1.
Les faits de l’espèce. C’est encore
à l’occasion d’un cas procédural particulier que la Cour européenne des droits
de l’Homme vient de réaliser un apport au contrôle de la détention policière du
suspect, transposable sans doute à son cas le plus courant, celui de la garde à
vue [v. s’agissant à chaque fois du confinement de suspects appréhendés en
mer jusqu’à leur retour sur la terre ferme, pour la disqualification du
parquetier français comme une autorité judiciaire au sens conventionnel, CEDH,
gde ch., 29 mars 2010, Medvedyev et autres c. France,
req. n° 3394/03 : Rec. CEDH,
2010 ; D., 2010, p. 1386, obs. S. Lavric ; ibidem,
p. 1390, note P. Hennion-Jacquet ; ibid.,
p. 1386, note J.-F. Renucci ; ibid.,
p. 952, entretien P. Spinosi ; ibid.,
p. 970, obs. D. Rebut ; AJDA,
2010, p. 648, obs. S. Brondel ; RSC,
2010, p. 685, obs. J.‑P. Marguénaud
ou pour la formulation d’un principe de nature à permettre le contrôle in concreto de la durée de la détention
de police, CEDH,
sect. V, 27 juin 2013, Vassis et autres c. France, req. n° 62736/09 ; Gaz. Pal.,
15 oct. 2013, p. 41, note F. Fourment ; ibid.,
4 juil. 2013, p. 3, obs. C. Kleitz ; AJP,
2013, p. 549, obs. G. Roussel ; JCP,
2013, n° 843, obs. L. Milano ; D.,
2013, p. 1687, obs. O. Bachelet ; RSC,
2013, p. 656, note D. Roets],
ce qui ne va pas sans compliquer l’interprétation de la portée des arrêts rendus
en la matière. L’affaire ici signalée concerne le cas d’un suspect remis aux
autorités luxembourgeoises à la suite de l’exécution d’un mandat d’arrêt
européen, suspect interrogé d’abord par la police, puis déféré devant le juge
d’instruction pour un premier interrogatoire [CEDH, sect. V, 9 avr. 2015, A. T. c. Luxembourg, req. n° 30460/13].
Seule la procédure menée par les autorités luxembourgeoises est contestée
devant la Cour, au regard du procès équitable, et plus précisément du défaut
d’assistance de l’avocat durant l’interrogatoire policier, du défaut d’entretien
entre le suspect et son avocat préalablement au premier interrogatoire réalisé
par le juge d’instruction et du défaut d’accès de l’avocat au dossier « jusqu’après » ce même
interrogatoire. Sur chacun de ces points, la même ligne directrice guide les
solutions de l’arrêt, celle de freiner l’étendue des droits de la défense du
suspect en détention de police.
2.
Le contrôle uniforme de la détention de police du suspect. Sans
ambiguïté, la Cour rappelle dans les principes généraux l’application au cas
d’espèce des arrêts Salduz [CEDH,
gde ch., 27 nov. 2008, Salduz c. Turquie, req. n° 36391/02 : Rec. CEDH,
2008 ; D., 2009, p. 2897, note J.-F. Renucci ; AJDA,
2009, p. 852, chron. J.-F. Flauss ; JCP,
2009, I, n° 104, chron. F. Sudre ; Dr.
pénal, 2009, n° 4, chron. E. Dreyer]
et Dayanan [CEDH,
sect. II, 13 nov. 2009, Dayanan c. Turquie,
req. n° 7377/03 : AJP, 2010, p.
27, note C. Saas ; D.,
2009, p. 2897, note J.‑F. Renucci ; RSC,
2010, p. 231, obs. D. Roets ; Gaz.
Pal., 3 déc. 2009, note H. Matsopoulou ; Dr. pénal,
2010, n° 3, chron. V. Lesclous],
qui avaient trait à la garde à vue. Si l’état de privation de liberté du
suspect durant les différents interrogatoires est évident en l’espèce, le rappel
des principes généraux posé par la Cour n’éclaire pas sur la question de
l’application des droits de la défense au suspect entendu librement [v. dans le
sens du déliement entre privation de liberté et application des droits de la
défense, sans non plus que les arrêts ne soient nets, CEDH,
sect. V, 27 oct. 2011, Stojkovic c.
France et Belgique, req. n° 25303/08 : RTDE, 2012, p. 369, comm. E.
Palvadeau ; RSC, 2012, p.
241, obs. J.‑P. Marguénaud ;
AJP, 2012, p. 93, note J.‑R. Demarchi ou CEDH,
sect. V, 15 nov. 2012, Grinenko
c. Ukraine, req. n° 33627/06 ; D., actu., 7 déc. 2012, obs. O. Bachelet ; Constitutions, 2013, p. 67,
comm. E. Daoud et C. Ghrenassia ; § 91 et s. – v. contra, CEDH,
sect. I, 18 févr. 2010, Aleksandr
Zaichenko c. Russie, req. n° 39660/02, en angl.
– l’intérêt pour la solution européenne en la matière est désormais moindre
puisque la directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil du 22
octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures
pénales dégage le droit à l’assistance d’un avocat au profit du suspect pour
différents actes d’enquête, dont l’interrogatoire policier, indépendamment de
l’existence d’une privation de liberté]. Au regard des différents arrêts cités,
la Cour européenne des droits de l’Homme confirme ici son approche uniforme de
la détention policière du suspect servant à sa traduction devant l’autorité
judiciaire, indépendamment de ses différentes expressions. Cette forme de
privation de liberté est réglementée concurremment par les articles 5 et 6 de
la Convention. L’article 6 y impose l’application des droits de la défense,
dont l’intensité est en partie précisée par l’arrêt. Quant à l’article 5, il
limite sa durée, du fait de l’obligation de traduire « aussitôt » le suspect devant
l’autorité judiciaire [s’agissant de ce dernier contrôle, l’application
uniforme de la détention de police du suspect était déjà consacrée, par exemple
pour apprécier la célérité de la traduction en cumulant le temps de détention
de la garde à vue au temps de détention ultérieur exécuté sur le fondement du
mandat d’amener ; v. CEDH,
sect. V, 23 nov. 2010, Moulin c. France,
req. n° 37104/06 : AJDA, 2011, p. 889, chron. L. Burgorgue-Larsen ;
D., 2011, p. 277, obs. J.-F. Renucci ; ibid., p. 338, obs. S. Lavric ; ibid., note J. Pradel ; ibid.,
p. 26, point de vue F. Fourment ;
RSC, 2011, p. 208, note D. Roets ; Dr. pénal, 2011, comm. n° 26, obs. A. Maron et M. Haas ; Procédures,
2011, comm. n° 30, note A.‑S. Chavent‑Leclère ;
Gaz. Pal., 9 déc. 2010, p. 6,
note O. Bachelet ; JCP, 2010, n° 1206, obs. F. Sudre]. Ainsi, la détention
extraditionnelle réalisée au préalable par le suspect avant sa remise aux
autorités luxembourgeoises, et les actes procéduraux réalisés durant celle‑ci,
notamment quant à son éventuelle information de l’accusation ou des charges
portées contre lui, n’apparaissent pas comme une cause influant sur l’étendue
des droits de la défense appliquée en l’espèce. Dès lors, les différents
principes dégagés sont bien transposables à la garde à vue, comme aux autres
formes de la détention de police du suspect.
3.
Le défaut d’assistance de l’avocat durant l’interrogatoire policier et le grief.
En
l’espèce, la Cour a d’abord établi
une sanction de la combinaison des articles 6 § 1er et
6 § 3‑c) de la Convention du fait de l’impossibilité pour le suspect
de bénéficier de l’assistance d’un avocat durant son interrogatoire policier, qui
a précédé le premier interrogatoire du juge instruction [A. T. c. Luxembroug : préc. ;
§ 67 et s.]. Le constat par la Cour de l’exclusion générale et abstraite
ressortant de la législation interne pour le suspect de bénéficier de
l’assistance d’un avocat durant l’interrogatoire policier [ibid., § 69] aurait dû suffire à entraîner une violation de la
Convention [v. par ex. CEDH,
sect. I, 24 oct. 2013, Navone et autres
c. Monaco, req. nos 62880/11, 62892/11 et 62899/11
; § 84]. La Cour s’est toutefois longuement appesantie sur l’inaction des
juridictions ultérieurement saisies pour réparer la violation des droits de la
défense [ibid., § 72 et s.]. Une
telle solution revient d’abord à consacrer la fonction minimale de l’assistance
de l’avocat en garde à vue, cantonnée à empêcher le suspect de
s’auto-incriminer lors de l’interrogatoire du policier du fait de la contrainte
physique et psychologique subie. Le défaut pour le suspect d’avoir pu « obtenir toute la vaste gamme d'interventions
qui sont propres au conseil », incluant « la discussion de l'affaire, l'organisation de la défense, la recherche
des preuves favorables à l'accusé, la préparation des interrogatoires, le
soutien de l'accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention »
[Dayanan : préc. ; § 32], ne suffit pas à entraîner le constat de violation,
si bien que la reconnaissance d’une telle étendue des droits de la défense au
profit du suspect interroge toujours, six ans après l’adoption de l’arrêt Dayanan, quand bien même il est encore
cité ici dans le rappel des principes applicables [A. T. c. Luxembourg : préc. ; §
64]. En insistant autant sur l’absence de réparation de la violation des droits
de la défense par les juridictions internes, c’est à se demander si la Cour n’exige
pas ici la démonstration d’un grief, à savoir que les déclarations
réalisées sans avocat ait eu une « influence
sur la décision finale » [ibid.,
§ 72], pour établir la violation de la Convention. Un tel raisonnement
reviendrait à généraliser le grief dans deux hypothèses où il était rejeté,
celle de la mise à l’écart générale et abstraite par le droit interne de toute
assistance de l’avocat lors des interrogatoires policiers [Navone : préc.] et
celle du report injustifié de l’assistance de l’avocat, malgré l’inscription du
droit dans la loi [CEDH,
sect. V, 15 janv. 2015, Chopenko c. Ukraine,
req. n° 17735/06, en angl. : D., actu., 30 janv. 2015, obs. O. Bachelet ;
§ 94 – v. contra, pour le
refus d’établir une violation de la Convention du fait de la simple absence de
l’avocat durant le premier interrogatoire policier au terme duquel le suspect
n’a pas tenu de déclarations incriminantes, CEDH,
sect. III, 24 juil. 2012, Stanca c. Roumanie,
req. n° 34116/04 ; § 62]. Sur ce point, l’arrêt A. T. ajoute aux incertitudes, sans que les
circonstances de fait n’expliquent vraiment les variations dans les différentes
solutions, alors que la Cour européenne des droits de l’Homme développe un
standard abstrait [v. pour un ex. récent s’agissant de la définition des
conditions de l’admission du report de l’assistance de l’avocat en garde à vue
[CEDH,
sect. IV, 16 déc. 2014, Ibrahim
et autres contre Royaume-Uni, req. nos 50541/08, 50571/08 et
50573/08 : D.,
actu., 19 déc. 2014, obs. A. Portmann
; § 191 et s.] et uniforme [v. supra,
n° 2] de l’assistance de l’avocat lors de la détention policière.
4.
La limitation du droit de communication entre l’avocat et le suspect avant le
premier interrogatoire devant le juge d’instruction. De
manière plus inédite, mais sans véritable surprise, la Cour européenne des
droits de l’Homme a estimé que l’absence d’accès de l’avocat au suspect avant
le premier interrogatoire devant le juge d’instruction violait les droits de la
défense : « la consultation
entre l’avocat et son client en amont dudit interrogatoire doit être consacrée
d’une manière non équivoque par le législateur » [A. T. c. Luxembourg : préc. ; § 87 – v. plus implicitement pour le dégagement du
principe du droit d’accès de l’avocat au suspect avant les interrogatoires
devant le juge menant l’instruction, CEDH,
sect. IV, 2 mars 2010, Adamkiewicz c.
Pologne, req. n° 54729/00 : RSC, 2011, p. 687, note D. Roets ; D., 2010, p. 1324, comm. P. Bonfils]. À la différence de son
raisonnement précédent, la violation de la convention du fait de ce vice semble
déconnectée du grief. Toutefois, la Cour lie constamment dans l’arrêt ce défaut
à l’exigence d’« une assistance
effective et concrète » [ibid.]
de l’avocat au cours de l’interrogatoire devant le juge uniquement. La notion
d’« assistance effective et concrète »
n’est pas sans rappeler les formulations employées par la Cour concernant le
droit à l’assistance de l’avocat en garde à vue [Dayanan : préc. ;
§ 30 : « en ce qui concerne
l'absence d'avocat lors de la garde à vue, la Cour rappelle que le droit de
tout accusé à être effectivement (surligné par nos soins) défendu par un avocat, au besoin commis
d'office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable »].
Mais au-delà, rien n’indique que ce « droit
de communication entre le suspect et son avocat » ne s’applique aussi dès
l’arrestation et durant la phase pendant laquelle s’est déroulée l’audition de
police [le requérant ne l’invoquait pas, il est vrai]. Au regard de la
formulation de l’arrêt, la consécration d’un « laps de temps » pour permettre cette communication entre la
désignation d’office de l’avocat et l’interrogatoire mené par le juge d’instruction,
événements survenus la même matinée, aurait pu suffire à assurer le respect de
la Convention [A. T. c. Luxembourg :
préc. ; § 89]. Il faut en
conclure que l’étendue des droits de la défense telle qu’évoquée dans l’arrêt Dayanan manque encore d’être consacrée.
En l’état de la jurisprudence actuelle, le droit de communication entre
l’avocat et le suspect avant même son premier interrogatoire policier ne semble
consacré qu’en cas d’absence de notification par les autorités du droit de se
taire au suspect [Adamkiewicz : préc. ; § 88 – Navone : préc. : § 77 – CEDH,
sect. V, 14 oct. 2010, Brusco
c. France, req. n° 1466/07 ; Dr. pén., 2010, ét. n° 29, comm. C. Mauro ; D., 2010, p. 2950, obs. J.-F. Renucci ; ibid., p. 2696, entretien Y. Mayaud
; ibid., p. 2783, chron. J. Pradel ; ibid., p. 2850, point de vue D. Guérin
; RSC, 2011, p. 211, obs. D. Roets ; JCP, 2010, n° 1064, obs. F.
Sudre ; Gaz. Pal.,
19 oct. 2010, p. 18, note M. Bougain ;
Procédures, 2010, comm. n° 419,
note A.‑S. Chavent‑Leclère ;
§ 45].
5.
Le refus de consacrer largement l’accès de l’avocat au dossier durant la
détention de police. Le point de l’arrêt le plus remarquable
réside dans ses développements relatifs au « défaut d’accès au dossier » de l’avocat durant la détention de
police « jusqu’après » le
premier interrogatoire devant le juge d’instruction, la question étant étudiée
dans une subdivision spécifique et isolée des autres critiques [A. T. c. Luxembourg : préc. ; § 79 et s.]. Si une
nouvelle fois la Cour a été saisie de ce défaut quant à la qualité de la
défense du suspect au cours du premier interrogatoire devant le juge, elle a
répondu plus largement que « l’article
6 de la Convention ne saurait être interprété comme garantissant un accès
illimité au dossier pénal dès avant le premier interrogatoire par le juge
d’instruction, lorsque les autorités nationales disposent de raisons relatives
à la protection des intérêts de la justice suffisantes pour ne pas mettre en
échec l’efficacité des investigations » [ibid., § 81]. Malgré le constat de non-violation établi par la Cour
en l’espèce, le droit d’accès n’est pas écarté de manière absolue, au regard de
la formulation employée. Prise a
contrario, l’accès illimité au dossier semble donc ouvert à défaut pour les
autorités de pouvoir opposer des « raisons
relatives à la protection des intérêts de la justice suffisantes ».
L’accès au dossier semble encore ouvert, mais de manière limitée, en présence
de tels intérêts. Et le critère posé par la Cour permettant de limiter l’accès
au dossier est même exigeant, alors qu’en comparaison, la Grande chambre, dans
son arrêt Salduz, a établi que de simples « raisons
valables » pouvaient permettre de déroger au droit du suspect à
l’assistance d’un l’avocat durant les interrogatoires policiers [Salduz, gde ch. : préc. ; § 52]. Sauf qu’en l’espèce,
la Cour européenne des droits de l’Homme n’a nullement appliqué les conditions
posées par sa propre formulation de principe pour justifier le défaut d’accès
au dossier qui s’était étendu en l’espèce jusqu’après le premier interrogatoire
mené par le juge, une telle limitation aux droits de la défense, pourtant très
large, étant admise de manière purement abstraite, sans même user des
considérations générales limitant classiquement les droits du suspect, comme la
gravité de l’infraction reprochée ou la complexité des investigations. Car
entre sa conclusion rejetant la violation de la convention [ibid., § 83] et l’expression de la
formulation de principe [ibid.,
§ 81], l’argumentaire de la Cour européenne des droits de l’Homme se
cantonne à restreindre, pour des considérations de droit, la portée de l’arrêt Sapan [CEDH,
sect. II, 20 sept. 2011, Sapan c. Turquie,
req. n° 17252/09, en angl.], lequel avait caractérisé que
l’absence d’accès de l’avocat au dossier lors de la garde à vue avait gravement
entravé la capacité de celui-ci à fournir toute sorte de conseils juridiques de
valeur significative [ibid., §
21 : « the applicant’s lawyer
had not been allowed to examine the investigation file at that point […], which would seriously hamper her ability to
provide any sort of meaningful legal advice to the applicant » – v.
plus largement sur la question de l’accès au dossier, avant l’arrêt signalé, F.
Desprez, « Accès au dossier
lors de la garde à vue : le risque d'une condamnation par la Cour européenne
des droits de l'homme » ; D.,
2012, p. 2640]. Plus que la formulation employée, c’est cette méthode de
raisonnement qui semble condamner la reconnaissance d’un large accès de
l’avocat au dossier durant la garde à vue. Le raisonnement in concreto était d’ailleurs de nature à relever des arguments
militant pour caractériser en l’espèce le droit de l’avocat à l’accès au
dossier, si ce n’est avant l’interrogatoire policier, au moins avant le premier
interrogatoire du juge, puisque l’absence de l’assistance d’un avocat durant
l’audition policière, sanctionnée par ailleurs par la Cour, empêchait le conseil
intervenu devant le juge de mieux appréhender les reproches et les charges
pesant sur le suspect grâce aux questions posées et aux réponses apportées
durant celle-ci. En tout cas, l’attitude de la Cour, qui a adopté une formule plutôt
ouverte quant à l’accès au dossier, sans qu’elle ne l’exploite en l’espèce pour
exclure son application, ce qui revient à refermer la porte précédemment
entrouverte, demeure curieuse. Selon que s’on attache plus à l’ouverture, peut‑être
pourrait-on voir dans la formule une simple proposition poussant vers l’accès
au dossier, dans l’attente d’un arrêt de Grande chambre, la Chambre n’ayant pas
osé franchir le pas ? Selon que l’on s’attache plus à la fermeture, sans
doute pourrait-on argumenter que la formule ne vise qu’à intégrer l’accès au
dossier minimal imposé dès l’arrestation par la directive n° 2012/13/UE du
Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 [l’article 7 prévoit que
« lorsqu’une personne est arrêtée et
détenue à n’importe quel stade de la procédure pénale, les États membres
veillent à ce que les documents relatifs à l’affaire en question détenus par
les autorités compétentes qui sont essentiels pour contester de manière
effective conformément au droit national la légalité de l’arrestation ou de la
détention soient mis à la disposition de la personne arrêtée ou de son avocat »],
sans que celle-ci ne puisse servir à élargir l’accès sur le fondement de
l’article 6 de la Convention ? La seule lecture de l’arrêt renvoie vers
cette dernière interprétation, alors que celui-ci, outre l’absence de
raisonnement concret déjà évoquée, renvoie justement la question de l’article 7
de la directive au contrôle de la légalité de la détention relevant de
l’article 5 [ibid., § 80]. On
regrettera dans les deux cas que la Cour n’ait pas su ou n’ait pas voulu se
montrer plus claire. Ce qui apparaît plus certain après la lecture de l’arrêt
concerne les hésitations de la Cour européenne des droits de l’Homme quant à l’encadrement
de la détention de police du suspect et la marginalisation de l’arrêt Dayanan, alors que la « vaste gamme d’interventions » de
l’avocat en garde à vue qui y est décrite ne peut que s’accorder avec l’accès
précoce du défenseur au dossier.
6.
La distribution de l’exercice des droits
de la défense. Dans l’arrêt A. T.,
la Cour n’a jamais pris en compte dans son raisonnement le fait qu’à l’issue du
premier interrogatoire devant le juge, le suspect avait été maintenu en
détention [la Cour a même directement écarté les arguments du requérant ayant
trait au contrôle de la légalité de la privation de liberté et jugés inopérant
par l’entremise de l’article 6 ; A.
T. c. Luxembourg : préc. ;
§ 77 et § 80 – il aurait été intéressant aussi que le requérant critique la
même insuffisance des droits de la défense sous l’angle différent de son maintien
en détention]. Il en ressort que les expressions des droits de la défense du
suspect sont parfaitement cloisonnées entre l’article 6, en lien avec la
matière pénale, et l’article 5, en lien avec la privation de liberté, les deux dispositions
s’appliquant indépendamment l’une de l’autre. L’article 5 n’impose pas
d’assistance de l’avocat dès l’arrestation [CEDH,
sect. II, 28 août 2012, Simons c.
Belgique, req. n° 71407/10, déc.
: D., 2012, p. 2644, comm. F. Fourment ; JCP, 2012, n° 1221, note K. Blay‑Grabarczyk], à la
différence de l’article 6, qui reconnait, à tout le moins, le droit du suspect
à l’assistance d’un avocat lors des interrogatoires policiers [il sera
intéressant de suivre la jurisprudence européenne de la Cour sur le fondement
de la protection de la liberté individuelle du suspect, notamment quant à
l’incidence que pourrait avoir sur celle-ci l’article 7 de la directive du 22
mai 2012]. Quant à la première traduction devant l’autorité judiciaire, l’article
6 y impose donc l’assistance de l’avocat, et son effectivité suppose la
reconnaissance d’un droit de communication préalable entre le suspect et l’avocat,
mais pas forcément l’accès au dossier. Si cette traduction ne réalise en même
temps que l’Habeas corpus prévu à
l’article 5 § 3 [c’est-à-dire la traduction « aussitôt » du suspect devant l’autorité judiciaire pour
contrôler la privation de liberté ; v. sur la notion Medvedyev, gde ch. : préc.]
et n’aboutit qu’à maintenir le suspect, par la contrainte, à la disposition du
Tribunal, saisi pour prononcer la détention provisoire, la dernière disposition
n’exige pas l’application des droits de la défense [v. CEDH,
ch., 4 déc. 1979, Schiesser c. Suisse,
req. n° 7710/76 ; § 36 ou CEDH,
sect. V, 6 mars 2012, Marzohl c. Suisse,
req. n° 24895/06, déc.].
En revanche, devant l’autorité judiciaire qui réalise l’Habeas corpus et en même temps se prononce sur le placement en
détention provisoire, ou sinon devant le Tribunal saisi après l’Habeas corpus pour prononcer la même
mesure, l’article 5 § 3 impose l’accès préalable de l’avocat au dossier, au moins
à ses éléments principaux [CEDH,
sect. V, 3 juil. 2012, Lutsenko c.
Ukraine, req. n° 6492/11, en angl. ;
§ 89 et s.]. Si les différentes manifestations des droits de la défense du
suspect en détention de police reposent donc sur deux causes distinctes, l’une
lointaine, tenant au futur jugement, et l’autre proche, tenant à son éventuel
placement en détention provisoire, la réunion de ces deux causes simultanément ne
suffit pas au développement d’une vision étendue des droits de la défense
durant cette phase critique, vision vers laquelle l’arrêt Dayanan s’orientait en établissant « la vaste gamme d’interventions », dont le contenu dépasse la
simple question de l’obtention des preuves.
7.
Le juge et le commentateur. L’arrêt A. T. c. Luxembourg, en réduisant la
portée de l’arrêt Sapan en réponse à
l’argument du requérant, résonne aussi comme un avertissement au commentateur [A. T. c. Luxembourg : préc. ; § 82]. La Cour y rappelle
quelques critères classiques servant à l’interprétation de la portée d’un motif,
comme la solennité de la formation qui l’a adopté [la Cour rappelle que l’arrêt
Sapan a été rendu par « le comité de trois juges » ; ibid.], son caractère nécessaire à la
solution du litige [la Cour indique que le grief soulevé par le requérant dans l’affaire
Sapan portait sur l’absence de l’assistance
d’un avocat lors des interrogatoires du suspect pendant sa détention de police ;
ibid.], et le contexte de l’affaire [la
Cour précise que l’arrêt Sapan a été
rendu « sur les critères établis dans une
jurisprudence considérée comme bien établie » découlant de l’arrêt Salduz ; ibid.]. La Cour aurait même pu ajouter, encore pour réduire sa
portée, que l’arrêt Sapan présentait
une rédaction simplifiée, sans rappel des principes généraux, et que la mention
de l’accès au dossier, sans prendre les atours d’une formule de principe, s’inscrivait
visiblement dans la mise en évidence d’une circonstance de fait servant à appuyer le raisonnement
européen plus qu’à le fonder. L’appel à la prudence lancé par la Cour
européenne des droits de l’Homme, face à ce qu’elle caractérise pratiquement
comme une témérité sans lendemain, est sans doute louable. Mais il faut aussi
noter que la Cour européenne des droits de l’Homme, à force de citations dans
les rappels des principes applicables, transforme des arrêts à la portée incertaine
en arrêts de principe [la « vaste
gamme d’interventions » de l’arrêt Dayanan
est elle-même une « digression » ;
v. le comm. de F. Fourment, préc.]. Assurément, n’aurait-elle pas
cité l’arrêt Sapan, malgré ses
défauts justement pointés ici, à l’appui d’un raisonnement qui aurait défendu
la solution inverse et sanctionné en l’espèce le défaut de l’accès au
dossier de l’avocat ? L’arrêt A. T. ici
signalé continue d’ailleurs de se référer à l’arrêt Dayanan dans son rappel des principes, alors même que ses solutions
ne font qu’en atténuer la portée. C’est aussi parce que la Cour européenne des
droits de l’Homme n’est pas toujours rigoureuse quant à l’exploitation de sa
jurisprudence antérieure [v. par ex. pour différentes critiques sur le rappel
des principes de l’arrêt Mursic,
notre comm. ici]
que le commentateur s’entiche parfois d’un motif incertain.
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