyens énoncés dans la requête paraissent sérieux en l'état de l'instruction" [art. R. 811-17 du Code de justice administrative]. Quant à la première condition, le Conseil d'Etat a estimé que "la distribution au sein du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier de repas composés de viande "halal" imposerait des travaux d'un montant très élevé et matériellement difficiles à réaliser ou, à supposer l'approvisionnement par un sous-traitant matériellement possible, des coûts qui demeureraient élevés" et "qu'elle entraînerait des évolutions majeures dans le fonctionnement du centre pénitentiaire qui ne pourraient, en cas d'annulation du jugement du tribunal administratif de Grenoble, qu'être très difficilement remises en cause". Quant à la seconde condition, le Conseil d'Etat a estimé que "les moyens tirés de l'atteinte au principe de laïcité et de l'incompatibilité de la mesure ordonnée avec les exigences de la détention apparaissent, en l'état de l'instruction, comme sérieux".
Le juge d'appel avait ultérieurement annulé le jugement [CAA Lyon, 22 juillet 2014, ministre de la justice c/ M. A, req n° 14LY00113 ; voir ici], au motif que "l’administration pénitentiaire ménage [...] un juste équilibre entre les nécessités du service public et les droits des personnes détenues en matière religieuse", par le fait que celle-ci propose, en plus du menu normal, un menu "sans porc" et un menu végétarien, des menus "halal" lors des fêtes religieuses et, à la "cantine", des produits "halal" pouvant, au surplus, être achetés par les détenus.
Le Conseil d'Etat s'est enfin prononcé au fond, saisi de la demande d'annulation pour excès de pouvoir d'une décision implicite de rejet du Premier ministre concernant une demande d'abrogation de différentes dispositions réglementaires du Code de procédure pénale organisant l'alimentation des détenus en établissement pénitentiaire [CE,  25 févr. 2015, X c. Secrétariat général du gouvernent, n° 375724]. Il a considéré que "l'observation de prescriptions alimentaires peut être regardée comme une manifestation directe de croyances et pratiques religieuses au sens de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales", mais que les "dispositions critiquées, qui visent à permettre l'exercice par les personnes détenues de leurs convictions religieuses en matière d'alimentation sans toutefois imposer à l'administration de garantir, en toute circonstance, une alimentation respectant ces convictions, ne peuvent être regardées, eu égard à l'objectif d'intérêt général du maintien du bon ordre des établissements pénitentiaires et aux contraintes matérielles propres à la gestion de ces établissements, comme portant une atteinte excessive au droit de ces derniers de pratiquer leur religion".

[obs.] Droit disciplinaire et privation de liberté : les occasions manquées du Conseil constitutionnel [à propos de Cons. const., déc. n° 2014-450 QPC du 27 févr. 2015, [Pierre T. et autres] ; J. O., 1er mars 2015, p. 4021]


1. Sanction ayant le caractère d’une punition et privation de liberté. Le juge répressif ne dispose pas du monopole de réprimer. Le Conseil constitutionnel a développé la notion de « sanction ayant le caractère d’une punition » pour encadrer le pouvoir de punition des autorités administratives indépendantes, dans son contrôle de constitutionnalité a priori, alors que le législateur développait le recours à de telles autorités : la sanction prononcée par une autorité de nature non judiciaire « ne peut être infligée qu'à la condition que soient respectés le principe de légalité des délits et des peines, le principe de nécessité des peines, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale d'incrimination plus sévère ainsi que le principe du respect des droits de la défense » [Cons. const., déc. n° 88-248 DC du 17 janv. 1989 portant sur la loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 sept. 1986 relative à la liberté de communication : J. O., 18 janv. 1989, p. 754 ; consid. n° 36 et s.]. Un tel raisonnement n’est pas sans rappeler la démarche de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui a adopté des critères autonomes lui servant à retenir une vision large de la matière pénale d’une part, pour élargir l’application des garanties du procès équitable de l’article 6 de la Convention [v. par ex. CEDH, ch., 23 sept. 1998, Malige c. France, req. n° 68/1997/852/1059 : Rec. CEDH, 1998-VII ; RFDA, 1999, p. 1004, comm. C. Mamontoff ; RSC, 1999, p. 112, obs. J.-P. Delmas Saint-Hilaire ; AJP, 2008, p. 491, obs. D. Botteghi], et de la peine d’autre part, pour élargir l’application de la légalité criminelle de l’article 7 [CEDH, ch., 8 juin 1995, Jamil c. France, req. n° 15917/89 : Rec. CEDH, série A, n° 317-B ; RSC, 1995, p. 855, obs. L.‑E. Pettiti ; ibid., 1996, p. 471, obs. R. Koering-Joulin ; AJDA, 1995, p. 719, chron. J.‑F. Flauss ; D., 1996, p. 197, obs. J.-F. Renucci]. Toutefois, le Conseil constitutionnel a exclu que les autorités administratives indépendantes puissent prononcer une sanction privative de liberté, dans un obiter dictum, sans fondement clair, dans le même considérant de principe acceptant, pour le reste, la mise à disposition d’un pouvoir de sanction à l’autorité administrative : « le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu’aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissances publiques, puisse exercer un pouvoir de sanction dès lors, d’une part, que la sanction susceptible d’être infligée est exclusive de toute privation de liberté et d’autre part, que l’exercice du pouvoir de sanction est assorti par la loi des mesures destinées à sauvegarder les droits et libertés constitutionnellement garantis » [Cons. const., déc. n° 89-260 DC du 28 juil. 1989 portant sur la loi relative à la sécurité et à la transparence du marché financier : J. O., 1er août 1989, p. 9676 ; RFDA, 1989, p. 671, comm. B. Genevois ; consid. n° 6]. Quant à la Cour européenne des droits de l’Homme, elle tolère la sanction administrative privative de liberté, dès lors que son prononcé respecte l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme [CEDH, 10 févr. 2009, gde ch., Zolotoukhine c. Russie, req. n° 14939/03 : Rec. CEDH, 2009 : D., 2009, p. 2014, comm. J. Pradel ; RSC, 2009, p. 675, obs. D. Roets ; § 56].
En revanche, le droit disciplinaire français [le Conseil constitutionnel utilise aussi en cette matière la notion de « sanction ayant le caractère d’une punition » et la question prioritaire de constitutionnalité lui a permis de se prononcer sur plusieurs régimes professionnels, il est vrai, non concernés jusqu’alors par la privation de liberté – v. concernant la discipline des notaires, Cons. const., déc. n° 2011-211 QPC du 27 janv. 2012 [Éric M.] ou Cons. const., déc. n° 2014-385 QPC du 28 mars 2014 [Joël M.] – v. concernant la discipline des vétérinaires, Cons. const., déc. n° 2011-199 QPC du 25 nov. 2011 [Michel G.]] a connu de l’usage de la privation de liberté à titre de punition [v. par ex. les arrêts tels que définis par la loi du 17 déc. 1926 portant code disciplinaire et pénal de la marine marchande : J. O., 19 déc. 1926, p. 13252 – v. par ex. les « arrêts de rigueur », tels que définis par l’article 80 du décret n°66-749 du 1er oct. 1966 portant règlement de discipline générale dans les armées, obligeant le militaire sanctionné à être soumis « à un régime spécial de privation de liberté subi dans une enceinte militaire », soit dans « les chambres d’arrêts individuelles » soit dans « les locaux d’arrêts », desquels le militaire ne pouvait sortir qu’une heure par jour].