1. La
description de la réalité : le cas de l'île de Lampedusa devant la Cour
européenne des droits de l'Homme. Les
faits tels qu’établis par la Cour européenne des droits de l’Homme prennent une
reconnaissance particulière, profitant d’un éclairage international et revêtant
un caractère impartial, pour émaner d’une juridiction [au point d’ailleurs que la
question de l’établissement des faits est parfois particulièrement épineuse
pour la Cour ; v. sur la question du génocide arménien, CEDH,
gde ch., 15 oct. 2015, Perincek c. Suisse,
req. n° 27510/08 et les différentes opinions séparées]. La structure même des arrêts participe à
une mise en valeur des faits : leur description y tient une place importante,
dès lors que la Cour, en principe du moins – et parfois en apparence seulement
–, adopte une analyse in concreto, au
risque de compliquer l’analyse de la portée de ses raisonnements [relire l’arrêt Salduz]. Certains arrêts brillent pratiquement par
le seul établissement des faits [par
exemple, la description du processus de détention secrète orchestré par la CIA
est sans doute plus éclairante que la sanction d'un tel procédé,
inévitable ; v. CEDH, sect. IV, 24 juil. 2014, Al
Nashiri et Abu Zubaydah c. Pologne, req. nos
28761/11 et 7511/13], quand d’autres, s’ils présentent un véritable intérêt dans la
construction de la jurisprudence européenne, figurent par ailleurs comme des
références documentaires, facilitant l’appréhension précise d’un mécanisme de
droit étranger [par
ex., pour la description des conditions de détention en établissement
pénitentiaire américain supermax, v. CEDH, sect. IV, 10 avr.
2012, Babar Ahmad et autres c.
Royaume-Uni, req. nos 24027/07, 11949/08, 36742/08, 66911/09 et
67354/09, en angl.]. En
particulier dans la matière de la privation de liberté, l’établissement et la
description des faits sont essentiels, qu’il s’agisse d’établir l’existence d’une
détention ou d’apprécier la dignité de ses conditions matérielles. Autant dire
que la traduction du cas de l’île de Lampedusa par les requérants tunisiens devant
la Cour européenne des droits de l’Homme, sous les principes assurant le
contrôle de la privation de liberté [nous ne traiterons pas des autres aspects], intéresse d’abord pour promettre de
dresser un état des lieux précis de la réalité
des détentions subies par les étrangers à cet endroit [CEDH, sect. II, 1er sept. 2015, Khlaifia et autres c. Italie, req. n° 16483/12]. Mais l’arrêt comprend en plus de
nombreux apports juridiques. Son « importance […] dépasse de
loin le cas des trois requérants. Même s’il concerne des faits se situant dans
une période spécifique du passé, du 17 au 29 septembre 2011, ses enseignements
sont d’une actualité brûlante » [extrait
de l’opinion partielle dissidente du Juge Lemmens].
Un carnet de recherches. Ce blog a vocation à diffuser des informations juridiques glanées au cours de mon travail de veille, à réaliser de la vulgarisation, à introduire les axes de mes recherches ou encore à participer à la mise à jour de mes travaux précédents dans le domaine de la privation de liberté. Ce blog juridique est bien un carnet de recherches et son contenu un simple complément à mes quelques "travaux académiques".
mercredi 11 novembre 2015
[obs.] La détention des étrangers sur l’île de Lampedusa : la réalité et les droits de l’Homme [à propos de CEDH, sect. II, 1er sept. 2015, Khlaifia et autres c. Italie, req. n° 16483/12]
Libellés :
[obs.],
3 CEDH,
5 § 1er CEDH,
5 § 1er-f) CEDH,
5 § 2 CEDH,
5 § 4 CEDH,
CEDH,
conditions matérielles de détention,
définition,
dignité,
étranger,
légalité,
nécessité,
preuve,
recours à bref délai
dimanche 18 octobre 2015
[obs.] La légalité, le travail pénitentiaire et l’exécution des peines : les résurgences du passé [à propos de Cons. const., déc. n° 2015-485 QPC du 25 sept. 2015, M. Johny M.]
1.
L’examen du champ de la légalité et de la suffisance des garanties législatives encadrant le travail pénitentiaire. C’est
encore sur le pan de la légalité que le régime du travail pénitentiaire a été
attaqué récemment au moyen d’une question prioritaire de constitutionnalité, et
celui a été validé, une nouvelle fois, le 25 septembre 2015 par le Conseil
constitutionnel [Cons.
const., déc. n° 2015-485 QPC du 25 sept. 2015, M. Johny M. - Acte d'engagement
des personnes détenues participant aux activités professionnelles dans les
établissements pénitentiaires], après une première
validation en date du 14 juin 2013 [Cons.
const., déc. n° 2013-320/321 QPC du 14 juin 2013
; D., 2013, p. 1221, obs. S. Slama ; ibid., p. 1909, F. Chopin
; Procédures, 2013, comm. 266, obs.
J. Buisson].
La question de la légalité en matière pénitentiaire n’est pas anodine. Elle
rappelle d’abord que le droit
pénitentiaire – surtout la délimitation des droits des détenus et leur
protection – a longtemps souffert d’un enchevêtrement de sources de faible
valeur normative et d’un défaut de contrôle juridictionnel, notamment à cause
de la théorie des mesures d’ordre intérieur. La prison n’est pas encore totalement
débarrassée du défaut d’encadrement légal des libertés [on
pense ici, notamment, à la liberté religieuse ; v. ci-dessous, n° 7]
L’administration crée toujours ex nihilo de
véritables régimes sécuritaires, dérogatoires au droit commun, qui
amoindrissent les droits des condamnés [v. pour l’annulation de
la note créant le régime des rotations de sécurité, CE,
29 févr. 2008, n° 308145 – v. l’avis
critique du Contrôleur général des lieux de privation de
liberté sur l’expérimentation du regroupement
des détenus prosélytes]. Cette exception pénitentiaire ne concerne pas que les sources du droit et
se retrouve aussi dans le contrôle du juge sur l’activité de l’administration,
et s’il n’est plus vraiment nécessaire de rappeler les progrès réalisés en la
matière [M. Guyomar,
« Le juge administratif, juge pénitentiaire » ; in Terres
du droit, Mélanges Jegouzo, Dalloz, 2009, p. 471],
tant ils ont été mis en avant, il faut aussi rappeler que son office reste
parfois inférieur à son action dans d’autres matières [v.
pour le très récent abandon du contrôle limité à l’erreur d’appréciation
manifeste pour le contrôle de la sanction pénitentiaire, celui-ci restant
cependant dans la matière du recours en excès de pouvoir, CE,1er
juin 2015, Boromée c. Min.justice,
n° 380449 : Rec. CE : nos obs.]. Dans les sources
comme dans son action, l'administration pénitentiaire bénéficie encore d'une
marge d'appréciation, et l’intensité de la légalité intéresse toujours pour
constater de sa réduction ou de son maintien, pour identifier les progrès acquis
au fil du temps ou au contraire les résurgences du passé.
Libellés :
[obs.],
Cons. const.,
dignité,
droit disciplinaire,
exécution,
juge administratif,
légalité,
libertés publiques,
ordre public,
peine,
politique pénale,
QPC,
réinsertion,
travail pénitentiaire
mardi 22 septembre 2015
[obs.] L’arrêt A. T. contre Luxembourg est devenu définitif
Le collège a refusé, le
14 septembre 2015, de saisir la Grande chambre de l’affaire A. T. c. Luxembourg [CEDH,
sect. V, 9 avr. 2015, A. T. c. Luxembourg, req. n° 30460/13 ;
v. notre comm. ici],
rendant de ce fait l’arrêt de Section définitif [au cours de la
même séance, le collège a accepté de renvoyer devant la Grande chambre l’affaire
Lhermitte ; v. notre
comm. de l’arrêt de Section sur la question de la motivation de la peine de
réclusion criminelle]. Pourtant, celui-ci a – volontairement ou non – adopté un
raisonnement propice à l’examen de la Grande chambre sur la question de l’accès
de l’avocat du suspect au dossier pendant la garde à vue. En effet, si la Section
a semblé poser un principe général – « l’article 6 de la Convention ne
saurait être interprété comme garantissant un accès illimité au dossier pénal
dès avant le premier interrogatoire par le juge d’instruction, lorsque les
autorités nationales disposent de raisons relatives à la protection des
intérêts de la justice suffisantes pour ne pas mettre en échec l’efficacité des
investigations » ; ibid., § 81 –, cette contribution résonne
plutôt comme une proposition, puisque la Cour n’a pas véritablement appliqué aux
faits d’espèce le principe fraichement forgé. Autant dire qu’un arrêt de la Grande
chambre était utile, non seulement pour valider ou amender le principe ainsi
proposé, mais aussi, dans le premier cas, pour fixer les rudiments de son application,
l’arrêt de Section étant sur ce point muet.
L’ambiguïté laissée par
l’arrêt A. T. demeure donc. Les
optimistes – si l’on défend l’accès de l’avocat au dossier dès la garde à vue –
pourront soutenir que le principe se trouve implicitement validé et qu’il reste
désormais à la jurisprudence, dans son dynamisme et son œuvre créatrice, d’en
dresser les limites. Mais des principes aux allures de coquilles vides, il en
existe dans la jurisprudence européenne, en matière des droits du gardé à vue [faut-il
rappeler l’incidente de l’arrêt Dayanan,
encore citée par l’arrêt A. T., qui
en opère pourtant la réduction], et ailleurs dans le droit de la privation de
liberté [v. par exemple pour le contrôle du quantum
manifestement disproportionné de la peine privative de liberté, qui, nous
semble‑t-il, n’a pas encore fondé de condamnation, CEDH,
gde ch., 9 juil. 2013, Vinter et autre c. Royaume-Uni, req. nos 66069/09,
130/10 et 3896/10].
En tout cas, il n’en
reste pas moins, qu’au regard des conditions autorisant le renvoi de l’affaire
devant Grande chambre, le problème de l’accès au dossier de l’avocat du suspect
pendant la garde à vue, au cœur de l’arrêt de Section, ne soulève pas « une question grave relative à
l'interprétation ou à l'application de la Convention ou de ses protocoles, ou
encore une question grave de caractère général » [art. 43 CEDH]. Dès
lors, le rejet du renvoi comme l’analyse approfondie de l’arrêt de Section [v.
notre comm. préc. ; pour le reste, nous nous contenterons de rappeler que
l’arrêt de Section a procédé à la relativisation de l’arrêt Sapan,
précédent de la Cour le plus en faveur d’un large accès au dossier de l’avocat
du suspect pendant la garde à vue] se combinent et établissent
qu’en l’état, la question des droits de la défense du suspect en garde à vue n’est
plus un front en pointe dans la jurisprudence européenne [v.
pour la question du suspect entendu librement, dont l’état de la jurisprudence
européenne est aussi décevant, CEDH,
sect. II, 16 juin 2015, Schmid-Laffer c. Suisse, req. n°
41269/08 : notre comm. ici].
À condition qu’une telle
évolution ne serve pas au Collège, insidieusement, à se substituer à la Grande
chambre, l’invitation faite à la Cour, à l’issue de la Conférence de
haut-niveau de Bruxelles, de motiver « de
manière brève » la décision de refus de renvoi du Collège [v. la Déclaration
de Bruxelles du 27 mars 2015, p. 4] semble bienvenue, pour clarifier les principes
guidant son adoption et mieux cerner sa portée, qui, comme dans notre cas, n’est
pas toujours exempte d’ambivalence [le sens d’une décision de refus de renvoyer soulève
également des interrogations, lorsqu’un arrêt de section formule un apport si
important qu’il est digne de confirmation par la Grande chambre ; l’on
songe ici, par exemple, à l’arrêt Shcherbina,
qui a réalisé une avancée importante vers la généralisation de l’Habeas corpus européen – v. notre comm. ici
–, mais dont le renvoi devant la Grande chambre a été rejeté, alors que le même
arrêt a fait l’objet, par ailleurs, d’une mention au rapport
annuel].
jeudi 6 août 2015
[tab.] Les injonctions en amélioration des conditions de détention devant le juge administratif des référés
La vétusté et
l’insalubrité des établissements pénitentiaires – donc les atteintes à sa
dignité, mais aussi, plus largement, à ses différents droits et libertés
fondamentales, comme le droit à la santé – peuvent être combattues devant le
juge administratif par l’usage d’un référé-liberté [v.
pour des actions ayant prospéré, au moins en partie, TA
Marseille, 13 déc. 2012, Section française de l'observatoire international
des prisons, n° 1208103 : AJDA, 2012, p. 2414,
obs. D. Necib, ou, s’agissant de l’appel de l’ordonnance précitée qui
n’avait accueilli que partiellement les demandes, CE,
réf., 22 déc. 2012, Sect. Fr. OIP, n° 364584 : Rec. CE ; D.,
2013, p. 1304, chron. É. Péchillon ; AJP, 2013, p.
232, obs. É. Péchillon ; JCP, 2013, n° 87,
note O. Le Bot ;ADL, 27 déc. 2012,
note S. Slama ; JCP A, 2013, n° 2017,
obs. G. Koubi ou TA
Fort-de-France, 17 oct. 2014, Sect. Fr. OIP, n° 1400673 : D.,
actu., 24 oct. 2014, obs. M. Léna ou CE,
réf., 30 juil. 2015, 392043, OIP-SF et Ordres des avocats au barreau de
Nîmes : à paraître au Bulletin – le dernier arrêt
du Conseil d’État a été rendu après un rejet des demandes formulées par le juge
du fond : TA Nîmes, réf., 17 juil. 2015, n° 1502166]
ou d'un référé mesure-utile [TA
Marseille, 10 janv. 2013, Sect. Fr. OIP, n° 1208146 : AJDA,
2013, p. 80, obs. D. Necib], afin d’obtenir des injonctions
visant à l’amélioration des conditions de détention. Ces décisions permettent
une première recension des injonctions demandées et de celles prescrites par le
juge, et le bilan reste quelque peu décevant, alors que la Cour européenne des
droits de l’Homme a considéré, dans un obiter dictum, que cette
voie des référés administratifs pourrait apparaître comme un recours national
utile pour permettre la contestation des conditions de détention indignes [v. CEDH,
sect. V, 21 mai 2015, Yengo c. France, req. n° 50494/12 ; v.
notre comm. ici].
Surtout, la dernière
ordonnance du Conseil d’État de juillet [préc.]
consacre une vision restrictive des pouvoirs d’injonction du juge administratif
saisi en référé-liberté, limités à la prescription de « mesures
d'urgence que la situation permet de prendre utilement et à très bref
délai ». En l'espèce, le juge a prononcé des injonctions qui peuvent
apparaître finalement dérisoires [prendre, dans les meilleurs délais, toutes
les mesures qui apparaîtraient de nature à améliorer, dans l'attente d'une
solution pérenne, les conditions matérielles d'installation des détenus durant
la nuit, assurer et améliorer l'accès des détenus aux produits d'entretien des
cellules et à des draps et couvertures propres, doter l'accueil des
familles d'un moyen d'alarme, demander l'autorisation de travaux pour la
modification du système sécurité incendie et réaliser un diagnostic de sécurité
sur le désenfumage de la partie hébergement homme], quand bien même il a noté
par ailleurs la situation « gravement préoccupante » de
l’établissement pénitentiaire au regard de la surpopulation y régnant.
Auparavant en juin, le
Conseil d’État s’était déjà montré rigoureux dans la matière du référé
mesure-utile, annulant l’ordonnance du juge des référés de premier degré [TA
Melun, 19 janvier 2015, OIP, n° 1410906],
qui avait enjoint à l’administration pénitentiaire de détruire le muret
de séparation dans les parloirs de l’établissement de Fresnes [CE,
3 juin 2015, n° 387683 : inédit].
Le Conseil d’État a reproché au juge du premier degré sa motivation,
caractérisant l’urgence par la violation d’une disposition du Code de procédure
pénale, « sans rechercher si
des éléments concrets, propres à l'espèce, étaient susceptibles de caractériser
l'urgence ». Le juge des référés du Tribunal administratif de Melun, à
qui l’affaire a été renvoyée, a adopté la même injonction, en
adoptant une motivation plus conforme aux exigences du Conseil d’État [TA,
15 sept. 2015, OIP, n°1410906].
Dès lors, si le référé mesure-utile n’est donc pas impropre par nature à l’obtention
de meilleures conditions de détention, le Conseil d’État veille au contrôle de
la condition d’urgence, qui ne saurait être appréciée in abstracto, par exemple du fait de la violation de la loi, mais
nécessite une caractérisation in concreto.
Finalement, cette
jurisprudence ne dessine pas de recours spécial
en amélioration des conditions de détention, le référé-liberté comme le référé
mesure-utile restant, en cette matière, soumis aux conditions de droit commun,
le Conseil d’État veillant à leur respect et à interdire toute déformation [cette approche du
Conseil d’État n’est pas sans rappeler celle qu’il suit en matière d’isolement
pénitentiaire, toujours concernant l’usage des référés ; v. sur ce point,
notre comm. ici,
in fine]. S’il y a bien un juge pénitentiaire [M. Guyomar,
« Le juge administratif, juge pénitentiaire » ; in Terres du droit, Mélanges Jegouzo, Dalloz, 2009, p. 471], il œuvre à travers
les actions de droit commun, recours en excès de pouvoir ou référés
administratifs, sans qu’il n’existe, à proprement parler, d’action pénitentiaire.
Libellés :
[tab.],
13 CEDH,
3 CEDH,
conditions matérielles de détention,
Conseil d'Etat,
dignité,
exécution,
juge administratif,
référé-liberté,
référé-MU,
surpopulation
lundi 3 août 2015
[obs.] Le peu de droits du suspect interrogé librement : la persistance du lien entre droits de la défense et privation de liberté [CEDH, sect. II, 16 juin 2015, Schmid Laffer c. Suisse, req. n° 41269/08]
1.
L’audition du suspect sans contrainte devant la Cour européenne des droits de
l’Homme. Il y a des questions dont on attendait impatiemment
la solution et qui sont finalement tranchées au moment où elles n’ont
pratiquement plus d’intérêt... Tel est le cas de la question du contenu des
droits de la défense applicable au suspect entendu librement par la police,
tranché récemment par la Cour européenne des droits de l’Homme sur le fondement
de l’article 6 [CEDH, sect. II, 16 juin 2015, Schmid-Laffer c. Suisse, req. n°
41269/08], alors que le droit français a déjà consacré au
profit du suspect en audition libre les droits à l’assistance d’un avocat
durant l’interrogatoire et à la notification du droit au silence [art. 61-1 CPP –
v. M. Toullier,
« Le statut du suspect à l'ère de l'européanisation de la procédure pénale
: entre “petite” et “grande” révolutions » ; RSC, 2015, p. 127 ou S. Pellé,
« Garde à vue : la réforme de la réforme (acte
I) » ; D., 2014, p. 1508],
réalisant ainsi une coupure forte entre la privation de liberté du suspect et
le déclenchement des droits de la défense. Pour autant, on aurait tort de ne
pas s’intéresser à la solution adoptée, surtout lorsqu’elle confirme la
direction générale prise par la Cour européenne des droits de l’Homme quant aux
droits de la défense du suspect, tendant à réduire progressivement les
potentialités de ses célèbres arrêts Salduz
[CEDH, gde ch., 27 nov. 2008, Salduz c.
Turquie, req. n° 36391/02 : Rec. CEDH, 2008 ; D.,
2009, p. 2897, note J.‑F. Renucci ; AJDA,
2009, p. 852, chron. J.‑F. Flauss ; JCP,
2009, I, n° 104, chron. F. Sudre ; Dr. pénal, 2009, n° 4,
chron. E. Dreyer]
et Dayanan [CEDH, sect. II, 13 nov. 2009, Dayanan c.
Turquie, req. n° 7377/03 : AJP,
2010, p. 27, note C. Saas ; D.,
2009, p. 2897, note J.‑F. Renucci ; RSC,
2010, p. 231, obs. D. Roets ; Gaz.
Pal., 3 déc. 2009, note H. Matsopoulou ; Dr. pénal,
2010, n° 3, chron. V. Lesclous],
dont l’éclat ne fait que s’atténuer. En l’espèce, l’amant d’une femme en
instance de divorce avait poignardé le mari de celle-ci, avait été arrêté
immédiatement et avait avoué la tentative de meurtre. La requérante avait été
entendue librement et en qualité de témoin le 1er août, sans avoir
bénéficié de la notification de son droit de garder le silence ou de tout autre
droit, ni de l’assistance d’un avocat et elle avait tenu des déclarations incriminantes :
elle avait admis avoir évoqué avec son amant la possibilité d’assassiner son
mari pour plaisanter et avait décrit le déroulement du jour des faits duquel il
ressortait qu’elle pouvait difficilement avoir ignoré le projet de son amant [Schmid‑Laffer : préc. ;
§ 10].
La requérante n’avait toutefois pas avoué franchement avoir incité son amant à
tuer son mari, ce qu’elle fit plus tard alors qu’elle était placée en détention
provisoire, avant de se rétracter, après avoir pu enfin bénéficier de
l’assistance d’un avocat commis d’office. Elle était finalement condamnée,
notamment, pour avoir incité son amant à commettre le crime. Devant la Cour
européenne des droits de l’Homme, c’est uniquement son audition du 1er
août que la requérante critiquait sur le fondement de l’article 6, et celle-ci
se plaignait, plus précisément, d’une atteinte à son droit de garder le
silence. L’arrêt concerne donc directement la question de l’applicabilité des
droits de la défense, tels qu’ils ressortent de l’article 6, au suspect
interrogé sans contrainte.
mercredi 8 juillet 2015
[veille] L'affaire Mursic renvoyée devant la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l'Homme
L'arrêt Mursic a réalisé un abaissement du seuil de la caractérisation du traitement inhumain et dégradant causé par la surpopulation, tout en se montrant peu rigoureux quant au raisonnement rendu, notamment pour évincer l'apport de l'arrêt Torreggiani sans véritablement bien en rendre compte [v. notre comm., Torreggiani vs Mursic : les atermoiements européens sur la sanction de la surpopulation]. C'est donc avec une certaine attention que devra être scruté l'arrêt que la Grande chambre rendra sur cette affaire, puisque le collège vient d'accepter le renvoi demandé par le requérant.
[obs.] La recherche de l’amendement et de la réinsertion, plutôt que la protection de la dignité, nouveau principe directeur servant à l’encadrement de la peine perpétuelle [à propos de CEDH, gde ch., 30 juin 2015, Khoroshenko c. Russie, req. n° 41418/04]
La
consolidation du nouveau principe directeur. Si la peine
perpétuelle est contrôlée habituellement sous l’angle de l’article 3 [interdiction
des peines et traitements inhumains et dégradants] ou de l’article
5 [droit
à la liberté et à la sûreté] de la Convention européenne des
droits de l’Homme, c’est sous le visa de l’article 8 [droit
à mener une vie familiale normale] que la Grande chambre
a rappelé que « l’accent mis sur l’amendement
et la réinsertion des détenus était à présent un élément que les États membres
étaient tenus de prendre en compte dans l’élaboration de leurs politiques
pénales » [CEDH,
gde ch., 30 juin 2015, Khoroshenko c.
Russie, req. n° 41418/04 ;
§ 121 – v. pour la même formulation consacrée sur le fondement de l’article 3, CEDH,
gde ch., 9 juil. 2013, Vinter et autre c. Royaume-Uni, req. nos 66069/09,
130/10 et 3896/10 : Rec. CEDH,
2013 ; D., actu., 12 juil. 2013, obs. M. Léna ; ibid., 2013, p.
2081, note J.‑F. Renucci ; ibid.,
p. 2713, chron. G. Roujou
de Boubée ; ibid., 2014, p. 1235, chron. J.-P. Céré ;RFDA, 2014, p.
538, chron. L. Labayle ; AJP,
2013, p. 494, obs. D. van Zyl Smit ; RSC, 2013, p. 625, chron. P. Poncela ; ibid., p.
649, obs. D. Roets ; Dr.
pénal, 2013, comm. n° 165, obs. É.
Bonis-Garçon ; ibid., 2014, chron. n°3, obs. V. Peltier ; ibid.,
chron. n° 4, chron. E. Dreyer ; JCP,
2014, n° 970, obs. L. Milano ; ibid.,
2013, n° 918, obs. F. Sudre ;
§ 115].
Que le contrôle européen s’exerce sur le fondement de l’article 3, de l’article
5 ou désormais de l’article 8, la recherche de l’amendement et de la
réinsertion apparaît comme le nouveau principe directeur de l’encadrement de la
peine perpétuelle, plutôt que la protection de la dignité, principe directeur
qui a servi dans un premier temps à la Cour à cette régulation, par exemple pour
interdire la peine perpétuelle de facto et
de jure incompressible [CEDH,
gde ch., 12 févr. 2008, Kafkaris c.
Chypre, req. n° 21906/04 : Rec.
CEDH, 2008 : RSC, 2008,
p. 692, obs. D. Roets ; § 97].
Sur le fondement de l’article 3, c’est ainsi que l’arrêt de Grande chambre Vinter, après avoir consacré une
subdivision aux « instruments
internationaux pertinents concernant la réinsertion des détenus » [Vinter,
gde ch. : préc.], a dégagé au profit du détenu un droit
au réexamen non judiciaire de la persistance de motifs pénologiques justifiant sa
détention [ibid.,
§ 119 et s.], au cours de l’exécution de sa condamnation à la
perpétuité réelle [celle-ci est présumée poursuivre tout
son long la répression du détenu, sans autre finalité].
Sur le fondement de l’article 5, c’est ainsi que l’arrêt James a dégagé pour le détenu subissant une peine perpétuelle
sécable [celle-ci, à la différence de la perpétuité réelle, se
caractérise par une première période punitive, puis une seconde de sûreté, le
recours de l’article 5 § 4 s’appliquant à cette dernière période, celui‑ci
obligeant le Tribunal à apprécier la nécessité du maintien en privation de
liberté – v. pour une affaire anglaise, CEDH,
plén., 2 mars 1987, Weeks c.
Royaume-Uni, req. n° 9787/82
: Rec. CEDH, série A, n° 114, ou
une affaire française, CEDH,
sect. II, 11 avr. 2006, Léger c. France,
req. n° 19324/02 : RSC, 2007,
p. 134, comm. F. Massias ; D., 2006, p. 1800, note J.‑P. Céré ;
AJP, 2006, p. 258, note S. Enderlin]
un droit à bénéficier d’un contenu de nature à permettre sa réhabilitation [CEDH,
sect. IV, 18 sept. 2012, James,
Wells et Lee c. Royaume-Uni, req. nos 25119/09, 57715/09,
57877/09 et 18/09/2012, en angl. : D., actu., 8 oct. 2012, obs. O.
Bachelet ; Dr. pénal,
2013, n° 4, chron. E. Dreyer ; § 218 : « As the Court has indicated above, in
circumstances where a Government seek to rely solely on the risk posed by
offenders to the public in order to justify their continued detention, regard
must be had to the need to encourage the rehabilitation of those offenders »].
D’autre part, la Cour a logiquement déduit de la consécration d’une véritable
opportunité pour le détenu d’obtenir une libération au cours de l’exécution de
la peine perpétuelle – soit devant le Tribunal, fondée sur le fondement de l’article
5 § 4, pour la perpétuité sécable, soit devant une autorité non judiciaire [a minima],
fondée sur le fondement de l’article 3, pour la perpétuité réelle – que le
régime de l’exécution de la peine, dès son début, ne devait pas compromettre toute
chance de réhabilitation [CEDH, sect. IV, 8 juil. 2014, Harakchiev
et Tolumov c. Bulgarie, req. nos 15018/11 et
61199/12 : § 263 : « having a genuine opportunity
of reforming himself »]. Ainsi, sur le
fondement de l’article 3, le détenu ne peut être placé automatiquement dans un
régime d’isolement pénitentiaire prolongé, simplement du fait des infractions
qu’il a commises [Harakchiev
et Tolumov : préc.].
Sur le fondement de l’article 8, il ne peut pas non plus, toujours au regard de
sa condamnation exclusivement, être empêché de téléphoner à ses proches et de recevoir
leurs visites, sauf une fois tous les six mois pour les membres de sa famille, et ce pendant
les dix premières années de l’exécution de sa peine perpétuelle, dès lors qu’un
tel régime viole, notamment, « les
impératifs d’amendement et de réinsertion des détenus de longue durée »
[Khoroshenko,
gde ch. : préc. ; § 148].
3, 5 et 8, la recherche de l’amendement et de la réinsertion est bien un
principe général à l’aune duquel toutes les ingérences aux libertés et droits
fondamentaux du détenu condamné à une peine perpétuelle sont confrontées.
La marche européenne à
pas feutrés. Quand bien même la
Cour développe la consécration d’obligations positives, y compris sur le
fondement de l’article 3 en matière pénitentiaire [faut‑il encore présenter l’arrêt Kudla ?], l’utilisation de la recherche de la réinsertion et de l’amendement,
plutôt que de la protection de la dignité, est
plus adapté pour forcer les États à inclure dans l'exécution de la peine perpétuelle un contenu
visant à la réhabilitation du détenu. Plus encore, le nouveau principe
directeur est de nature à imposer un tel contenu à la peine à temps. À ce titre, la Cour
européenne des droits de l’Homme se plait à employer l’article 10 § 3 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, selon lequel « le régime pénitentiaire comporte un
traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur
reclassement social » [v. Vinter, gde ch. : préc. ; § 118 – James, Wells et Lee : préc. ; § 208 – Khroshenko, gde ch. : préc. ; § 145] et dont les principes ne sont pas limités à la peine perpétuelle. C’est
dire si le développement du principe directeur de la recherche de l’amendement et
de la réinsertion porte de fortes potentialités pour enrichir d’une nouvelle
dimension le standard pénitentiaire européen, au-delà de la sanction (trop)
classique de l’indignité des conditions matérielles de détention, du fait de la
vétusté, de l’insalubrité ou de la surpopulation [v. sur ce standard, notre
comm. de l’arrêt Mursic]. Il n’en demeure pas moins que la Cour européenne des droits de l’Homme
fait preuve d’une prudence extrême en la matière, si bien que les apports du nouveau principe directeur sont limités et qu'il ne faut sans doute pas attendre de celui-ci, à courte échéance, qu'il suscite d'importantes évolutions. Ainsi, concernant la perpétuité réelle, la
Cour a écarté de mettre à la charge de l’État l’obligation d’organiser un
contenu visant la réhabilitation du détenu, se contentant d’interdire que les chances d’obtenir un tel résultat soient compromises par la soumission automatique de celui-ci à un régime de détention trop sévère [Harakchiev
et Tolumov : préc. ; §
264 – v. plus précisément sur les exigences de la Cour, quant à l’obligation
pour l’État d’assortir à la privation de liberté un contenu de nature à favoriser
la réadaptation, qui varie selon les cas de détention, notre
chron., n° 26]. D’autre part, le droit au réexamen bénéficiant au détenu
condamné à la perpétuité réelle, par égard pour la marge d’appréciation des États,
a été altéré dans la dernière jurisprudence de la Cour, qu’il s’agisse du temps
d’épreuve de vingt-cinq ans au terme duquel il devient en principe exigible [CEDH,
sect. V, 13 nov. 2014, Bodein c. France, req.
n° 40014/10 : v. notre
comm.] ou du contrôle de la qualité de la loi
organisant un tel recours [CEDH,
sect. IV, 3 févr. 2015, Hutchinson c. Royaume-Uni, req. n°
57592/08 : v. notre
comm.]. Le nouvel arrêt ici signalé se perd encore en de nombreuses
précautions, alors même que la sévérité du régime en cause [Khoroshenko, gde ch. : préc. ; § 22 : « le requérant fut
autorisé à recevoir tous les six mois une visite courte de membres de sa
famille, d’une durée maximale de quatre heures. À ces occasions, le requérant
communiquait avec ses proches à travers une paroi vitrée ou des barreaux
métalliques, dans des conditions qui ne permettaient aucun contact physique. Un
gardien écoutait les conversations qu’il avait avec ses visiteurs. »] ne laissait
guère de doute quant au constat de violation, d’autant plus que la Cour avait déjà connu d'un précédent très similaire dans lequel elle avait déjà
relevé une violation de l’article 8 [CEDH,
sect. V, 23 févr. 2012, Trosin c. Ukraine,
req. n° 39758/05, en angl.]. Elle s’est pourtant attardée sur la marge d’appréciation
des États, pour constater un consensus dans de nombreux États contractants qui « n’établissent aucune distinction en la
matière entre les détenus condamnés à
la réclusion à perpétuité et les autres catégories de détenus » et qui autorisent généralement au moins « une visite par mois » [Khoroshenko, gde ch. : préc. ; § 135]. Plus précisément, concernant les droits de
visites, ces derniers éléments doivent sans doute être considérés comme
intégrant le standard européen pénitentiaire et à ce titre, celui-ci devenant
de plus en plus abstrait, ils figurent comme la nouvelle norme applicable en la
matière. En tout cas, la lumière faite par la Cour européenne des droits de l’Homme
sur l’article 10 § 3 du Pacte devrait au moins, sur le plan national, renforcer
sa prise en compte, aujourd’hui contrastée [v. pour le contrôle de l’isolement de sûreté à
la disposition internationale et la validation du droit national, CE,
sect., 31 oct. 2008, Sect. fr. OIP,
n° 293785 : Rec. CE, p.
374 ; RFDA, 2009, p. 73,
concl. M. Guyomar ;
D., 2009, p. 134, note M. Herzog‑Evans ; Gaz. Pal., 13 déc. 2008, p. 33,
note M. Guyomar ; AJDA, 2008, p. 2389, chron. É. Geffray et S.-J. Liéber ; AJP,
2008, p. 500, obs. É. Péchillon ;
Dr. admin., 2009, comm. n° 10, note F. Melleray – v. pour le contrôle des sanctions disciplinaires à la
disposition internationale et la validation du droit national, CE,
26 juin 2015, n° 375133 : inédit
– v. pour le refus du juge administratif que « les objectifs d'insertion
et de réinsertion attachés aux peines subies par les détenus » intègrent
la matière des libertés fondamentales et servent à fonder un référé-liberté, CE,
15 juil. 2010, Puci c. min. Justice,
n° 340313 : inédit– v.
pour la confirmation de cette solution, CE,
13 nov. 2013, n° 338720 : Rec.
CE, T.].
lundi 6 juillet 2015
[veille] Le travail pénitentiaire de nouveau traduit devant le Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel a récemment rejeté
l'application du droit social au travail pénitentiaire, validant ainsi « la première phrase du troisième alinéa de l’article
717-3 du Code de procédure pénale »
aux termes duquel « les relations de
travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail »
[Cons.
const., déc. n° 2013-320/321 QPC du 14 juin 2013, [M. Yacine T. et autre] : J. O., 16 juin 2013, p. 10025 ; D., 2013, p. 1221, obs. S.
Slama ; ibid., p. 1909, obs.
F. Chopin ; Procédures, 2013, comm. 266, obs. J. Buisson]. Une nouvelle occasion
lui est donnée de préciser l’encadrement du travail en prison. Le Conseil d’État
[CE,
6 juillet 2015, n° 389324] a en effet renvoyé devant le Conseil
constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité concernant la
compatibilité de l’article
33 de la loi pénitentiaire, selon lequel « la participation des personnes détenues aux activités professionnelles
organisées dans les établissements pénitentiaires donne lieu à l'établissement
d'un acte d'engagement par l'administration pénitentiaire […] signé par le chef d'établissement et la
personne détenue, [qui] énonce les
droits et obligations professionnels de celle-ci ainsi que ses conditions de
travail et sa rémunération », avec le droit à 1' emploi, la liberté syndicale,
le droit de grève et le principe de participation des travailleurs. S’agissant
d’une affaire concernant le déclassement d’un détenu, le Conseil d’État a
logiquement écarté une autre question, pour être inapplicable à l’instance en
cours, visant de nouveau l'article 717-3 du code de procédure pénale, mais
cette fois le dernier aliéna, qui dispose que « la rémunération du travail des personnes détenues ne peut être
inférieure à un taux horaire fixé par décret et indexé sur le salaire minimum
de croissance défini à l'article
L. 3231-2 du code du travail »
et que « ce taux peut varier en
fonction du régime sous lequel les personnes détenues sont employées ».
mercredi 1 juillet 2015
[veille] La critique par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté de "la prise en charge de la radicalisation islamiste en milieu carcéral"
Le traitement de la "radicalisation islamiste" en milieu carcéral a donné lieu à des expérimentations, surtout un regroupement de détenus dans l'établissement de Fresnes, dont on peut craindre qu'il constitue un nouvel avatar d'une création de l'administration pénitentiaire en dehors de la légalité qui cause grief aux droits des personnes concernées [v. pour la mise en relief des problématiques du phénomène religieux en détention, P.Poncela, "Religion et prison, je t'aime moi non plus", RSC, 2015, p. 143]. Pourtant, le Premier ministre a annoncé l'extension à d'autres établissements du dispositif. Le dernier avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté traite de ces expérimentations, celui-ci se montrant critique, notamment, sur le regroupement [CGLPL, Avis relatif à la prise en charge de la radicalisation islamiste en milieu carcéral, 30 juin 2015].
[obs.] Le juge français et la contestation de la dignité des conditions de détention [CEDH, sect. V, 21 mai 2015, Yengo c. France, req. n° 50494/12]
1.
Le droit à l’indemnisation par le juge interne de l’indignité passée des conditions
matérielles de détention. L’article 13 combiné à l’article 3
de la Convention européenne des droits de l’Homme oblige le droit national à consacrer
une voie de recours interne contre les conditions de détention matériellement
indignes du fait de l’insalubrité et de la vétusté ou de la
surpopulation [v.
pour le contrôle européen de la matière, dont le critère principal réside dans
la surface de l’espace personnel dont bénéficie le détenu, notre comm. de l’arrêt Mursic]. En réalité,
ce sont deux recours qui doivent coexister pour satisfaire la Convention [v. pour un rappel des principes
applicables, nos obs. ici].
Pour les conditions de détention passées, soit que le détenu, après l’introduction
de son action, ait été libéré ou ait bénéficié de conditions de détention
satisfaisantes, le recours utile interne est indemnitaire. Sur ce point, la
Cour européenne des droits de l’Homme a déjà estimé que l’action du détenu devant
le juge administratif français pour engager la responsabilité de l’État du fait
des conditions de détention indignes [v.
pour les premières décisions du fond TA Caen, 21 déc. 2004 ; AJP, 2005, p. 120, obs. C. S. Enderlin ou TA Versailles, 18 mai
2004 ; AJP, 2004, p. 413,
obs. M. Herzog‑Evans ou TA Rouen, 27 mars 2008, n° 0602590 ; D., 2008, p. 1959, comm. M. Herzog-Evans
ou CA Douai, 12 nov. 2009, n°
09DA00782 :
AJDA, 2010, p. 42, obs. J. Lepers – v. pour une synthèse de
la jurisprudence administrative, N. Deffains,
« De la responsabilité de l’État du fait des conditions de
détention » ; Gaz. Pal, 9
févr. 2013, p. 12, spéc. II] est une voie de
recours interne efficace au sens de la Convention [CEDH, sect. V, 13 sept. 2011,
Lienhardt c. France, req. n°
12139/10, déc. – CEDH, sect. V, 2 avr. 2013, Théron c. France,
req. n° 21706/10, déc. – CEDH, sect. V, 10 avr. 2012, Rhazali et autres c. France,
req. n° 37568/09, déc.].
Les actions se multiplient [selon le Rapport d’information de
la Commission des Lois constitutionnelles sur les moyens de lutte contre la
surpopulation carcérale,
« le montant des condamnations liées aux
conditions de détention s’élevait à 46.000 € en 2009, à 140.250 € en 2010 et à
343.000 € en 2011, soit une progression de 645 % entre 2009 et 2011 »],
même si les indemnisations accordées demeurent modestes [dans sa décision Lienhardt, précitée, la Cour déclarait
irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes le requérant
n’ayant agi que devant le Tribunal administratif, qui lui avait alloué 2.000 €
d’indemnisation. La Cour notait qu’elle lui aurait sûrement accordé une
meilleure indemnisation, sans que cette circonstance ne suffise à rendre la
requête recevable. En revanche, le montant de l’indemnisation du préjudice
accordé par le juge interne, s’il est considérablement inférieur au montant que
la Cour pourrait allouer pour une affaire similaire, empêche que le requérant
perde sa qualité de victime et lui permet d’agir ; CEDH, sect. IV, 20 juil. 2010, Ciorap c. Moldavie (n° 2), req. n° 7481/06,
en angl. En
l’espèce, le requérant avait obtenu 600 € en réparation de la détention
indigne, mais la Cour allouait au requérant 4.000 € d’indemnisation. Elle
citait deux exemples dans sa jurisprudence récente, qui ont vocation à servir
de mètre étalon en matière d’indemnisation, dans lesquelles elle avait accordé
à chaque fois 6.000 € de préjudice moral ; ibid., § 24. Le premier cas concernait des conditions de
détention sévères qui n’avaient duré que cinq jours ; CEDH, sect. IV, 15 déc.
2009, Gavrilovici c. Moldavie,
req. n° 25464/05, en angl..
Le second une détention provisoire de deux mois, réalisée dans des conditions
dont l’indignité était moins affligeante ; CEDH, sect. IV, 27 mars 2007, Istratii c. Moldavie, req. nos
8721/05, 8705/05 et 8742/05, en angl.].
Libellés :
[obs.],
13 CEDH,
3 CEDH,
arrêt-pilote,
CEDH,
CGLPL,
conditions matérielles de détention,
détention provisoire,
dignité,
juge administratif,
libération,
peine,
référé-liberté,
référé-MU,
surpopulation
mercredi 10 juin 2015
[obs.] Hausse du contrôle du juge administratif de la sanction de placement en cellule disciplinaire [CE, 1er juin 2015, Boromée c. Min. justice, n° 380449 : Rec. CE]
Le mouvement général de
la hausse du contrôle du juge administratif sur la sanction est connu, qu’il aboutisse
au basculement d’un pan de la matière dans le plein contentieux [v. pour la
sanction administrative prise à l’encontre d’un administré, CE,
ass., 16 févr. 2009, Société
Atom, n° 274000 : Rec. CE, p. 26
; AJDA, 2009, p. 583, chron. S.-J. Lieber et D. Botteghi ; AJP, 2009, p. 189, obs. É. Péchillon ; RFDA,
2009, p. 259, concl. C. Legras ;
ibid., 2012, p. 257, comm. J. Martinez‑Mehlinger ; Constitutions, 2010, p. 115, obs. O. Le Bot] ou, tout en maintenant le
contentieux dans le domaine du recours en excès de pouvoir, à l’abandon du
contrôle restreint, celui cantonné à l’erreur manifeste d’appréciation [v. pour
la sanction administrative prise à l’encontre d’un agent public, CE, ass., 13 nov. 2013, Dahan,
n° 347704 : Rec.
CE – v. avant même l’arrêt Dahan pour la progression du contrôle
normal en matière disciplinaire, M. Canedo-Paris,
« Feu l'arrêt Lebon ? » ; AJDA, 2010, p. 921]. La
sanction pénitentiaire a d’abord échappé à ce mouvement, le recours pour excès
de pouvoir aboutissant encore à un contrôle de la disproportion manifeste de la
sanction par rapport à la nature et à la gravité des faits [CE, 20 mai 2011, Letona Biteri, n° 326084 : Rec. CE, p. 246 ; AJP, 2012,
p. 177, obs. M. Herzog‑Evans ;
AJDA, 2011, p. 1056, obs. R. Grand
– v. M. Moliner‑Dubost,
« À propos d'une autre "jurisprudence immobile" : le
contentieux des sanctions disciplinaires infligées aux détenus » ; AJDA,
2013, p. 1380], l’exception pénitentiaire persistant jusqu’alors. En
reprenant directement le considérant tiré de l’arrêt Dahan, adapté au
cas du détenu, le Conseil d’État vient donc de dénier que la spécificité
carcérale justifie un contrôle limité à l’erreur manifeste d’appréciation et
vient de reconnaître, aussi dans la matière, l’application du contrôle normal :
« il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce
sens, de rechercher si les faits reprochés à un détenu ayant fait l'objet d'une
sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une
sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes »
[CE,1er juin 2015, Boromée c. Min.justice, n° 380449 : Rec.
CE]. Si en l’espèce, le
détenu avait été sanctionné par le placement en cellule disciplinaire, l’apport
ne se cantonne pas à cette seule sanction. En revanche, le contrôle tel
qu’énoncé ici reste limité, la disproportion s’appréciant uniquement, au regard
de la formule, à la gravité des fautes, la personnalité du détenu n’entrant pas
en ligne de compte.
Libellés :
[obs.],
13 CEDH,
3 CEDH,
CEDH,
cellule disciplinaire,
Conseil d'Etat,
droit disciplinaire,
exécution,
isolement,
juge administratif,
proportionnalité,
référé-liberté,
référé-suspension
vendredi 5 juin 2015
[obs.] Motivation de la peine privative de liberté et procès équitable [CEDH, sect. II, 26 mai 2015, Lhermitte c. Belgique, req. n° 34238/09]
Motivation
du verdict et procès équitable
La compatibilité entre
la motivation des arrêts de la Cour d’assises par le système des questions et
le procès équitable a été vivement remise en cause par la Cour européenne des
droits de l’Homme [CEDH,
sect. II, 13 janv. 2009, Taxquet c.
Belgique, req. 926/05 ;
RSC, 2009, p. 657, obs. J.‑P. Marguénaud ; D., 2009, p. 1058, note J.-F. Renucci ; ibid., p. 2545, obs. K. Gachi ; RFDA, 2009, p. 677, comm. L. Berthier
et A.-B. Caire ; JCP, 2009, actu., n° 200, obs. M.-L. Rassat ; Gaz. Pal., 14 mai 2009, p. 11, note F. Desprez ; Procédures, 2009, comm. n° 172, obs. J. Buisson], avant que la Grande chambre ne recule – ou ne trouve
une position médiane plus acceptable, selon les opinions –, en refusant de
considérer, par principe, le système de la motivation par questions inconventionnel
[CEDH,
gde ch., 16 nov. 2010, Taxquet c. Belgique,
req. n° 926/05 ; RSC, obs. J.‑P. Marguénaud ;
D., 2011, p. 47, obs. O. Bachelet ; ibid., note J. Pradel ; ibid.,
note J.-F. Renucci ; AJP, 2011, p. 35, obs. C. Renaud-Duparc]. L’arrêt de
Grande chambre n’en a pas moins posé le principe que « le public et, au premier chef, l’accusé
doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu » [ibid.; § 90]. Ainsi, la motivation par
des questions suffisamment précises et nombreuses pour établir les
circonstances de la commission des infractions, concernant des faits simples et
n’impliquant qu’un seul accusé, a été jugée suffisante [CEDH,
sect. V, 10 janv. 2013, Legillon c.
France, req. n° 53406/10 – v. contra pour le refus de considérer que
la seule question posée sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière » puisse « permettre au requérant de comprendre le
verdict de condamnation », CEDH,
sect. V, 10 janv. 2013, Oulahcene c.
France, req. n° 44446/10 ;
§ 53]. En cas d’élément de complication, par exemple de pluralité d’accusés,
l’ordonnance de mise en accusation peut également servir d’élément de
compréhension [CEDH,
sect. V, 10 janv. 2013, Voica c. France,
req. n° 60995/09]. Les questions et l’ordonnance de
mise en accusation ne suffisent plus toutefois en présence de certains éléments
compliquant trop la compréhension, par exemple lorsque l’accusé est condamné
après un premier acquittement, si bien que, même si la Cour ne l’impose pas
expressément, un exposé des principaux motifs retenus pour établir la
culpabilité apparaît indispensable [CEDH,
sect. V, 10 janv. 2013, Fraumens c.
France, req. n° 30010/10 – CEDH,
sect. V, 10 janv. 2013, Agnelet
c. France, req. n° 61198/08]. Dès lors, si l’on
peut sans doute dégager l’existence d’un principe de motivation des verdicts de
Cour d’assises, celui-ci peut encore être satisfait par la forme minimale des
questions, des lors que des éléments extrinsèques peuvent permettre à l’accusé
d’en compléter la compréhension.
Si les différentes
solutions européennes montrent une souplesse certaine [v. pour les commentaires
des arrêts du 10 janvier 2013, D.,
2013, p. 615, note J.‑F. Renucci ;
RSC, 2013, p. 158, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid., p. 112, note J. Danet], ces arrêts n’ont pas abordé frontalement
la question de la fixation de la peine. Malgré la formulation large de l’arrêt Taxquet [il se réfère à la notion de « verdict », qui inclut déclaration
de culpabilité et fixation de la peine ; Taxquet, gde ch. : préc. ;
§ 90], la Cour a principalement évoqué le cas de coaccusés sanctionnés
distinctement : le condamné doit pouvoir « déterminer quels avaient été les éléments qui avaient permis au jury de
conclure que [certains] avaient eu
une participation limitée dans les faits reprochés, entraînant une peine moins
lourde » [Taxquet, gde ch. : préc. ; § 97] ou encore, à la suite d’un
appel, il ne doit pas « ignorer la
raison pour laquelle sa peine, prononcée en fonction des responsabilités respectives
de chacun des coaccusés, a pu être successivement inférieure et supérieure à
celle de son coaccusé » [Voica :
préc. ; § 52]. Mais la
motivation exigée se rapporte d’abord à la gravité des faits, la Cour
envisageant surtout que les différences entre les peines prononcées traduisent la
différence de degrés d’implication ou de responsabilité des coaccusés. La
modification du droit français, qui a suivi, pour introduire la motivation des
arrêts de Cour d’assises [art. 365‑1
CPP],
n’exige pas non plus du juge des explications quant à la fixation de la peine
[selon la disposition précitée, « la
motivation consiste dans l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour
chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises »],
et les nouveaux principes ont été accueillis avec bienveillance par la Cour
européenne des droits de l’Homme [v. les différents arrêts rendus contre la
France le 10 janvier 2013, par ex. Legillon :
préc. ; § 68]. La Chambre
criminelle a encore récemment validé le défaut de motivation de la peine dans
les arrêts de Cour d’assises [Cass.
crim., 18 févr. 2015, n° 14‑82.487 : inédit ; « l'absence
de motivation des peines prononcées par les cours d'assises, qui s'explique par
l'exigence d'un vote, n'est pas contraire aux [articles 6 de la Convention
européenne des droits de l'homme, 132-23 et 132-24 du code pénal, 591 et 593 du
code de procédure pénale, ni ne viole ensemble les droits de la défense et le
principe de la personnalisation de la peine] »].
Pourtant, l’intime
conviction, qui s’opposerait à la motivation de l’établissement de la
culpabilité, ne concerne pas la fixation de la peine. Et le recours au vote,
avancé par la Chambre criminelle, n’est une justification guère suffisante de
l’absence de motivation sur la peine : « la Cour d’assises délibère […]
sur l’application des peines » avant de procéder au vote [art.
362 CPP], de la même manière que « la Cour et le jury délibèrent, puis votent »
sur les questions liées à la culpabilité [art.
356 CPP], si bien qu’on comprend mal comment le même
procédé permettrait, pour la culpabilité, la rédaction de la feuille de
motivation imposée par la loi et empêcherait, pour la fixation de la peine, toute
explication. De même, l’exigence d’une « décision spéciale » permettant à la Cour d’assises d’allonger
la période de sûreté, imposée à l’article
132-23 du Code pénal, n’a jamais été interprétée comme
imposant une obligation de motivation, malgré la sévérité de la mesure [Cass.
crim., 7 nov. 2007, n° 07‑82.382 : inédit
– Cass.
crim., 23 oct. 2013, n° 12‑88.285 : inédit : « attendu qu'aucune
disposition légale n'impose à la cour d'assises, dont les délibérations sont
régies par le seul article 362 du code de procédure pénale, de motiver la
décision spéciale par laquelle elle porte aux deux tiers de la peine la durée
de la période de sûreté assortissant celle-ci, en application de l'article 132‑23
du code pénal »]. Paradoxalement, la courte peine privative de liberté doit
être motivée [v. l’art.
132-19 du Code pénal, dont les très nombreuses modifications,
cependant, rappellent l’échec constant], à la différence des peines de même
nature les plus lourdes. En réalité, le contrôle par la Cour de cassation de la
motivation de l’emprisonnement est filant, alternant contrôle plus rigoureux et
exigence minimale [v. nos obs. ici
ou notre chr.,
n° 68 et s.]. Il en ressort globalement que la détermination de
la culpabilité, parce qu’elle permet d’établir la matérialité des faits et leur
gravité, suffit en grande partie à justifier la nature et le quantum de la peine prononcée.
C’est, dans cet état du
droit, que l’arrêt Lhermitte [CEDH,
sect. II, 26 mai 2015, Lhermitte c. Belgique,
req. n° 34238/09] réalise un apport, s’agissant du
contrôle de la motivation de la condamnation, pour une requérante qui avait
égorgé ses cinq enfants et avait été condamnée à la réclusion à perpétuité par
la Cour d’assises belge. Quant au contrôle européen réalisé en l’espèce de la
motivation de la culpabilité, notamment s’agissant de la mise à l’écart de
l’irresponsabilité pénale malgré l’existence d’expertises militant en ce sens,
nous nous contenterons de renvoyer à l’opinion dissidente commune aux juges SAjo, Keller et Kjolbro, dont l’exposé simple et limpide pointe justement, il
nous semble, les faiblesses du raisonnement européen. Mais la Cour européenne
des droits de l’Homme était aussi saisie directement de la critique de la
motivation insuffisante de la fixation de la peine [ibid., § 25 : « la
requérante fait valoir que le verdict du jury ainsi que l’arrêt de la cour
d’assises n’étaient pas motivés quant à sa culpabilité et quant à la
détermination de la peine »], et elle a accepté d’en réaliser le
contrôle sur le fondement de l’article 6 [« par ailleurs, s’agissant spécifiquement de la fixation de la peine, la
Cour note que l’arrêt de la cour d’assises était dûment motivé sur ce point et
qu’il ne comporte aucune apparence d’arbitraire » [ibid., § 33] : il en ressort
que l’accusé doit disposer « de
garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation
ainsi que la peine qui ont été prononcés à son encontre » [ibid., § 34]. Cet arrêt nous donne
l’occasion de revenir sur les liens particuliers entre le procès équitable et
la peine privative de liberté. Nous évoquerons ensuite plus particulièrement
son apport nous intéressant, concernant la motivation de la peine privative de
liberté, afin notamment d’identifier les exigences que la Cour européenne des
droits de l’Homme pourrait imposer pour permettre à l’accusé de comprendre les
motifs ayant conduit à la fixation de sa peine.
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