La
nature du retrait du crédit de réduction de peine pour mauvaise conduite
continue d’agiter les prétoires, s’agissant de l’application à la mesure des
principes encadrant le droit de la sanction, à savoir la légalité et le procès
équitable [v.
notre. comm. ici].
Le
Conseil constitutionnel avait cru clore le débat et exclure simplement, dans le
standard supra-légal, l’application en la matière des principes d’encadrement
du droit de la sanction : « le retrait d'un crédit de réduction de
peine en cas de mauvaise conduite du condamné a pour conséquence que le
condamné exécute totalement ou partiellement la peine telle qu'elle a été
prononcée par la juridiction de jugement », si bien « qu'un
tel retrait ne constitue donc ni une peine ni une sanction ayant le caractère
d'une punition » [Cons.
const., déc. n° 2014-408 QPC du 11 juil. 2014 [M. Dominique S.] : J.
O., 13 juil. 2014, p. 11815].
Le
Conseil d’État, par le versant du contrôle de conventionnalité, avec le recours
aux notions autonomes de « peine »
de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’Homme ou d’« accusation en matière pénale » de
l’article 6 de la même, a, au contraire, appliqué au retrait de crédit de réduction de
peine pour mauvaise conduite les garanties du procès équitable [« eu égard à leurs conséquences pour la durée
de l'emprisonnement du condamné, les décisions de retrait de la réduction de
peine sur laquelle le détenu était en droit de compter en application de
l'article 721 du code de procédure pénale, que prend le juge de l'application
des peines sur le fondement de ces dispositions, doivent être regardées comme
relevant de la matière pénale, au sens des stipulations de l'article 6 de la
convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales
dont le requérant peut, dès lors, utilement se prévaloir à l'encontre des
dispositions litigieuses » ; CE,
24 oct. 2014, n° 368580 : Rec. CE ; D., actu., 1er déc. 2014,
obs. M. Léna ; AJDA,
2014, p. 2092 ; AJP, 2015, p.
39, note J.-P. Céré ; v. en
particulier la note précitée sur les potentialités de l’application de
l’article 6 à la procédure] et le principe de la légalité [« les
dispositions […] de l'article 721 du code de procédure pénale […]
définissent de façon suffisamment claire et précise la mauvaise conduite du
détenu, qui est susceptible de justifier le retrait du bénéfice d'un crédit de
réduction de peine ; que, par suite le moyen tiré de ce que ces dispositions
méconnaîtraient le principe de légalité des délits et des peines, garanti par
les stipulations du paragraphe 1 de l'article 7 de la convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doit, en tout
état de cause, être écarté » ; CE,
18 févr. 2015, n° 375765 :D., actu., 11 mars
2015, obs. M. Léna]. Les raisonnements
du Conseil d’État font clairement du retrait une peine privative de liberté à part,
soumise donc à l’article 66 de la Constitution et à l’article 5 de la
Convention européenne des droits de l’Homme. Toutefois, dans le dernier arrêt,
le Conseil d’État a indiqué que le droit au procès équitable [en l’espèce, le
juge administratif évoquait plus précisément le droit d’accès au juge de
l’article 6 § 1er] n’est « pas
absolu et peut être limité dans un but de bonne administration de la justice, à
la condition de ne pas dénaturer la substance même de ce droit », le
juge administratif admettant que l’impératif particulier à la matière
d’aménagement des peines que « les
décisions soient rendues avec rapidité » puisse réduire les garanties
procédurales applicables [le juge administratif retenait cependant l’inconventionnalité
du mécanisme d’appel incident du ministère public, pour violation du principe
d’égalité des armes].
En
apparence seulement, la Cour de cassation vient de se rapprocher de la position
du Conseil d’État [Cass. crim., 15 avr. 2015, n° 14-80.417 : à
paraître au Bulletin ; D.,
actu., 19 mai 2015, obs. M. Léna].
En effet, la Chambre criminelle a reconnu l’application de l’article 6 de la
Convention européenne des droits de l’Homme à la procédure du retrait du crédit
de réduction de peine pour mauvaise conduite, mais a écrémé les garanties
applicables jusqu’à peau de chagrin [« le
président de la chambre de l'application des peines a justifié sa décision de
supprimer un avantage que le condamné ne pouvait espérer conserver malgré son
mauvais comportement […] sans
méconnaître les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de
l'homme ; qu'en effet […] le retrait,
total ou partiel, de ce crédit est décidé par un juge, qui n'est pas lié par la
décision disciplinaire prise par l'administration pénitentiaire, et dont
l'ordonnance est susceptible d'appel, la décision du président de la chambre de
l'application des peines pouvant ensuite faire l'objet d'un pourvoi en
cassation, de sorte que sont pleinement assurés l'exercice des droits de la
défense et l'équité de la procédure »]. Le champ des possibles remises
en cause de la procédure apparat bien moins prometteur que ce que les formules
de la jurisprudence administrative laissent présager, notamment quant au
principe du contradictoire, alors qu’était validée par le juge judiciaire la simple
possibilité pour l’avocat de transmettre des observations écrites au juge du
fond. D’autre part, à la différence du Conseil d’État, la Cour de cassation,
plus respectueuse de la décision du Conseil constitutionnel [v. supra ; le Conseil
constitutionnel a exclu la qualification de sanction ayant le caractère d’une
punition s’agissant du retrait du fait de l’absence d’imputation d’une durée de
privation de liberté supplémentaire], refuse de voir dans le retrait du crédit
de réduction de peine pour mauvaise conduite l’infliction d’une peine
privative de liberté distincte [« le
président de la chambre de l'application des peines a justifié sa décision de
supprimer un avantage que le condamné ne pouvait espérer conserver malgré son
mauvais comportement […] qui
n'entraîne, pour celui-ci, aucune privation de liberté distincte de la peine en
cours d'exécution, […] ; qu'en effet […] le crédit de réduction de peine est inscrit
à l'écrou, en début d'exécution de cette peine, à titre précaire, sous
condition pour le condamné, qui en est informé, d'observer la bonne conduite
nécessaire au fonctionnement normal de l'établissement carcéral »]. Dès
lors, la Chambre criminelle, de manière artificielle, applique l’article 6,
sans qu’elle n’identifie précisément la peine prononcée à la suite de l’« accusation en matière pénale ». De
son raisonnement, il ne ressort donc aucunement que l’article 66 de la
Constitution et l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme,
les normes principales qui encadrent la privation de liberté, s’appliquent au
retrait, qui ne constitue toujours pas pour la jurisprudence de la Cour de
cassation un cas de détention autonome de la peine originale. De son raisonnement,
il ne ressort pas non plus que le retrait est « une peine », au sens de l’article 7 de la Convention
européenne des droits de l’Homme, impliquant le respect de la légalité. Autant
dire qu’une telle solution est bancale, pour être écartelée entre la position
du juge administratif, la plus audacieuse quand bien même elle admet une
réduction du procès équitable, et la position du Conseil constitutionnel, qui
n’applique aucune garantie au crédit.
En
réalité, on a du mal à percevoir un changement dans cet arrêt par rapport à la
position antérieure de la Cour de cassation, qui avait refusé de renvoyer une
question prioritaire de constitutionnalité quant à la critique des garanties
offertes par la procédure de retrait [Cass.
crim., 18 juin 2014, n° 14-82.820, QPC : inédit ;
v. notre
chron., n° 3]. La Cour de cassation avait estimé que la
décision de retrait «qui ne porte ni sur
une accusation ni sur la nécessité des peines, sera prise par un juge
indépendant et pourra faire l'objet d'un recours prévoyant l'assistance du
condamné par un avocat ». À l’époque, la Chambre criminelle avait exclu l’application
des grands principes du procès équitable sur le fondement de la qualification
constitutionnelle de la « sanction
ayant le caractère d’une punition », tout en préservant des garanties
minimales, le retrait ne pouvant non plus résulter d’un pouvoir arbitraire du
juge.
On trouve en tout cas
dans ces solutions judiciaire et administrative, pas tout à fait équivalentes,
une voie de médiation pour le Conseil constitutionnel, qui pourrait, un jour ou
l’autre, appliquer au retrait de crédit de réduction de peine pour mauvaise
conduite la qualification de sanction ayant le caractère d’une punition, tout
en en faisant découler une version allégée du procès équitable. C’est qu’il
faut sans doute se résoudre à ne pas obtenir plus, pour une mesure dont le juge
administratif semble le seul à mesurer la gravité.
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