dimanche 13 mars 2016

[obs.] Quoi de neuf dans le rapport annuel de la Cour européenne des droits de l’Homme ?



Le rapport annuel de la Cour européenne des droits de l’Homme (dans sa version provisoire) est arrivé depuis quelques semaines. On n’y trouvera pas d’innovation véritablement majeure concernant la matière de la privation de liberté, mais quelques arrêts recensés –pas tous, selon notre avis – méritent de courts développements, parce qu’ils permettent de mesurer l’état de la jurisprudence européenne sur des notions importantes, à savoir la vulnérabilité de la personne en état d’arrestation (1), les droits de la défense contre la privation de liberté (2), la détention de l’ « aliéné » auteur d’une infraction pénale (3), la fonction de l’Habeas corpus (4) et enfin – plus brièvement – les droits de la défense du suspect (5).



1. Vulnérabilité de la personne en état d’arrestation. L’arrêt Zayev [CEDH, sect. I, 16 avr. 2015, Zayev c. Russie, req. n° 36552/05] évoque les brutalités commises sur le suspect pendant qu’il est sous la garde de la police et ses conséquences – classiques – tenant dans la présomption de culpabilité pesant sur l’État et son obligation positive de mener une enquête effective. En dehors de ses mécanismes connus, le rapport justifie la mention de l’arrêt sur l’insistance faite par la Cour sur la situation de vulnérabilité du suspect en état d’arrestation, établie en l’espèce du fait de sa situation par nature, mais en plus à cause du retard pris par les autorités à lui appliquer les garanties procédurales prévues par la loi, comme la notification de ses droits, l’assistance de l’avocat et le bénéfice d’un examen médical [§ 96]. Cependant, le rapport ne souligne pas assez que la Cour ne raisonne ici qu’au regard des garanties procédurales offertes par le droit national, sans inclure dans son standard un véritable paquet de droits généré par l’arrestation, compte-tenu de la vulnérabilité, guère discutable, dans laquelle se trouve la personne privée de liberté. La Cour n’a même pas profité de l’espèce pour inscrire dans l’article 3 le droit pour la personne en état d’arrestation de bénéficier d’un examen médical. Il faut rappeler que l’article 5 n’offre pas plus de droits générés par et dès l’arrestation, si ce n’est le droit, prévu par l’article 5 § 2, à l’information « dans le plus court délai » des raisons de l’arrestation : la disposition ne fonde pas de droit à l’assistance un avocat [CEDH, sect. II, 28 août 2012, Simons c. Belgique, req. n° 71407/10, déc.] dès le début de la privation de liberté, ni n’impose son contrôle en temps réel par l’autorité judiciaire [CEDH, 27 juin 2013, sect. V, 27 juin 2013, Vassis et autres c. France, req. n° 62736/09]. Si la Cour s’est orientée vers la consécration d’un tel statut dans l’arrêt Medvedyev de Section [CEDH, sect. V, 10 juil. 2008, Medvedyev et autres c. France, req. n° 3394/03], la Grande chambre [CEDH, gde ch., 29 mars 2010, Medvedyev et autres c. France, req. n° 3394/03] n’a pas repris à son compte l’innovation et la jurisprudence postérieure [Simons et Vassis] l’a abandonnée.
Dès lors, le suspect placé sous la garde de la police bénéficie de garanties bien supérieures à toute autre personne arrêtée, puisque, sur le fondement de l’article 6, il bénéficie du droit à l’assistance d’un avocat dès le début de la privation de liberté [CEDH, gde ch., 27 nov. 2008, Salduz c. Turquie, req. n° 36391/02], et sur le fondement de l’article 5 § 3, du contrôle de l’autorité judiciaire à « bref délai », plus rapide que pour les autres, reporté à « bref délai », sur le fondement de l’article 5 § 4. L’arrêt Zayev précise encore que la prévention des mauvais traitements justifie une intervention des plus rapides de l’autorité judiciaire pour contrôle la détention du suspect [§ 104]. L’assertion rappelle le mouvement européen pour un contrôle in concreto de la durée de la détention policière du suspect avant sa présentation à l’autorité judiciaire, dans la limite maximale de quatre jours posée par l’arrêt Brogan [v. CEDH, sect. V, 6 nov. 2008, Kandzhov c. Bulgarie, req. n° 68294/01 – v. cependant sur ce point, infra, n° 4]. Par ailleurs, la Cour se réfère aussi à la vulnérabilité du suspect sur le fondement de l’article 6 pour justifier son droit à l’assistance de l’avocat dès les premiers interrogatoires [Salduz]. À faire de la vulnérabilité le cœur des droits du suspect en état d’arrestation, on ne comprend pas pourquoi les droit et garanties qui en découlent ne pourraient être étendus, sur le fondement de l’article 5 § 1er, à l’ensemble des personnes en état d’arrestation, lesquelles se trouvent pareillement dans un état de soumission vis-à-vis des autorités dans les premiers moments de la privation de liberté. Le rapport mentionne d’ailleurs un autre arrêt dans lequel les autorités ont profité d’un internement psychiatrique de courte durée pour soumettre l’aliéné à un traitement médical expérimental [CEDH, sect. I, 23 juil. 2015, Bataliny c. Russie, n° 10060/07]. C’est d’ailleurs le sens de l’arrêt Shcherbina [CEDH, sect. I, 26 juin 2014, Shcherbina c. Russie, req. n° 41970/11], lequel a entamé la généralisation de l’Habeas corpus européen. Ce dernier arrêt a consacré que, lorsque le Tribunal de l’article 5 § 4 opère le premier contrôle de la privation de liberté – donc pour toute personne qui se trouve arrêtée, sauf le suspect –, il doit intervenir avec une célérité accrue par rapport à la notion textuelle de « bref délai », laquelle doit se rapprocher d’« aussitôt », c’est-à-dire de la rapidité qui profite au suspect. Si l’arrêt Shcherbina montre donc, plus encore que l’arrêt Zayev, qu’il est justifié de consacrer les mêmes droits et garanties au profit de la personne en état d’arrestation, à quelque titre que ce soit, il a malgré tout laisser subsister une différence de taille entre la situation du suspect et celle des autres personnes : Dans le premier cas, la traduction rapide devant l’autorité judiciaire est automatique, tandis que pour les autres cas, il dépend toujours d’une demande de la personne privée de liberté.
Finalement, l’usage par la Cour européenne des droits de l’Homme de l’état de vulnérabilité provoqué par l’arrestation ne semble profiter qu’au suspect, compte-tenu du risque d’auto‑incrimination qui en découle, et même justifier la différence de traitement entre celui‑ci et les autres personnes en état d’arrestation. Mais au-delà de la vulnérabilité, la protection de la personne en état d’arrestation doit aussi servir à prévenir la privation de liberté arbitraire – ou plutôt, à y mettre un terme le plus rapidement possible –, dont le risque est accru avant la première intervention judiciaire, et cette protection doit s’étendre à tous les cas de privation de liberté, dès le début, sur le fondement de l’article 5. On redoute en tout cas que la marche vers cette évolution se fasse lentement, alors que la Grande chambre a fait grand cas en 2015 d’une affaire dont l’issue ne laissait guère de doutes, s’agissant de gifles portées par des policiers envers des personnes en état d’arrestation, constitutives à l'évidence d'une violation de la convention [CEDH, gde ch., 28 sept. 2015, Bouyid c. Belgique, req. n° 23380/09].

2. Droits de la défense contre la privation de liberté. Si l’arrestation ne génère pas pour la personne de droit à l’assistance de l’avocat [Simons], la perspective de sa comparution devant le Tribunal à bref délai, dans le respect de l’article 5 § 4 et à la suite de la demande de la personne détenue, lui ouvre les droits de la défense contre la privation de liberté. Dans un arrêt bienvenu et justement mentionné au rapport [CEDH, sect. I, 19 février 2015, M. S. c. Croatie (n° 2), req. n° 75450/12], la Cour en a défendu une vision forte. S’agissant d’une patiente dont la légitimité de l’internement semblait plus que discutable – ce qui relativise aussi la portée de l’arrêt –, la Cour a sanctionné deux atteintes distinctes aux droits de la défense contre la privation de liberté. D’abord, la Cour a noté qu’en raison de la capacité de la requérante à s’exprimer sur sa situation, celle-ci aurait dû être entendue lors de l’audience statuant sur son sort. Ensuite, la Cour a reproché aux autorités judiciaires de ne pas avoir remédié au défaut d’assistance de l’avocat désigné d’office, qui s’est comporté comme un simple observateur à l’audience et n’a pas daigné rencontrer l’aliéné avant l’audience. A minima, il semble bien que cette décision oblige l’État à organiser un système de commission d’office pour la défense des personnes internées, d’assurer l’accès l’avocat au malade avant l’audience et de prendre en charge financièrement les frais de son intervention. Mais plus encore, les autorités doivent assurer l’effectivité de la défense – jusqu’à procéder à la désignation d’un nouvel avocat en remplacement de celui insuffisamment impliqué dans son mandat et l’organisation d’un nouveau débat contradictoire ? La décision est d’autant plus riche que la Cour a admis la recevabilité de la requête, malgré l’absence d’épuisement des voies de recours internes, en considération pour le défaut d’assistance effective de l’aliéné. Le fondement de l’arrêt intéresse, pour tenir uniquement dans l’article 5 § 1er-e). En réalité, on ne voit pas pourquoi les droits de la défense de la privation de liberté trouveraient une application plus forte pour l’aliéné que pour l’étranger, par exemple, alors que ce dernier a tout autant besoin d’une assistance juridique renforcée, ne serait-ce que par son ignorance du droit du pays où il se trouve ou de la barrière de la langue. D’autre part, l’utilisation de l’article 5 § 1er, et non de l’article 5 § 4, montre que les droits de la défense contre la privation de liberté naissent avant l’examen par le Tribunal, intervenant en vertu de cette disposition, de la légalité de la privation de liberté, et même avant sa saisine, conformément d’ailleurs à l’article 5 § 2, qui oblige les autorités à transmettre l’information des raisons de l’arrestation « dans le plus court délai ». S’agissant du droit à l’assistance d’un avocat, sans pour autant être généré par l’arrestation [Simons], il doit naître suffisamment tôt pour assurer la saisine du Tribunal et préparer au mieux l’audience devant lui. L’arrêt signalé intéresse d’autant plus qu’il entre, d’une certaine façon, en résonnance avec les conclusions du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rapport annuel de 2015, qui souligne certains défauts de l’assistance des aliénés lors des audiences devant le juge des libertés et de la détention.

3. Détention de l’« aliéné » auteur d’une infraction pénale. Face au développement de la rétention de sûreté – définie comme le maintien en privation de liberté de l’individu demeurant dangereux au terme de l’exécution de sa peine privative de liberté –, la jurisprudence européenne a défini quelques bornes a priori infranchissables en la matière sur le fondement de l’article 5 § 1er-a). Ainsi, le maintien en détention doit conserver un lien de causalité avec la condamnation initiale, la dimension juridique de cette exigence ayant été la plus développée. D’une part, la possibilité de placer l’individu en rétention de sûreté doit être réservée dès le prononcé de la décision de condamnation [CEDH, sect. V, 13 janv. 2011, Haidn c. Allemagne, req. n° 6587/04]. D’autre part, la durée de la rétention de sûreté ne peut être allongée au‑delà de la durée maximale prévue par la loi au moment de la condamnation [CEDH, sect. V, 17 déc. 2009, M. c. Allemagne, req. n° 19359/04]. Ce lien entre rétention de sûreté et condamnation pénale permet d’empêcher que la rétention de sûreté ne dégénère en internement administratif, pour permettre la détention de la personne sur la seule justification de la dangerosité criminologique, sans plus aucun rapport avec la commission d’une infraction. Mais à cette fin, encore faut-il que la définition de l’ « aliéné » au sens de l’article 5 § 1er-e) de la Convention européenne des droits de l’Homme soit suffisamment stricte pour concerner, s’agissant de l’aliéné auteur d’une infraction pénale, les seules personnes présentant une dangerosité psychiatrique et irresponsables pénalement, sans quoi, au terme de la peine de l’individu dangereux sur un plan criminologique, la rétention de sûreté pourrait s’affranchir totalement des conditions posées par l’article 5 § 1er-a) pour prendre la forme d’un internement obéissant aux seules conditions de l’article 5 § 1er-e). La Cour a posé cette problématique dans l’arrêt Glien [CEDH, sect. V, 28 nov. 2013, Glien c. Allemagne, req. n° 7345/12], sans y répondre, pour se contenter d’une violation de la Convention sur un autre titre.
La décision signalée au rapport Constancia [CEDH, sect. III, 3 mars 2015, Constancia c. Pays-Bas, req. n° 73560/12, déc.] montre que la jurisprudence européenne admet désormais que la rétention de sûreté puisse se fonder à la fois sur l’article 5 § 1er-a) et sur l’article 5 § 1er-e). En l’espèce, la personne se trouvait détenue en « clinique pénitentiaire » par mesure de TBS dès l’exécution de la peine – et non à son terme, ce que la législation interne prévoit également. Plus nettement encore, la Cour a consacré ultérieurement cette confusion au sujet de la rétention de sûreté allemande, prise après exécution d’une peine privative de liberté, puisqu’elle a accepté de contrôler alternativement la privation de liberté sur chaque fondement [CEDH, sect. V, 7 janv. 2016, Bergmann c. Allemagne, req. n° 23279/14]. Dans cette dernière affaire, l’article 5 § 1er-a) ne pouvait fonder la rétention de sûreté par application de la jurisprudence M. c. Allemagne, puisque celle-ci s’était poursuivie au-delà du maximum légal prévu au moment de la condamnation. Mais la Cour a validé la rétention de sûreté sur le fondement de l’article 5 § 1er-e) : au terme de l’arrêt, le « sadisme sexuel » de l’individu, qui avait justifié son maintien en rétention de sûreté, et qui, existant déjà au moment de la condamnation, n’avait pas été jugé comme un motif d’irresponsabilité pénale, constitue également un trouble mental permettant de le considérer comme « aliéné » et de l’interner à ce titre. La validation de la rétention de sûreté sur le fondement de l’article 5 § 1er-e) – qui permet de rattraper la conventionnalité de la détention, en cas de non-respect des conditions posées à l’article 5 § 1er-a) – aboutit à deux élargissements critiquables de la privation de liberté. D’abord, la rétention de sûreté ne dépend plus du maintien d’un lien de causalité avec la condamnation. Ensuite, s’agissant de l’adéquation matérielle de la privation de liberté, l’hôpital pénitentiaire [dans l’arrêt Bergmann, la privation de liberté était réalisée dans un nouvel établissement spécialement construit pour détenir les personnes en rétention de sûreté], inapte en principe pour supporter l’internement d’un aliéné [la privation de liberté de l’aliéné doit être réalisée en dehors des établissements pénitentiaires ; v. de nouveau l’arrêt Glien, pour la disqualification d’une aile spécialement aménagée dans une prison], se trouve qualifié pour supporter la rétention de sûreté, quand bien même elle repose sur le fondement de l’article 5 § 1er-e), dès lors que la structure est dotée d’un encadrement proche de celui d’un établissement psychiatrique, permet la fourniture d’un traitement médicamenteux et assure des séances thérapeutiques. Il en ressort que le lien de causalité juridique entre la condamnation et le maintien en détention au terme de la peine n’est plus une condition de la validité de la rétention de sûreté, mais une condition permettant son exécution dans un établissement pénitentiaire à la vocation sanitaire réduite, alors que l’absence du lien de causalité oblige à l’exécuter, a minima, dans un hôpital pénitentiaire.
Par ailleurs, la décision Constancia rappelle que la détention de l’aliéné auteur d’une infraction pénale – qu’il soit responsable pénalement, et que l’internement, succédant à la peine privative de liberté, constitue en réalité une rétention de sûreté, ou qu’il soit irresponsable pénalement, et que l’internement intervienne sans exécution d’une peine privative de liberté – fait l’objet d’exigences amoindries quant à la preuve médicale de sa nécessité. En l’espèce, l’internement de l’aliéné condamné avec confinement en mesure de TBS avait été ordonné par le juge sans avis médical établissant clairement la nécessité de la mesure. Or, dans le droit commun, pour que la détention soit couverte par l’article 5 § 1er-e) de la Convention, la nécessité de la mesure doit être attestée par un avis médical préalable [CEDH, 14 déc. 2006, Filip c. Roumanie, req. n° 41124/02], reposant sur des éléments actuels [CEDH, sect. IV, 5 oct. 2000, Varbanov c. Bulgarie, req. n° 31365/96] et pris après examen de l’individu [CEDH, sect. III, 11 oct. 2011, Gorobet c. Moldavie, req. n° 30951/10]. Et si, comme en l’espèce, l’individu refuse de déférer à l’examen, l’avis médical doit reposer sur l’étude du dossier [Varbanov]. Autant de conditions faisant défaut dans le cas soumis à la Cour européenne des droits de l’Homme. Pire encore, les expertises réalisées antérieurement n’avaient pas établi de diagnostic précis sur les troubles mentaux de l’individu. Finalement, la Cour européenne des droits de l’Homme a validé l’internement, constatant que les juridictions internes s’étaient fondées sur un faisceau d’indices, tirés des rapports médicaux antérieurs et des enregistrements des interrogatoires de l’individu, ce qui suffisait à ramener la preuve que l’individu souffrait bien de troubles mentaux au moment de son placement. Nul doute que la commission d’une infraction par l’aliéné – et même en l’espèce, sa condamnation – a pesé lourdement dans l’appréciation européenne, même si elle ne dégage pas de principe général en ce sens, ni n’évoque cette circonstance. Le rapport note que « c’est la première affaire de chambre dans laquelle la Cour a permis la substitution d’un examen médical de l’état de santé mental du requérant par d’autres éléments d’information existants ». Mais cette appréciation souple de la preuve des troubles mentaux ne nous semble pas devoir recevoir application ailleurs que dans le cas de l’aliéné auteur de l’infraction, les investigations pénales ayant permis de rassembler préalablement des éléments utiles, ni non plus profiter à une autre autorité que juridictionnelle, comme c’était le cas en l’espèce. D’ailleurs – et ce qui relativise le caractère inédit de la décision –, la Cour a déjà procédé, pour l’aliéné auteur d’une infraction pénale, a une appréciation souple de la preuve médicale de la nécessité du maintien de l’internement [CEDH, sect. II, 23 sept. 2014, C. W. c. Suisse, req. n° 67725/10]. Au final, c’est presque un régime dérogatoire de l’aliéné auteur d’une infraction pénale qui émerge de la jurisprudence de la Cour au sein de l’article 5 § 1er-e), dans lequel l’exigence d’adéquation matérielle est amoindrie et les qualités de la preuve des troubles mentaux sont atténuées, et qui finit, pour l’aliéné responsable pénalement, par devenir un cas de rétention de sûreté autonome, dont le recours est facilité par l’absence de condition tenant dans le maintien d’un lien de causalité juridique avec la condamnation.
4. Fonction de l’Habeas corpus. L’article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme prévoit que la personne suspecte en état d’arrestation « doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ». La disposition reconnaît pour la même personne « le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure ». Au regard de ces deux branches articulées dans la même phrase, la première intervention de l’autorité judiciaire, l’Habeas corpus, devrait marquer le terme de la phase policière de la détention du suspect – c’est-à-dire la garde à vue – pour faire basculer la privation de liberté dans la phase judiciaire – c’est-à-dire la détention provisoire, après notification judiciaire de l’accusation en matière pénale portée contre l’individu. La fixation d’un délai maximal dans lequel l’Habeas corpus doit intervenir revient alors à limiter la durée maximale de la garde à vue. Une difficulté existe cependant lorsque, durant l’enquête, l’autorité judiciaire intervient à plusieurs reprises pour prolonger la détention du suspect, dans un contrôle en temps direct des investigations et de la privation de liberté, sans pour autant modifier le statut pénal de la personne et la nature de sa détention, laquelle ne repose toujours pas sur un titre du Tribunal [c’est-à-dire d’une décision prise par l’autorité juridictionnelle au terme d’une procédure respectant les grandes garanties du procès équitable]. Car à supposer que l’Habeas corpus soit toujours placé chronologiquement à la première intervention judiciaire sans ajouter de critère fonctionnel, en lien justement avec le détachement de la procédure de sa phase policière, la Cour n’aurait plus véritablement de moyen de limiter la durée de celle-ci, par le biais du contrôle de la célérité de l’Habeas corpus. La Cour ne semble guère se préoccuper de la question et s’arrête à la première intervention judiciaire, pour y fixer l’Habeas corpus [aux conditions cependant que cette intervention soit automatique et que l’autorité judiciaire soit dotée du pouvoir de libération], comme le montre un arrêt signalé au rapport [CEDH, sect. IV, 12 mai 2015, Magee et autres contre Royaume-Uni, req. nos 26289/12, 29062/12 et 29891/12]. En l’espèce, la première intervention avait eu lieu au bout de quarante-huit heures, ce qui satisfaisait à l’évidence la célérité exigée par la Convention. La Cour s’en est contentée, sans tenir compte de la prolongation ordonnée par l’autorité judiciaire de la détention des suspects pour poursuivre les investigations policières, une première fois pour cinq jours, puis pour sept jours. Les suspects avaient été relâchés au bout de douze jours de privation de liberté, sans être poursuivis, la Cour qualifiant elle-même cette détention, pour sa totalité, de policière [« police custody »].
Certes, les suspects étaient détenus en vertu d’un régime dérogatoire applicable en matière de terrorisme. Pour autant, la Cour ne justifie pas vraiment son raisonnement par le contexte, et elle a déjà fait montre de l’analyse purement chronologique de l’Habeas corpus, sans critère fonctionnel, dans une affaire de droit commun [CEDH, sect. V, 23 nov. 2010, Moulin c. France, req. n° 37104/06]. Cependant, la Cour en a profité pour intégrer, dans le rappel des principes applicables, que la lutte contre le terrorisme permet d’altérer les garanties de l’article 5 § 3, et dans un autre arrêt signalé au rapport, elle a largement permis que le même objectif justifie des limitations aux principes de l’article 5 § 4, notamment une atteinte au contradictoire lors de l’examen par le Tribunal du maintien en détention provisoire [CEDH, sect. IV, 20 oct. 2015, Sher et autres contre Royaume-Uni, req. n° 5201/11]. La marge d’appréciation des États, en matière de lutte contre le terrorisme et aussi ailleurs, apparaît revigorée dans la jurisprudence européenne actuelle, pour la matière de la privation de liberté [v. infra, n° 6].
L’arrêt a aussi défendu une vision limitée des pouvoirs de l’autorité judiciaire réalisant l’Habeas corpus pour dénier l’obligation de la doter, dès ce stade, du pouvoir de prononcer une libération conditionnelle. La Cour a entériné ici sa jurisprudence plus ancienne, laquelle ne dote pas l’autorité judiciaire réalisant l’Habeas corpus du plein pouvoir d’appréciation de l’opportunité du maintien en détention [CEDH, gde ch., 30 oct. 2006, McKay c. Royaume-Uni, req. n° 543/03, § 39 : « La Grande Chambre n’est pas en mesure de souscrire à une interprétation selon laquelle les magistrats devraient avoir le pouvoir d’accorder la mise en liberté provisoire à une personne détenue dès sa première comparution après son arrestation » – Medvedyev, gde ch. , § 125 : le contrôle judiciaire de l’article 5 § 3 doit uniquement « permettre d'examiner les questions de régularité et […] de savoir s'il existe des raisons plausibles de soupçonner que la personne arrêtée a commis une infraction »]. En revanche – ce qui est plus intéressant, mais plus critiquable –, la Cour européenne des droits de l’Homme a également considéré que l’impossibilité pour les suspects de demander la libération conditionnelle lors des contrôles judiciaires ultérieurs servant à prolonger la privation de liberté ne violait pas la Convention. On découvre ici un contrôle judiciaire automatique du troisième type de la détention du suspect. En effet, entre l’Habeas corpus, définie chronologiquement comme la première intervention judiciaire, et le titre de détention – le placement en détention provisoire après notification de l’accusation – délivré par le Tribunal [la Cour tend à exiger la tenue d’une audience contradictoire en vue du placement en détention provisoire – CEDH, sect. I, 25 oct. 2007, Lebedev c. Russie, req. n° 4493/04], lequel doit en principe être doté du pouvoir, en plus de prescrire l’élargissement pur et simple, de prononcer la libération conditionnelle [v. contra CEDH, sect. V, 26 mars 2009, Krejcir c. République Tchèque, req. nos 39298/04 et 8723/05], il peut donc exister des interventions judiciaires intermédiaires et similaires à celle de l’article 5 § 3 – donc sans respect des grands principes du procès équitable et selon un office limité du juge quant au bien-fondé de la privation de liberté – pour prolonger la privation de liberté servant les investigations policières. Dans cette analyse, la privation de liberté du suspect couverte sur le fondement de l’article 5 § 3 [la Cour ne raisonne que sur cette disposition] se décomposerait en autant de phases ; d’abord, celle de l’arrestation entendue au sens large, au terme de laquelle l’individu doit être « aussitôt » traduit devant l’autorité judiciaire ; ensuite celle des « premiers stades » [« the early stages », § 105], pendant lesquels l’autorité judiciaire, selon les mêmes modalités, peut prolonger la détention servant à la réalisation des investigations policières pendant de nombreux jours ; enfin, le placement en détention provisoire sur le fondement d’un titre du Tribunal, lequel ouvrira le droit de la personne privée de liberté à saisir le Tribunal régulièrement de demandes de remise en liberté. On voit immédiatement le danger de cette jurisprudence, qui élargit largement la durée possible de la détention policière, sous couvert d’un contrôle régulier de l’autorité judiciaire, lequel n’apparaît pas suffisamment ample, pour empêcher la privation de liberté arbitraire. Finalement, l’arrêt ne fait que souligner la nécessité d’ajouter à la caractérisation de l’Habeas corpus un critère fonctionnel, et de ne pas se contenter d’une approche chronologique.

5. Droits de la défense pénale du suspect. Les droits de la défense pénale du suspect sont en berne dans la jurisprudence européenne, qu’il s’agisse de la limitation des droits du suspect interrogé librement [CEDH, sect. II, 16 juin 2015, Schmid Laffer c. Suisse, req. n° 41269/08 ; v. notre comm.] ou du refus de reconnaître à l’avocat un droit inconditionnel à l’accès au dossier lors de la garde à vue [CEDH, sect. V, 9avr. 2015, A. T. c. Luxembourg, req.n° 30460/13 ; v. nos comm. ici et ici]. Concernant le dernier arrêt, le seul signalé au rapport parmi les deux, l’interprétation littérale de l’arrêt permet de dégager a contrario un droit d’accès conditionnel au dossier [§ 81 : « l’article 6 de la Convention ne saurait être interprété comme garantissant un accès illimité au dossier pénal dès avant le premier interrogatoire par le juge d’instruction, lorsque les autorités nationales disposent de raisons relatives à la protection des intérêts de la justice suffisantes pour ne pas mettre en échec l’efficacité des investigations »]. Mais le rapport en réduit encore la portée, en dégageant, en la matière, un pouvoir discrétionnaire pour les autorités nationales [« lorsque les autorités internes considèrent que l’on protège mieux les intérêts de la justice dans une affaire donnée en refusant à un accusé l’accès au dossier avant l’interrogatoire par un juge d’instruction, l’article 6 ne peut pas être invoqué pour exiger le plein accès à ce stade de la procédure » ; rapport, p. 130]. Quoi qu’on pense de la liberté prise par le rapport dans son interprétation de l’arrêt,  cette appréciation ne rend guère optimiste sur les suites de l’arrêt A. T.


6. La lisibilité de la jurisprudence européenne. Le mouvement actuel de la jurisprudence européenne, au regard des arrêts cités au rapport et d’autres, est au regain de la marge d’appréciation des États en matière de privation de liberté. Le mouvement de l’extension des droits des suspects en garde à vue a trouvé une limite dans l’arrêt A. T. De manière plus inquiétante, certains arrêts emblématiques de la matière sont écornés par la jurisprudence la plus récente. L’année dernière, le phénomène avait été particulièrement visible, quant à la peine perpétuelle incompressible, avec les suites [v. Bodein et Hutchinson] de l’arrêt Vinter. La lecture du rapport annuel montre aussi une régression sur plusieurs points. L’Habeas corpus, dont l’importance a été soulignée dans l’arrêt de Grande chambre Medvedyev, est affaibli par l’arrêt Magee. Quant à la volonté de circonscrire la rétention de sûreté, montrée courageusement dans l’arrêt M. contre Allemagne, elle a cédé au regard de la décision Constencia, et plus encore de l’arrêt Bergmann, que l’on a cité, même s’il date de 2016. Ces fluctuations, auxquelles il faut ajouter la qualité incertaine de quelques arrêts [on pense ici aux difficultés de l’interprétation de l’arrêt A. T., qui auraient mérité d’être dissipées par un arrêt de Grande chambre, ou aux incertitudes laissées, s’agissant de la détention des étrangers, par l’arrêt Khlaifia, non cité au rapport], n’aident pas à la lisibilité de la jurisprudence européenne. Le principe de la subsidiarité voudrait que le juge national du fond soit le premier juge de la Convention. Sa tâche n’est pas toujours facilitée.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire