Le rapport annuel de la
Cour européenne des droits de l’Homme (dans sa version provisoire) est arrivé
depuis quelques semaines. On n’y trouvera pas d’innovation véritablement
majeure concernant la matière de la privation de liberté, mais quelques arrêts
recensés –pas tous, selon notre avis – méritent de courts développements, parce
qu’ils permettent de mesurer l’état de la jurisprudence européenne sur des
notions importantes, à savoir la vulnérabilité de la personne en état
d’arrestation (1), les droits de la
défense contre la privation de liberté (2),
la détention de l’ « aliéné »
auteur d’une infraction pénale (3), la
fonction de l’Habeas corpus (4) et enfin – plus brièvement – les
droits de la défense du suspect (5).
1. Vulnérabilité de la personne en état d’arrestation. L’arrêt Zayev [CEDH, sect. I, 16 avr. 2015, Zayev c. Russie, req. n° 36552/05] évoque les brutalités commises sur le suspect pendant qu’il est sous la garde de la police et ses conséquences – classiques – tenant dans la présomption de culpabilité pesant sur l’État et son obligation positive de mener une enquête effective. En dehors de ses mécanismes connus, le rapport justifie la mention de l’arrêt sur l’insistance faite par la Cour sur la situation de vulnérabilité du suspect en état d’arrestation, établie en l’espèce du fait de sa situation par nature, mais en plus à cause du retard pris par les autorités à lui appliquer les garanties procédurales prévues par la loi, comme la notification de ses droits, l’assistance de l’avocat et le bénéfice d’un examen médical [§ 96]. Cependant, le rapport ne souligne pas assez que la Cour ne raisonne ici qu’au regard des garanties procédurales offertes par le droit national, sans inclure dans son standard un véritable paquet de droits généré par l’arrestation, compte-tenu de la vulnérabilité, guère discutable, dans laquelle se trouve la personne privée de liberté. La Cour n’a même pas profité de l’espèce pour inscrire dans l’article 3 le droit pour la personne en état d’arrestation de bénéficier d’un examen médical. Il faut rappeler que l’article 5 n’offre pas plus de droits générés par et dès l’arrestation, si ce n’est le droit, prévu par l’article 5 § 2, à l’information « dans le plus court délai » des raisons de l’arrestation : la disposition ne fonde pas de droit à l’assistance un avocat [CEDH, sect. II, 28 août 2012, Simons c. Belgique, req. n° 71407/10, déc.] dès le début de la privation de liberté, ni n’impose son contrôle en temps réel par l’autorité judiciaire [CEDH, 27 juin 2013, sect. V, 27 juin 2013, Vassis et autres c. France, req. n° 62736/09]. Si la Cour s’est orientée vers la consécration d’un tel statut dans l’arrêt Medvedyev de Section [CEDH, sect. V, 10 juil. 2008, Medvedyev et autres c. France, req. n° 3394/03], la Grande chambre [CEDH, gde ch., 29 mars 2010, Medvedyev et autres c. France, req. n° 3394/03] n’a pas repris à son compte l’innovation et la jurisprudence postérieure [Simons et Vassis] l’a abandonnée.
Dès lors, le suspect
placé sous la garde de la police bénéficie de garanties bien supérieures à toute
autre personne arrêtée, puisque, sur le fondement de l’article 6, il bénéficie
du droit à l’assistance d’un avocat dès le début de la privation de liberté [CEDH,
gde ch., 27 nov. 2008, Salduz c. Turquie,
req. n° 36391/02], et sur le fondement de l’article 5 §
3, du contrôle de l’autorité judiciaire à « bref délai », plus rapide que pour les autres, reporté à
« bref délai », sur le
fondement de l’article 5 § 4. L’arrêt Zayev
précise encore que la prévention des mauvais traitements justifie une
intervention des plus rapides de l’autorité judiciaire pour contrôle la
détention du suspect [§ 104]. L’assertion rappelle
le mouvement européen pour un contrôle in
concreto de la durée de la détention policière du suspect avant sa
présentation à l’autorité judiciaire, dans la limite maximale de quatre jours
posée par l’arrêt Brogan [v.
CEDH, sect. V, 6 nov. 2008, Kandzhov c.
Bulgarie, req. n° 68294/01 –
v. cependant sur ce point, infra, n°
4].
Par ailleurs, la Cour se réfère aussi à la vulnérabilité du suspect sur le
fondement de l’article 6 pour justifier son droit à l’assistance de l’avocat dès
les premiers interrogatoires [Salduz].
À faire de la vulnérabilité le cœur des droits du suspect en état
d’arrestation, on ne comprend pas pourquoi les droit et garanties qui en
découlent ne pourraient être étendus, sur le fondement de l’article 5 § 1er,
à l’ensemble des personnes en état d’arrestation, lesquelles se trouvent
pareillement dans un état de soumission vis-à-vis des autorités dans les
premiers moments de la privation de liberté. Le rapport mentionne d’ailleurs un
autre arrêt dans lequel les autorités ont profité d’un internement
psychiatrique de courte durée pour soumettre l’aliéné à un traitement médical
expérimental [CEDH,
sect. I, 23 juil. 2015, Bataliny c.
Russie, n° 10060/07]. C’est d’ailleurs le sens de
l’arrêt Shcherbina [CEDH,
sect. I, 26 juin 2014, Shcherbina c.
Russie, req. n° 41970/11], lequel a entamé la
généralisation de l’Habeas corpus européen.
Ce dernier arrêt a consacré que, lorsque le Tribunal de l’article 5 § 4 opère
le premier contrôle de la privation de liberté – donc pour toute personne qui
se trouve arrêtée, sauf le suspect –, il doit intervenir avec une célérité
accrue par rapport à la notion textuelle de « bref délai », laquelle doit se rapprocher d’« aussitôt », c’est-à-dire de la
rapidité qui profite au suspect. Si l’arrêt Shcherbina
montre donc, plus encore que l’arrêt Zayev,
qu’il est justifié de consacrer les mêmes droits et garanties au profit de la
personne en état d’arrestation, à quelque titre que ce soit, il a malgré tout
laisser subsister une différence de taille entre la situation du suspect et
celle des autres personnes : Dans le premier cas, la traduction rapide
devant l’autorité judiciaire est automatique, tandis que pour les autres cas,
il dépend toujours d’une demande de la personne privée de liberté.
Finalement, l’usage par
la Cour européenne des droits de l’Homme de l’état de vulnérabilité provoqué
par l’arrestation ne semble profiter qu’au suspect, compte-tenu du risque
d’auto‑incrimination qui en découle, et même justifier la différence de
traitement entre celui‑ci et les autres personnes en état d’arrestation. Mais
au-delà de la vulnérabilité, la protection de la personne en état d’arrestation
doit aussi servir à prévenir la privation de liberté arbitraire – ou plutôt, à
y mettre un terme le plus rapidement possible –, dont le risque est accru avant
la première intervention judiciaire, et cette protection doit s’étendre à tous
les cas de privation de liberté, dès le début, sur le fondement de l’article 5.
On redoute en tout cas que la marche vers cette évolution se fasse lentement,
alors que la Grande chambre a fait grand cas en 2015 d’une affaire dont l’issue
ne laissait guère de doutes, s’agissant de gifles portées par des policiers
envers des personnes en état d’arrestation, constitutives à l'évidence d'une
violation de la convention [CEDH,
gde ch., 28 sept. 2015, Bouyid c.
Belgique, req. n° 23380/09].
2.
Droits de la défense contre la privation de liberté. Si
l’arrestation ne génère pas pour la personne de droit à l’assistance de
l’avocat [Simons],
la perspective de sa comparution devant le Tribunal à bref délai, dans le
respect de l’article 5 § 4 et à la suite de la demande de la personne détenue,
lui ouvre les droits de la défense contre la privation de liberté. Dans un
arrêt bienvenu et justement mentionné au rapport [CEDH,
sect. I, 19 février 2015, M. S. c.
Croatie (n° 2), req. n° 75450/12], la Cour en a
défendu une vision forte. S’agissant d’une patiente dont la légitimité de
l’internement semblait plus que discutable – ce qui relativise aussi la portée
de l’arrêt –, la Cour a sanctionné deux atteintes distinctes aux droits de la
défense contre la privation de liberté. D’abord, la Cour a noté qu’en raison de
la capacité de la requérante à s’exprimer sur sa situation, celle-ci aurait dû
être entendue lors de l’audience statuant sur son sort. Ensuite, la Cour a
reproché aux autorités judiciaires de ne pas avoir remédié au défaut
d’assistance de l’avocat désigné d’office, qui s’est comporté comme un simple
observateur à l’audience et n’a pas daigné rencontrer l’aliéné avant
l’audience. A minima, il semble bien
que cette décision oblige l’État à organiser un système de commission d’office
pour la défense des personnes internées, d’assurer l’accès l’avocat au malade
avant l’audience et de prendre en charge financièrement les frais de son
intervention. Mais plus encore, les autorités doivent assurer l’effectivité de
la défense – jusqu’à procéder à la désignation d’un nouvel avocat en
remplacement de celui insuffisamment impliqué dans son mandat et l’organisation
d’un nouveau débat contradictoire ? La décision est d’autant plus riche
que la Cour a admis la recevabilité de la requête, malgré l’absence
d’épuisement des voies de recours internes, en considération pour le défaut
d’assistance effective de l’aliéné. Le fondement de l’arrêt intéresse, pour tenir
uniquement dans l’article 5 § 1er-e). En réalité, on ne voit pas
pourquoi les droits de la défense de la privation de liberté trouveraient une
application plus forte pour l’aliéné que pour l’étranger, par exemple, alors
que ce dernier a tout autant besoin d’une assistance juridique renforcée, ne
serait-ce que par son ignorance du droit du pays où il se trouve ou de la
barrière de la langue. D’autre part, l’utilisation de l’article 5 § 1er,
et non de l’article 5 § 4, montre que les droits de la défense contre la
privation de liberté naissent avant l’examen par le Tribunal, intervenant en
vertu de cette disposition, de la légalité de la privation de liberté, et même
avant sa saisine, conformément d’ailleurs à l’article 5 § 2, qui oblige les
autorités à transmettre l’information des raisons de l’arrestation « dans le plus court délai ». S’agissant
du droit à l’assistance d’un avocat, sans pour autant être généré par
l’arrestation [Simons],
il doit naître suffisamment tôt pour assurer la saisine du Tribunal et préparer
au mieux l’audience devant lui. L’arrêt signalé intéresse d’autant plus qu’il
entre, d’une certaine façon, en résonnance avec les conclusions du Contrôleur
général des lieux de privation de liberté dans son rapport annuel de 2015, qui souligne
certains défauts de l’assistance des aliénés lors des audiences devant le juge
des libertés et de la détention.
3.
Détention de l’« aliéné »
auteur d’une infraction pénale. Face au développement
de la rétention de sûreté – définie comme le maintien en privation de liberté
de l’individu demeurant dangereux au terme de l’exécution de sa peine privative
de liberté –, la jurisprudence européenne a défini quelques bornes a priori infranchissables en la matière
sur le fondement de l’article 5 § 1er-a). Ainsi, le maintien en
détention doit conserver un lien de causalité avec la condamnation initiale, la
dimension juridique de cette exigence ayant été la plus développée. D’une part,
la possibilité de placer l’individu en rétention de sûreté doit être réservée
dès le prononcé de la décision de condamnation [CEDH,
sect. V, 13 janv. 2011, Haidn c. Allemagne,
req. n° 6587/04]. D’autre part, la durée de la
rétention de sûreté ne peut être allongée au‑delà de la durée maximale prévue
par la loi au moment de la condamnation [CEDH,
sect. V, 17 déc. 2009, M. c. Allemagne,
req. n° 19359/04]. Ce lien entre rétention de sûreté et
condamnation pénale permet d’empêcher que la rétention de sûreté ne dégénère en
internement administratif, pour permettre la détention de la personne sur la
seule justification de la dangerosité criminologique, sans plus aucun rapport
avec la commission d’une infraction. Mais à cette fin, encore faut-il que la
définition de l’ « aliéné »
au sens de l’article 5 § 1er-e) de la Convention européenne des
droits de l’Homme soit suffisamment stricte pour concerner, s’agissant de
l’aliéné auteur d’une infraction pénale, les seules personnes présentant une
dangerosité psychiatrique et irresponsables pénalement, sans quoi, au terme de
la peine de l’individu dangereux sur un plan criminologique, la rétention de
sûreté pourrait s’affranchir totalement des conditions posées par l’article 5 §
1er-a) pour prendre la forme d’un internement obéissant aux seules
conditions de l’article 5 § 1er-e). La Cour a posé cette
problématique dans l’arrêt Glien [CEDH,
sect. V, 28 nov. 2013, Glien c.
Allemagne, req. n° 7345/12], sans y répondre, pour
se contenter d’une violation de la Convention sur un autre titre.
La décision signalée au
rapport Constancia [CEDH,
sect. III, 3 mars 2015, Constancia c.
Pays-Bas, req. n° 73560/12, déc.]
montre que la jurisprudence européenne admet désormais que la rétention de sûreté
puisse se fonder à la fois sur l’article 5 § 1er-a) et sur l’article
5 § 1er-e). En l’espèce, la personne se trouvait détenue en « clinique pénitentiaire » par mesure
de TBS dès l’exécution de la peine – et non à son terme, ce que la législation
interne prévoit également. Plus nettement encore, la Cour a consacré
ultérieurement cette confusion au sujet de la rétention de sûreté allemande,
prise après exécution d’une peine privative de liberté, puisqu’elle a accepté
de contrôler alternativement la privation de liberté sur chaque fondement [CEDH,
sect. V, 7 janv. 2016, Bergmann c.
Allemagne, req. n° 23279/14]. Dans cette dernière
affaire, l’article 5 § 1er-a) ne pouvait fonder la rétention de
sûreté par application de la jurisprudence M.
c. Allemagne, puisque celle-ci s’était poursuivie au-delà du maximum légal
prévu au moment de la condamnation. Mais la Cour a validé la rétention de
sûreté sur le fondement de l’article 5 § 1er-e) : au
terme de l’arrêt, le « sadisme
sexuel » de l’individu, qui avait justifié son maintien en rétention
de sûreté, et qui, existant déjà au moment de la condamnation, n’avait pas été
jugé comme un motif d’irresponsabilité pénale, constitue également un trouble
mental permettant de le considérer comme « aliéné » et de l’interner à ce titre. La validation de la
rétention de sûreté sur le fondement de l’article 5 § 1er-e) – qui
permet de rattraper la conventionnalité de la détention, en cas de non-respect
des conditions posées à l’article 5 § 1er-a) – aboutit à
deux élargissements critiquables de la privation de liberté. D’abord, la
rétention de sûreté ne dépend plus du maintien d’un lien de causalité avec la
condamnation. Ensuite, s’agissant de l’adéquation matérielle de la privation de
liberté, l’hôpital pénitentiaire [dans l’arrêt Bergmann, la privation de liberté était
réalisée dans un nouvel établissement spécialement construit pour détenir les
personnes en rétention de sûreté], inapte en principe
pour supporter l’internement d’un aliéné [la privation de liberté
de l’aliéné doit être réalisée en dehors des établissements
pénitentiaires ; v. de nouveau l’arrêt Glien,
pour la disqualification d’une aile spécialement aménagée dans une prison],
se trouve qualifié pour supporter la rétention de sûreté, quand bien même elle
repose sur le fondement de l’article 5 § 1er-e), dès lors que la
structure est dotée d’un encadrement proche de celui d’un établissement
psychiatrique, permet la fourniture d’un traitement médicamenteux et assure des
séances thérapeutiques. Il en ressort que le lien de causalité juridique entre
la condamnation et le maintien en détention au terme de la peine n’est plus une
condition de la validité de la rétention de sûreté, mais une condition
permettant son exécution dans un établissement pénitentiaire à la vocation
sanitaire réduite, alors que l’absence du lien de causalité oblige à l’exécuter,
a minima, dans un hôpital
pénitentiaire.
Par ailleurs, la
décision Constancia rappelle que la
détention de l’aliéné auteur d’une infraction pénale – qu’il soit responsable
pénalement, et que l’internement, succédant à la peine privative
de liberté, constitue en réalité une rétention de sûreté, ou qu’il soit
irresponsable pénalement, et que l’internement intervienne sans exécution d’une
peine privative de liberté – fait l’objet d’exigences amoindries quant à la
preuve médicale de sa nécessité. En l’espèce, l’internement de l’aliéné
condamné avec confinement en mesure de TBS avait été ordonné par le juge sans
avis médical établissant clairement la nécessité de la mesure. Or, dans le
droit commun, pour que la détention soit couverte par l’article 5 § 1er-e)
de la Convention, la nécessité de la mesure doit être attestée par un avis
médical préalable [CEDH,
14 déc. 2006, Filip c. Roumanie, req.
n° 41124/02], reposant sur des éléments actuels [CEDH,
sect. IV, 5 oct. 2000, Varbanov c.
Bulgarie, req. n° 31365/96]
et pris après examen de l’individu [CEDH,
sect. III, 11 oct. 2011, Gorobet c.
Moldavie, req. n° 30951/10]. Et si, comme en
l’espèce, l’individu refuse de déférer à l’examen, l’avis médical doit reposer
sur l’étude du dossier [Varbanov].
Autant de conditions faisant défaut dans le cas soumis à la Cour européenne des
droits de l’Homme. Pire encore, les expertises réalisées antérieurement
n’avaient pas établi de diagnostic précis sur les troubles mentaux de l’individu.
Finalement, la Cour européenne des droits de l’Homme a validé l’internement,
constatant que les juridictions internes s’étaient fondées sur un faisceau
d’indices, tirés des rapports médicaux antérieurs et des enregistrements des
interrogatoires de l’individu, ce qui suffisait à ramener la preuve que l’individu
souffrait bien de troubles mentaux au moment de son placement. Nul doute que la
commission d’une infraction par l’aliéné – et même en l’espèce, sa condamnation
– a pesé lourdement dans l’appréciation européenne, même si elle ne dégage pas
de principe général en ce sens, ni n’évoque cette circonstance. Le rapport note
que « c’est la première affaire de
chambre dans laquelle la Cour a permis la substitution d’un examen médical de
l’état de santé mental du requérant par d’autres éléments d’information
existants ». Mais cette appréciation souple de la preuve des troubles
mentaux ne nous semble pas devoir recevoir application ailleurs que dans le cas
de l’aliéné auteur de l’infraction, les investigations pénales ayant permis de
rassembler préalablement des éléments utiles, ni non plus profiter à une autre autorité
que juridictionnelle, comme c’était le cas en l’espèce. D’ailleurs – et ce
qui relativise le caractère inédit de la décision –, la Cour a déjà procédé,
pour l’aliéné auteur d’une infraction pénale, a une appréciation souple de la preuve
médicale de la nécessité du maintien de l’internement [CEDH,
sect. II, 23 sept. 2014, C. W. c. Suisse,
req. n° 67725/10]. Au final, c’est presque un régime
dérogatoire de l’aliéné auteur d’une infraction pénale qui émerge de la
jurisprudence de la Cour au sein de l’article 5 § 1er-e), dans
lequel l’exigence d’adéquation matérielle est amoindrie et les qualités de la
preuve des troubles mentaux sont atténuées, et qui finit, pour l’aliéné
responsable pénalement, par devenir un cas de rétention de sûreté autonome, dont
le recours est facilité par l’absence de condition tenant dans le maintien d’un
lien de causalité juridique avec la condamnation.
4.
Fonction de l’Habeas corpus. L’article
5 § 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme prévoit que la personne
suspecte en état d’arrestation « doit
être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi
à exercer des fonctions judiciaires ». La disposition reconnaît pour
la même personne « le droit d’être
jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure ». Au
regard de ces deux branches articulées dans la même phrase, la première
intervention de l’autorité judiciaire, l’Habeas
corpus, devrait marquer le terme de la phase policière de la détention du
suspect – c’est-à-dire la garde à vue – pour faire basculer la privation de
liberté dans la phase judiciaire – c’est-à-dire la détention provisoire, après
notification judiciaire de l’accusation en matière pénale portée contre
l’individu. La fixation d’un délai maximal dans lequel l’Habeas corpus doit intervenir revient alors à limiter la durée
maximale de la garde à vue. Une difficulté existe cependant lorsque, durant l’enquête,
l’autorité judiciaire intervient à plusieurs reprises pour prolonger la
détention du suspect, dans un contrôle en temps direct des investigations et de
la privation de liberté, sans pour autant modifier le statut pénal de la
personne et la nature de sa détention, laquelle ne repose toujours pas sur un
titre du Tribunal [c’est-à-dire d’une décision prise par l’autorité
juridictionnelle au terme d’une procédure respectant les grandes garanties du
procès équitable]. Car à supposer que l’Habeas corpus soit toujours placé
chronologiquement à la première intervention judiciaire sans ajouter de critère
fonctionnel, en lien justement avec le détachement de la procédure de sa phase
policière, la Cour n’aurait plus véritablement de moyen de limiter la durée de
celle-ci, par le biais du contrôle de la célérité de l’Habeas corpus. La Cour ne semble guère se préoccuper de la question
et s’arrête à la première intervention judiciaire, pour y fixer l’Habeas corpus [aux
conditions cependant que cette intervention soit automatique et que l’autorité
judiciaire soit dotée du pouvoir de libération], comme le
montre un arrêt signalé au rapport [CEDH,
sect. IV, 12 mai 2015, Magee et autres
contre Royaume-Uni, req. nos 26289/12, 29062/12 et 29891/12].
En l’espèce, la première intervention avait eu lieu au bout de quarante-huit
heures, ce qui satisfaisait à l’évidence la célérité exigée par la Convention.
La Cour s’en est contentée, sans tenir compte de la prolongation ordonnée par
l’autorité judiciaire de la détention des suspects pour poursuivre les
investigations policières, une première fois pour cinq jours, puis pour sept
jours. Les suspects avaient été relâchés au bout de douze jours de privation de
liberté, sans être poursuivis, la Cour qualifiant elle-même cette détention, pour
sa totalité, de policière [« police custody »].
Certes, les suspects
étaient détenus en vertu d’un régime dérogatoire applicable en matière de
terrorisme. Pour autant, la Cour ne justifie pas vraiment son raisonnement par
le contexte, et elle a déjà fait montre de l’analyse purement chronologique de
l’Habeas corpus, sans critère
fonctionnel, dans une affaire de droit commun [CEDH,
sect. V, 23 nov. 2010, Moulin c. France,
req. n° 37104/06]. Cependant, la Cour en a profité pour
intégrer, dans le rappel des principes applicables, que la lutte contre le
terrorisme permet d’altérer les garanties de l’article 5 § 3, et dans un autre
arrêt signalé au rapport, elle a largement permis que le même objectif justifie
des limitations aux principes de l’article 5 § 4, notamment une atteinte au
contradictoire lors de l’examen par le Tribunal du maintien en détention
provisoire [CEDH,
sect. IV, 20 oct. 2015, Sher et autres
contre Royaume-Uni, req. n° 5201/11]. La marge d’appréciation
des États, en matière de lutte contre le terrorisme et aussi ailleurs, apparaît
revigorée dans la jurisprudence européenne actuelle, pour la matière de la
privation de liberté [v.
infra, n° 6].
L’arrêt a aussi défendu
une vision limitée des pouvoirs de l’autorité judiciaire réalisant l’Habeas corpus pour dénier l’obligation
de la doter, dès ce stade, du pouvoir de prononcer une libération conditionnelle.
La Cour a entériné ici sa jurisprudence plus ancienne, laquelle ne dote pas
l’autorité judiciaire réalisant l’Habeas
corpus du plein pouvoir d’appréciation de l’opportunité du maintien en
détention [CEDH, gde ch., 30 oct. 2006, McKay c. Royaume-Uni, req. n° 543/03, § 39 : « La Grande Chambre n’est pas en mesure de
souscrire à une interprétation selon laquelle les magistrats devraient avoir le
pouvoir d’accorder la mise en liberté provisoire à une personne détenue dès sa
première comparution après son arrestation » – Medvedyev, gde ch. , § 125 : le contrôle judiciaire de
l’article 5 § 3 doit uniquement « permettre
d'examiner les questions de régularité et […] de savoir s'il existe des raisons plausibles de soupçonner que la
personne arrêtée a commis une infraction »]. En revanche –
ce qui est plus intéressant, mais plus critiquable –, la Cour européenne des
droits de l’Homme a également considéré que l’impossibilité pour les suspects
de demander la libération conditionnelle lors des contrôles judiciaires
ultérieurs servant à prolonger la privation de liberté ne violait pas la Convention.
On découvre ici un contrôle judiciaire automatique du troisième type de la
détention du suspect. En effet, entre l’Habeas
corpus, définie chronologiquement comme la première intervention
judiciaire, et le titre de détention – le placement en détention provisoire
après notification de l’accusation – délivré par le Tribunal [la
Cour tend à exiger la tenue d’une audience contradictoire en vue du placement
en détention provisoire – CEDH,
sect. I, 25 oct. 2007, Lebedev c. Russie,
req. n° 4493/04], lequel doit en principe être doté du
pouvoir, en plus de prescrire l’élargissement pur et simple, de prononcer la
libération conditionnelle [v. contra
CEDH,
sect. V, 26 mars 2009, Krejcir c.
République Tchèque, req. nos 39298/04 et 8723/05],
il peut donc exister des interventions judiciaires intermédiaires et similaires
à celle de l’article 5 § 3 – donc sans respect des grands principes du procès
équitable et selon un office limité du juge quant au bien-fondé de la privation
de liberté – pour prolonger la privation de liberté servant les investigations
policières. Dans cette analyse, la privation de liberté du suspect couverte sur
le fondement de l’article 5 § 3 [la Cour ne raisonne que
sur cette disposition] se décomposerait en autant de
phases ; d’abord, celle de l’arrestation entendue au sens large, au terme
de laquelle l’individu doit être « aussitôt »
traduit devant l’autorité judiciaire ; ensuite celle des « premiers stades » [« the early stages », § 105],
pendant lesquels l’autorité judiciaire, selon les mêmes modalités, peut
prolonger la détention servant à la réalisation des investigations policières
pendant de nombreux jours ; enfin, le placement en détention provisoire
sur le fondement d’un titre du Tribunal, lequel ouvrira le droit de la personne
privée de liberté à saisir le Tribunal régulièrement de demandes de remise en
liberté. On voit immédiatement le danger de cette jurisprudence, qui élargit
largement la durée possible de la détention policière, sous couvert d’un
contrôle régulier de l’autorité judiciaire, lequel n’apparaît pas suffisamment
ample, pour empêcher la privation de liberté arbitraire. Finalement, l’arrêt ne
fait que souligner la nécessité d’ajouter à la caractérisation de l’Habeas corpus un critère fonctionnel, et
de ne pas se contenter d’une approche chronologique.
5.
Droits de la défense pénale du suspect. Les droits de la
défense pénale du suspect sont en berne dans la jurisprudence européenne, qu’il
s’agisse de la limitation des droits du suspect interrogé librement [CEDH,
sect. II, 16 juin 2015, Schmid Laffer c.
Suisse, req. n° 41269/08 ; v. notre
comm.] ou du refus de reconnaître à l’avocat un droit inconditionnel
à l’accès au dossier lors de la garde à vue [CEDH, sect. V, 9avr. 2015, A. T. c. Luxembourg, req.n° 30460/13 ; v. nos comm. ici
et ici].
Concernant le dernier arrêt, le seul signalé au rapport parmi les deux,
l’interprétation littérale de l’arrêt permet de dégager a contrario un droit d’accès conditionnel au dossier [§
81 : « l’article 6 de la
Convention ne saurait être interprété comme garantissant un accès illimité au
dossier pénal dès avant le premier interrogatoire par le juge d’instruction,
lorsque les autorités nationales disposent de raisons relatives à la protection
des intérêts de la justice suffisantes pour ne pas mettre en échec l’efficacité
des investigations »]. Mais le rapport en réduit encore la
portée, en dégageant, en la matière, un pouvoir discrétionnaire pour les
autorités nationales [« lorsque les autorités
internes considèrent que l’on protège mieux les intérêts de la justice dans une
affaire donnée en refusant à un accusé l’accès au dossier avant
l’interrogatoire par un juge d’instruction, l’article 6 ne peut pas être
invoqué pour exiger le plein accès à ce stade de la procédure » ;
rapport, p. 130]. Quoi qu’on pense de la liberté prise
par le rapport dans son interprétation de l’arrêt, cette appréciation ne rend guère optimiste
sur les suites de l’arrêt A. T.
6.
La lisibilité de la jurisprudence européenne. Le
mouvement actuel de la jurisprudence européenne, au regard des arrêts cités au
rapport et d’autres, est au regain de la marge d’appréciation des États en
matière de privation de liberté. Le mouvement de l’extension des droits des
suspects en garde à vue a trouvé une limite dans l’arrêt A. T. De manière plus inquiétante, certains arrêts emblématiques de
la matière sont écornés par la jurisprudence la plus récente. L’année dernière,
le phénomène avait été particulièrement visible, quant à la peine perpétuelle
incompressible, avec les suites [v.
Bodein
et Hutchinson]
de l’arrêt Vinter.
La lecture du rapport annuel montre aussi une régression sur plusieurs points.
L’Habeas corpus, dont l’importance a
été soulignée dans l’arrêt de Grande chambre Medvedyev, est affaibli par l’arrêt Magee. Quant à la volonté de circonscrire la rétention de sûreté,
montrée courageusement dans l’arrêt M.
contre Allemagne, elle a cédé au regard de la décision Constencia, et plus encore de l’arrêt Bergmann, que l’on a cité, même s’il date de 2016. Ces
fluctuations, auxquelles il faut ajouter la qualité incertaine de quelques
arrêts [on
pense ici aux difficultés de l’interprétation de l’arrêt A. T., qui auraient mérité d’être dissipées par un arrêt de Grande
chambre, ou aux incertitudes laissées, s’agissant de la détention des
étrangers, par l’arrêt Khlaifia, non
cité au rapport], n’aident pas à la lisibilité de la
jurisprudence européenne. Le principe de la subsidiarité voudrait que le juge
national du fond soit le premier juge de la Convention. Sa tâche n’est pas
toujours facilitée.
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