1.
L’examen du champ de la légalité et de la suffisance des garanties législatives encadrant le travail pénitentiaire. C’est
encore sur le pan de la légalité que le régime du travail pénitentiaire a été
attaqué récemment au moyen d’une question prioritaire de constitutionnalité, et
celui a été validé, une nouvelle fois, le 25 septembre 2015 par le Conseil
constitutionnel [Cons.
const., déc. n° 2015-485 QPC du 25 sept. 2015, M. Johny M. - Acte d'engagement
des personnes détenues participant aux activités professionnelles dans les
établissements pénitentiaires], après une première
validation en date du 14 juin 2013 [Cons.
const., déc. n° 2013-320/321 QPC du 14 juin 2013
; D., 2013, p. 1221, obs. S. Slama ; ibid., p. 1909, F. Chopin
; Procédures, 2013, comm. 266, obs.
J. Buisson].
La question de la légalité en matière pénitentiaire n’est pas anodine. Elle
rappelle d’abord que le droit
pénitentiaire – surtout la délimitation des droits des détenus et leur
protection – a longtemps souffert d’un enchevêtrement de sources de faible
valeur normative et d’un défaut de contrôle juridictionnel, notamment à cause
de la théorie des mesures d’ordre intérieur. La prison n’est pas encore totalement
débarrassée du défaut d’encadrement légal des libertés [on
pense ici, notamment, à la liberté religieuse ; v. ci-dessous, n° 7]
L’administration crée toujours ex nihilo de
véritables régimes sécuritaires, dérogatoires au droit commun, qui
amoindrissent les droits des condamnés [v. pour l’annulation de
la note créant le régime des rotations de sécurité, CE,
29 févr. 2008, n° 308145 – v. l’avis
critique du Contrôleur général des lieux de privation de
liberté sur l’expérimentation du regroupement
des détenus prosélytes]. Cette exception pénitentiaire ne concerne pas que les sources du droit et
se retrouve aussi dans le contrôle du juge sur l’activité de l’administration,
et s’il n’est plus vraiment nécessaire de rappeler les progrès réalisés en la
matière [M. Guyomar,
« Le juge administratif, juge pénitentiaire » ; in Terres
du droit, Mélanges Jegouzo, Dalloz, 2009, p. 471],
tant ils ont été mis en avant, il faut aussi rappeler que son office reste
parfois inférieur à son action dans d’autres matières [v.
pour le très récent abandon du contrôle limité à l’erreur d’appréciation
manifeste pour le contrôle de la sanction pénitentiaire, celui-ci restant
cependant dans la matière du recours en excès de pouvoir, CE,1er
juin 2015, Boromée c. Min.justice,
n° 380449 : Rec. CE : nos obs.]. Dans les sources
comme dans son action, l'administration pénitentiaire bénéficie encore d'une
marge d'appréciation, et l’intensité de la légalité intéresse toujours pour
constater de sa réduction ou de son maintien, pour identifier les progrès acquis
au fil du temps ou au contraire les résurgences du passé.
La critique de la
légalité ne se cantonne plus à un aspect organique, et en matière de question
prioritaire de constitutionnalité, elle ne peut d'ailleurs pas se limiter à cet
aspect le plus simpliste de la notion, puisque la « méconnaissance » par le législateur de sa compétence doit
« [affecter] par elle-même un droit
ou une liberté que la Constitution garantit ». Sur un plan matériel, attaquer
le vice de légalité revient alors à critiquer l'insuffisance des garanties
qu'il appartient au législateur d'adopter pour protéger les droits et libertés constitutionnellement
garantis. Dans la décision de 2015, les requérants et la partie intervenante
ont critiqué l’article
33 de la loi pénitentiaire, tout en arguant que « les dispositions contestées, en n'organisant
pas le cadre légal du travail des personnes incarcérées, privent ces personnes
de l'ensemble des garanties légales d'exercice des droits et libertés reconnus
par les cinquième à huitième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946
ainsi que de ceux reconnus par les dixième et onzième alinéas de ce Préambule ».
Critiquer l'incompétence négative du législateur en visant des dispositions
législatives existantes, comme en l'espèce, revient donc à obtenir une censure
de leur insuffisance et l'obligation pour le législateur de refondre le régime
applicable dans le sens d’une plus grande protection. Dès lors, et c’est ce qui
fait leur grande importance, les principes directeurs de la légalité ne servent
pas seulement à distinguer l’étendue de la compétence du législateur par
rapport à celle du pouvoir réglementaire [on pense immédiatement
ici à la répartition organisée par les
articles 34 et 37 de la Constitution], mais aussi à contrôler
que le législateur a adopté une législation suffisamment protectrice des droits
et libertés fondamentaux des détenus. Du fait de l’existence d’une première
décision récente sur le travail pénitentiaire, la survenue d’une nouvelle
décision en 2015 impose un examen comparé de celles-ci, dans l’objectif de
rechercher une éventuelle inclinaison de la jurisprudence constitutionnelle,
malgré des solutions identiques. Mais les différents éléments d’analyse tirés
de ces décisions doivent être replacés dans la jurisprudence plus globale du
Conseil constitutionnel, notamment pour identifier si l’importante question du
travail pénitentiaire fait l’objet d’un traitement particulier dans le contrôle
de la légalité de l’exécution des peines. Les limites importantes réduisant la
légalité, malgré les progrès, témoignent des résurgences d’un passé proche pour
la nouvelle validation du régime du travail pénitentiaire et d’un passé
lointain pour son bilan plus général en matière d’exécution des peines.
Les
résurgences d’un passé proche : la nouvelle validation constitutionnelle
du régime du travail pénitentiaire
2.
Un nouvel examen du régime du travail pénitentiaire. Forcé
et rude, le travail pénitentiaire participe d’une conception humiliante et
afflictive de la peine privative de liberté. Volontaire et suffisamment
valorisé, le travail pénitentiaire participe de la préparation de la
réinsertion [ce lien entre le travail pénitentiaire et « la préparation à la réinsertion du condamné »
justifie d’ailleurs pour le Tribunal des conflits que le litige né du travail
pénitentiaire entre le détenu et l’État ou même l’entreprise privée
concessionnaire relève de la juridiction administrative ; Trib.
confl., 14 oct. 2013, n° C3918 : Rec. CE]. Il entretien
l’employabilité du condamné et la rémunération permet de constituer un
pécule de sortie, comme elle facilite aussi l’indemnisation des victimes ou le
paiement des sommes dues au Trésor public. Autant dire que la question de
l’encadrement du travail pénitentiaire, importante, éclaire aussi sur le sens
donné à la peine privative de liberté. Mais la constitutionnalité de la législation
encadrant le travail pénitentiaire a déjà été tranchée par le Conseil
constitutionnel en 2013 [déc. n° 2013-320/321 QPC du 14 juin 2013 :
préc.]. La question
posée à l’époque s’approchait beaucoup de celle tranchée en 2015, sauf que,
plutôt que de critiquer l’existant –
l’insuffisance de la protection offerte par l’article 33 de la loi
pénitentiaire, spécialement adapté au contexte carcéral, et de l’acte
d’engagement qu’il impose – comme dans l’affaire la plus récente, les
requérants en 2013 avaient directement attaqué l’inexistant – l’absence de contrat de travail, donc d’application du
droit commun du travail, expressément édictée par l’article 717-3 du Code du
travail [selon les requérants d’alors, « en excluant que les relations de travail des
personnes incarcérées fassent l'objet d'un contrat de travail, sans organiser
le cadre légal de ce travail, le législateur prive ces personnes de toutes les
garanties légales d'exercice des droits et libertés reconnus par les cinquième
à huitième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 »].
Dans les deux affaires,
ce sont les mêmes principes constitutionnels dont la violation était invoquée
du fait de l’incompétence négative, « les
cinquième à huitième aliénas du Préambule de la Constitution de 1946 »,
ceux qui reconnaissent des droits sociaux au travailleur libre [soit
le droit à l'emploi, à la liberté syndicale, au droit de grève et au principe
de participation des travailleurs, pour reprendre les termes de l’arrêt de
renvoi ; CE,
6 juil. 2015, n° 389324 – le juge administratif a
cependant refusé de transmettre une question relative au dernier aliéna de
l’article 717-3 du Code de procédure pénale, qui fixe les principes d’une
rémunération minimale, mais renvoie à un décret la fixation du taux horaire, au
motif que la disposition n’est pas applicable au litige, qui concernait une
procédure de déclassement] et qui ne sont aucunement spécifique
au monde pénitentiaire [si, en 2015, les requérants ont
également appuyé leur critique de la législation du travail en prison en visant
les normes constitutionnelles liées à la protection sociale, soit les dixième
et onzième alinéas du même Préambule, le Conseil constitutionnel a rapidement
évacué le problème, dès lors que l’article 33 de la loi pénitentiaire est étranger
à ces considérations]. En l’espèce, si était critiqué le
seul article 33 de la loi pénitentiaire, le Conseil constitutionnel en a
profité pour réinjecter dans son examen d’autres dispositions législatives
encadrant le travail pénitentiaire, comme l’article 717-3 du Code de procédure
pénale et l’article 22 de la loi pénitentiaire, et a ainsi réalisé une analyse
plus globale. La critique de l’incompétence négative, qui entraîne finalement
un examen de la législation plus large que les simples dispositions visées,
afin d’apprécier l’intensité de la protection législative d’une liberté
fondamentale, avait abouti, déjà en 2013, à ce que le Conseil constitutionnel,
même visant dans son dispositif la seule «
première phrase du troisième alinéa de l'article 717-3 du code de procédure
pénale », cite dans son raisonnement l’article 33 de la loi
pénitentiaire, objet de la question de 2015, comme en 2015, le Conseil
constitutionnel, même visant dans son dispositif le seul article 33 de la loi
pénitentiaire, a cité dans son raisonnement l’article 717-3 du Code de
procédure pénale, objet de la question de 2013. Et entre 2013 et 2015, aucune
des deux dispositions n’a été modifiée. Au final, on en viendrait presque à
douter que la question posée en 2015 soit véritablement nouvelle et sérieuse [art.
23-4
de l’ordonnance modifiée n° 58-1067 du 7 nov. 1958 portant loi organique sur le
Conseil constitutionnel]. Cependant, et strictement, c’est bien
deux dispositions distinctes – et même une simple portion d’article dans un cas
– qui ont été examinées par le Conseil constitutionnel, l’article 33 de la loi
pénitentiaire et la première phrase du troisième alinéa de l’article 717-3 du
Code de procédure pénale. De même que, si la première décision de 2013 tranchait
la question de l’application du droit commun au travail pénitentiaire, la
question de 2015 revenait plutôt à revendiquer l’adoption d’un statut
intermédiaire, plus protecteur que celui de droit positif, mais moins
protecteur que celui du droit commun du travail. Toujours est-il que ce double
échec, par le versant nord et le versant sud, semble définitivement clore le
débat constitutionnel.
3.
La persistance d’une conception amoindrie de la légalité pour le travail
pénitentiaire. Il ressort de ces deux décisions que
l’encadrement minimal du législateur du travail pénitentiaire, principalement
aux articles 22 et 33 de la loi pénitentiaire, ainsi qu’aux articles 717-3 et 718
du Code de procédure pénale, suffit à épuiser sa compétence, tant sur le plan
organique, quant à l’étendue de la législation, que sur la plan matériel, quant
aux garanties qu’elle accorde. Avant d’analyser plus précisément les principes directeurs
de la légalité forgés par le Conseil constitutionnel, l’inventaire du droit
pénitentiaire du travail est éloquent sur la pauvreté de la législation et la
faiblesse de la protection qu’elle offre aux détenus. En effet, il suffit de
comparer le contenu des dispositions applicables selon leur source [v.
sur ce point le commentaire aux Cahiers], celles législatives
[à
savoir l’existence d’une obligation de moyens, mise à la charge de
l’administration pénitentiaire, de fournir un emploi au détenu qui en fait la
demande à l’art. 717-3 al. 2 du Code de procédure pénale ; l’interdiction
que les produits du travail puissent faire l’objet de prélèvements destinés à
régler des frais d’entretien et le renvoi au pouvoir réglementaire pour
déterminer leur répartition entre les différentes parts du pécule à l’art.
717-3 al. 3 ; le principe de l’établissement d’une rémunération minimale
pour le détenu et le renvoi au pouvoir réglementaire pour fixer le taux horaire
minimal à l’art. 717-3 al. 4 ; la possibilité pour les détenus de
travailler à leur propre compte avec l’accord du chef d’établissement à l’art.
718 ; la réalisation d’un acte d’engagement par l’établissement
pénitentiaire, rappelant les droits et obligations professionnelles, les
conditions de travail et la rémunération, ainsi que le bénéficie d’éventuels
dispositifs d’insertion et le principe d’égalité d’accès à l’emploi et à son
maintien entre le détenu valide et le détenu handicapé à l’art. 33 de la loi
pénitentiaire] et celles réglementaires [à
savoir la procédure pour demander un emploi à l’art. D.
423
du Code de procédure pénale ; les formes du travail pénitentiaire à
l’art. D.
433-1 ; la possibilité de travailler pour une
association de réinsertion à l’art. D.
432-3 ; le régime du travail au service général à
l’art. D.
433-3 ; le régime du travail en concession aux art.
D. 433-1 et s. ; l’incrimination en faute disciplinaire des mouvements pouvant
entraver le travail aux art. R.
57-7-2 et R.
57-7-3 ; les taux horaires de rémunération minimale à
l’art. D.
432-1 ; le principe du rapprochement, dans la mesure
du possible, de la rémunération du travail pénitentiaire avec les standards
extérieurs à l’art. D.
433
; la durée du travail à l’art. D.
432-2 et à l’art. 15 du Règlement intérieur ; les
critères du classement à un emploi à l’art. D. 432-3 ; les conditions de
déclassement à l’art. D.
432-4 ; l’établissement de la suspension de l’emploi
ou le déclassement comme sanctions disciplinaires à l’art. R.
57-7-34 ; la répartition des produits du travail entre
les différentes parts du compte nominatif du détenu à l’art. D.
434 ;
les différents principes concernant le règlement des charges et des cotisations
sociales, l’application des règles d’hygiène et de sécurité ou de la
législation sur les accidents du travail aux art. D.
433-4 et s.], pour se convaincre que l’étendue de
la législation et la protection des droits des détenus qu’elle organise,
estimées à deux reprises satisfaisantes par le Conseil constitutionnel, sont
réduites à peau de chagrin ; et ce d’autant plus que la loi délègue deux
fois directement sa compétence normative au pouvoir réglementaire [art. 717-3 al. 3 et al.
4 du Code pénal], ce qui altère l’étendue de la loi, et habilite une fois l’administration à fixer les « droits et obligations » du détenu travailleur [art.
33 de la loi pénitentiaire], ce qui altère la protection
qu’elle fournit.
Pour une question
pratiquement similaire à celle ayant donné lieu à la décision de 2013, il y a
au moins une certaine logique à ce que le Conseil constitutionnel ait apporté
une réponse similaire à la question posée en 2015, surtout à législation
constante. Dans les deux décisions, on ne retrouve cependant pas les mêmes
principes directeurs. Ainsi, le Conseil constitutionnel a employé, dans sa
décision de 2015, deux principes directeurs [que nous désignerons
ci-après comme le premier et le second, selon leur ordre d’apparition dans la
décision du Conseil constitutionnel de 2015], qu’il convient de
citer in extenso, dès lors qu’ils seront largement critiqués ci-après, alors qu’il
s’était appuyé en 2013 sur un seul des deux principes [le
premier] :
Premier principe directeur [déc.
n° 2015-485 QPC du 25 sept. 2015 : préc. ;
consid.
n° 4] : « considérant que, d'une part, le Préambule de la Constitution de 1946 a
réaffirmé que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance,
possède des droits inaliénables et sacrés ; que la sauvegarde de la dignité de
la personne contre toute forme d'asservissement et de dégradation est au nombre
de ces droits et constitue un principe à valeur constitutionnelle ; que,
d'autre part, l'exécution des peines privatives de liberté en matière
correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la
société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser
l'amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion ; qu'il
appartient, dès lors, au législateur, compétent en application de l'article 34
de la Constitution pour fixer les règles concernant le droit pénal et la
procédure pénale, de déterminer les conditions et les modalités d'exécution des
peines privatives de liberté dans le respect de la dignité de la personne ».
Second principe directeur [ibidem, consid. n° 5] : « considérant qu'il appartient au
législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales
accordées aux personnes détenues ; que celles-ci bénéficient des droits et
libertés constitutionnellement garantis dans les limites inhérentes à la
détention ; qu'il en résulte que le législateur doit assurer la conciliation
entre, d'une part, l'exercice de ces droits et libertés que la Constitution
garantit et, d'autre part, l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde
de l'ordre public ainsi que les finalités qui sont assignées à l'exécution des
peines privatives de liberté ».
Concernant spécialement
la question du travail pénitentiaire, la décision de 2015 réalise deux apports
par rapport à celle de 2013, un éclaircissement et un retrait. Quant à
l’éclaircissement, il faut rappeler qu’en 2013, le conseil constitutionnel
avait estimé que les dispositions établissant l'absence d'existence d'un contrat
au travail « ne portent, en elles-mêmes,
aucune atteinte aux principes énoncés par le Préambule de 1946 », au regard
du seul premier principe directeur, qui fonde la compétence du législateur sur
le seul item du droit pénal et de la
procédure pénale [« la loi fixe les règles concernant […] la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur
sont applicables ; la procédure pénale ; »]
– et non celui des garanties fondamentales [« La loi fixe les règles concernant […] les droits civiques et les garanties
fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques »]
– de l'article 34 de la Constitution, et qui érige en même temps l’atteinte à
la dignité comme limite infranchissable. Dès lors, la décision pouvait être
interprétée comme laissant la marge la plus grande au législateur pour
organiser le travail en prison, au regard de sa compétence au titre du droit pénal
et de la procédure pénale, satisfaite par les quelques dispositions déjà citées,
sans égard véritable pour les droits du travailleur tels qu'issus du Préambule
de 1946, au point que l’application de ces droits semblait presque écartée du
profit du travailleur-détenu – « ne
portent […] aucune atteinte »
–, au nom de l’autonomie du droit pénal – et même du droit pénitentiaire. De
même que finalement, la matière du travail pénitentiaire, il est vrai
volontaire, n’apparaissait pas comme susceptible de porter atteinte à la
dignité du détenu [v. sur l’interprétation relativiste que
nous faisons des principes directeurs quant à la légalité organique,
ci-dessous, n° 5]. Sous cet angle, la décision s'inscrivait
directement dans la conception ancienne de la peine privative de liberté, affectant
la liberté d'aller et venir en même temps que les autres droits, quand la
conception moderne reconnaît le seul retrait de la liberté individuelle et le
maintien des autres, sous réserve des sujétions inhérentes à la détention. En réalité,
il faut interpréter cette décision comme ayant considéré que l'absence de
contrat de travail n'empêchait pas que le détenu ne bénéficie des droits des travailleurs,
reconnus mais réduits du fait de l’état de détention, si bien que les dispositions
litigieuses ne portent pas en « elles-mêmes
», ou intrinsèquement, « atteinte » à
ceux-ci et que le vide laissé par l'absence d'application du droit commun du
travail est suffisamment rempli par les garanties instituées par les autres dispositions
législatives [ce qui montre finalement que, dès 2013, la totalité
du régime législatif était validé par le Conseil constitutionnel, dont
l’article 33 de la loi pénitentiaire et l’acte d’engagement].
Car c’est finalement ce raisonnement que le Conseil constitutionnel réalise
plus explicitement dans sa décision de 2015, à l’aide de la formulation du
second principe, qui manquait à la décision de 2013 et qui reconnait nettement
que les détenus « bénéficient des
droits et libertés constitutionnellement garantis dans les limites inhérentes à
la détention ». Autant dire que cet éclaircissement ne porte pas
vraiment de progrès, tant les principes directeurs portent des exigences
limitées en matière de légalité matérielle [v. ci-dessous, n° 6].
Quant au retrait, il
faut constater que, si la première phrase du troisième aliéna de l’article
717-3 était validée en juin 2013 car elle ne portait pas « atteinte » aux droits
constitutionnels, l’article 33 de la loi pénitentiaire est validé même s’il permet
de telles atteintes, puisque l’administration pénitentiaire, dans l’acte
d’engagement à la charge, d’«[énoncer] les droits et obligations professionnels »
de la personne détenue, sans qu’aucune liste desdits droits et obligation dans
leur fixation ne soient établies, l’administration ayant un pouvoir
d’interprétation. Une telle disposition constitue une permission législative
donnée à l’administration pénitentiaire de réduire, selon les cas, les droits
constitutionnels du détenu, et celle-ci est directement validée par le Conseil
constitutionnel. Ce dernier en a pleinement conscience, c’est pourquoi il ne
conclut pas que les dispositions de l’article 33 ne portent pas en elles-mêmes
atteinte aux droits du travail inscrits dans le préambule [à
la différence de son raisonnement dans la décision de 2013 sur l’absence
d’application du contrat de travail], mais il conclut que celles-ci
« ne privent pas de garanties
légales les droits et libertés énoncés par les cinquième à huitième alinéas du
Préambule de la Constitution de 1946 dont sont susceptibles de bénéficier les
détenus dans les limites inhérentes à la détention » [déc.
n° 2015-485 QPC du 25 sept. 2015 : préc. :
consid. n° 11]. Au titre de ces garanties compensant l’altération
des droits permise par l’article 33, le Conseil constitutionnel en vise deux,
dont la protection apparaît d’ores et déjà relative. La première, qui n’est pas
véritablement légale, tient dans le contrôle du juge administratif, qu’il reste
à construire quant à l’acte d’engagement. La seconde réside dans l’article
22 de la loi pénitentiaire [« L'administration pénitentiaire
garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits.
L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles
résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité
et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la
protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de
l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne
détenue. »], qui érige, plutôt qu’une protection, un
standard de réduction des droits des détenus très large, rajoutant à la marge
d’appréciation dont l’administration dispose déjà. Dès lors, cette seconde
garantie ne se distingue pas véritablement de la première, puisque la
disposition législative ne sera véritablement protectrice des droits du détenu
qu’à la condition que le juge administratif s’en saisisse dans un contrôle
rigoureux [v. quant au rôle du juge administratif, ci-dessous,
n° 7].
Finalement, on ne découvre
guère dans la législation du travail pénitentiaire – rappelons le, constituée
des seuls articles 22 et 33 de la loi pénitentiaire, ainsi que des articles 717-3
et 718 du Code de procédure pénale – que des traces des droits du travail
ressortant du préambule de 1946 – jamais cités clairement, d’ailleurs, par le
Conseil constitutionnel en 2013 et en 2015, comme si leur contenu n’était guère
nécessaire à la solution –, situation insatisfaisante même en admettant qu’ils
puissent être légitimement réduits par les contingences de la détention. Si le
principe de leur application dans une forme allégée est affichée, la légalité
peine à assurer leur pleine effectivité. Mais au-delà du domaine du travail
pénitentiaire, la dernière décision de 2015 s’inscrit dans et conforte la
jurisprudence constitutionnelle préexistante quant au champ de la légalité en
matière d’exécution des peines, et le bilan de ces décisions est décevant.
Les
résurgences d’un passé lointain : le bilan décevant du contrôle
constitutionnel de la légalité en matière d’ « exécution des peines »
4.
La cristallisation des deux principes directeurs. Les
deux principes directeurs présents dans la décision de 2015 sur le travail pénitentiaire
règlent désormais le champ de la légalité en matière d'« exécution des peines » : ils
étaient déjà associés dans la décision du Conseil constitutionnel qui a
invalidé l’habilitation du législateur faite au pouvoir réglementaire pour
définir « l’organisation et le
régime intérieur » des établissements pénitentiaires prévue à
l’ancien article 728 du Code de procédure pénale
[Const.
const., déc. n° 2014-393 QPC du 25 avr. 2014, M. Angelo R. :
consid. n° 4 et 5], et même, dans une forme complète pour
le premier principe directeur et plus allégée pour le second, dès la décision constitutionnelle
sur la loi pénitentiaire [Cons.
const., déc. n° 2009-593 DC du 19 nov. 2009 portant sur la loi pénitentiaire :
« il appartient cependant au législateur
de garantir les droits et libertés dont ces personnes continuent de bénéficier
dans les limites inhérentes aux contraintes de la détention »].
Il en ressortirait, en les lisant dans leur forme désormais fixée [v.
pour leur citation, ci-dessus, n° 3], presque deux limites
complémentaires, l'une encadrant la sévérité, l'autre encadrant la liberté, le
tout dessinant un large mouvement de balancier, au sein duquel la législation
pourrait évoluer au gré de la politique pénale. D'une part, le législateur ne
pourrait faire preuve de sévérité allant jusqu'à altérer la dignité du détenu
dans la définition du régime de détention. D'autre part, le législateur aurait
pour obligation de définir le régime des droits et liberté profitant aux
détenus, en conciliation avec les sujétions de la détention. La compétence
législative serait en conséquence des plus larges quant à son étendue, quand bien
même il bénéficierait, aussi dans cette vision, d’une large marge
d’appréciation. En réalité, les principes directeurs définissent plutôt deux
réserves de compétence législative distinctes, à l’intérieur du balancier
précédemment décrit, chacune de ces poches étant au surplus particulièrement
réduites. Et à l’intérieur de ces réserves, les principes directeurs accordent
au législateur une large marge d’appréciation. Ces conclusions, qui ressortent
de la vigueur relative des deux principes directeurs quant à la légalité
organique [v. ci-dessous, n° 5] et la légalité
matérielle [v.
ci-dessous, n° 6], peuvent être tirées de l’examen
complet de la jurisprudence constitutionnelle, concernant son contrôle de la
légalité dans la matière de l’exécution des peines, si bien que le travail
pénitentiaire, pour lequel les exigences du juge de la loi sont limitées, ne
fait pas l’objet d’un sort particulier, mais subit le régime général.
5.
La relativisation de la vigueur des principes directeurs quant à la légalité
organique. Le premier principe directeur insiste sur la
dignité. À reprendre sa construction, qui mêle, au début du raisonnement, les
fondements constitutionnels du principe et les objectifs de la peine privative
de liberté, il semblerait que le Conseil constitutionnel ait forgé un nouveau
principe constitutionnel propre à la personne détenue, tenant à ce que le
régime pénitentiaire, le plus largement défini, ne puisse heurter la dignité. Plus
loin dans le raisonnement, le respect de la dignité humaine est érigée comme
borne de la compétence du législateur dans son pouvoir de définition des
« conditions et […] modalités d’exécution des peines privatives
de liberté » [« il appartient, dès lors, au
législateur, compétent en application de l'article 34 de la Constitution pour
fixer les règles concernant le droit pénal et la procédure pénale, de
déterminer les conditions et les modalités d'exécution des peines privatives de
liberté dans le respect de la dignité de la personne »],
ce qui confirmerait cette analyse. Il est difficile de ne pas voir dans
l’utilisation constitutionnelle de la dignité, et plus encore dans une
acception particulière réservée au détenu, une référence à la jurisprudence
européenne, qui a développé son contrôle de la peine privative de liberté sous
l'angle de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme,
prohibant la torture et les traitements inhumains et dégradants. L'extension de
la légalité à l'ensemble des compartiments placés sous le contrôle de l'article
3 de la Convention européenne des droits de l'Homme, par alignement de la
jurisprudence européenne et constitutionnelle quant aux éléments susceptibles
de porter atteinte à la dignité du détenu, n'est pas illogique, à considérer la
compétence du législateur pleinement conditionnée par l'item des garanties fondamentales de l'article 34 [item, qui
n’est, rappelons-le, jamais cité par le Conseil constitutionnel dans la
jurisprudence qui nous intéresse] ou, à reprendre la
formulation du Conseil constitutionnel, par le critère « des droits et libertés » fondamentaux
qui bénéficient aux détenus dans « les
limites inhérentes à la détention ». Les deux principes directeurs
devraient se lire de manière couplée, le premier formant un nouveau droit
constitutionnel pour le détenu, qu’il reviendrait au législateur d’encadrer en
vertu du second, comme tous les autres droits et libertés constitutionnellement
garantis. Il en résulterait un champ de la légalité particulièrement large. L'article
3 de la Convention a permis à la Cour, à travers la sanction des conditions matérielles
de détention indignes [v. pour un arrêt important, dont
l’affaire a été renvoyée devant la Grande chambre, CEDH,
sect. I, 12 mars 2015, Mursic c. Croatie, n° 7334/13, en angl. ;
nos
obs. ici], d'établir un standard abstrait et minimum du
régime de détention. La même disposition fonde l'obligation positive pour les
États d'assurer la protection de la santé du détenu [CEDH,
gde ch., 26 oct. 2000, Kudla c. Pologne, req. n°
30210/96 : Rec. CEDH, 2000-XI ; AJDA,
2000, p. 1006, chron. J.-F.
Flauss ; RFDA, 2001, p. 1250, chron. H. Labayle et F.
Sudre ; § 94 : « l’article 3 de la
Convention impose à l’État de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des
conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les
modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse
ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrances
inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de
l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de
manière adéquate »], justifie la sanction de l'État
en cas d'insuffisance des soins apportés au détenu [CEDH,
sect. V, 19 févr 2015, Helhal c. France, req. n° 10401/12],
et octroie même un droit à la libération au condamné dont l'état de santé est
durablement incompatible avec la détention [CEDH,
14 nov. 2002, Mouisel c. France, req. n° 67263/01 : Rec. CEDH, 2002-IX ; LPA,
19 juin 2003, p. 15, comm. H.
Tigroudja ; ibid., 16 juil. 2003, p. 13, comm. D. Roets ; D., 2003, p. 524, obs. J.‑F. Renucci ; ibid., p. 303,
note H. Moutouh ; ibid.,
p. 919, chron. J.‑P. Céré ; RSC,
2003, p. 144, chron. F. Massias ; AJDA,
2003, p. 603, chron. J.‑F. Flauss].
L'article 3 permet aussi le contrôle de l'isolement pénitentiaire, bien avancé
pour celui prononcé à titre de mesure de sûreté et moins abouti pour celui
prononcé à titre de sanction disciplinaire, en prohibant l'isolement total, en
assurant le contrôle des conditions matérielles de détention au quartier d’isolement
et en forgeant le modèle de leur contrôle juridictionnel [v.
par ex., pour l’isolement de sûreté, CEDH,
sect. IV, 8 juil. 2014, Harakchiev et
Tolumov c. Bulgaire, req. n° 15018/11 et 61199/12, en angl. ;
nos
obs. ici]. L'article 3 sert aussi au contrôle de la peine
perpétuelle, en prohibant celle de facto et de jure
incompressible [CEDH,
gde ch., 12 févr. 2008, Kafkaris c. Chypre,
n° 21906/04], en fondant un droit à un réexamen non
judiciaire au bout de vingt-cinq ans de réclusion [v.
notamment CEDH,
sect. V, 13 nov. 2014, Bodein c. France, req.
n° 40014/10 ; nos
obs. ici], et en tendant à inscrire un objectif de
réhabilitation à la peine [v. CEDH,
gde ch., 30 juin 2015, Khoroshenko c. Russie, req. n° 41418/04 ;
nos
obs. ici]. L'article 3 porte enfin le principe du contrôle
européen de la proportionnalité de la peine privative de liberté [v. CEDH,
sect. IV, 10 avr. 2012, Babar Ahmad et autres c. Royaume-Uni, req.
nos 24027/07, 11949/08, 36742/08, 66911/09 et 67354/09, en
angl. ; § 237]. De cette profusion,
il ressort au moins l'idée que le régime pénitentiaire, dans son sens le plus
matériel, s'agissant des caractéristiques de la cellule, des modalités et des
conditions de l'isolement ou du déroulement des activités fournies et autorisées,
est susceptible de porter atteinte à la dignité, non plus seulement en raison
des circonstances concrètes dans lesquelles la peine est exécutée, mais aussi
en raison de la sévérité de son cadre normatif. La transposition de ce modèle
en droit français devrait donc se traduire par l'attribution de la définition
du régime pénitentiaire, dans son sens le plus large, au législateur, au titre
des garanties fondamentales, et le contrôle in
abstracto de celui-ci par le Conseil constitutionnel.
Mais en réalité,
l’utilisation de la dignité dans le premier principe directeur ne montre qu'un
dialogue des juges très parcellaire entre le Conseil constitutionnel et la Cour
européenne des droits de l'Homme. D'abord, le Conseil constitutionnel a écarté
expressément du champ du premier principe attributif « le régime disciplinaire des personnes détenues », dont une part
résiduelle seulement a été attribuée au législateur, sur le fondement du
deuxième principe attributif, à l’époque rédigé plus simplement [déc.
n° 2009-593 DC du 19 nov. 2009 : préc. ;
cons. n° 5 et 6 : le Conseil constitutionnel a considéré que le
législateur avait respecté la légalité en définissant les deux sanctions les
plus graves, le confinement ou le placement en cellule disciplinaire, en
limitant leur durée, en restreignant le placement en cellule disciplinaire pour
le mineur, en maintenant le droit à un « parloir » par semaine pour les détenus sanctionnés de ces
mesures, en prévoyant des garanties juridictionnelles et en imposant que les
deux mesures restent compatibles avec l’état de santé du détenu, au sein de
l’article 726
du Code de procédure pénale]. Ensuite, le Conseil constitutionnel
ne semble pas plus intégrer le travail pénitentiaire à la première réserve de
compétence législative, son examen se situant à chaque fois sur la suffisance
de la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis, en
l’espèce les droits du Préambule de 1946, donc une nouvelle fois sur le second
principe directeur [on nuancera cependant le propos en
indiquant que, l'incompétence négative ne pouvant être relevée, concernant la
question prioritaire de constitutionnalité, qu'en cas d'atteinte à un principe
constitutionnel, le Conseil constitutionnel n'était pas saisi de l'inclusion
éventuelle du régime du travail pénitentiaire dans le champ de l'item du droit pénal de l'article 34].
Enfin et surtout, si le premier principe attributif a servi, comme le second, à
la censure de l’habilitation législative faite au pouvoir réglementaire pour
définir « l'organisation et le
régime intérieur des établissements pénitentiaires », qui figurait à
l’ancien article 728 du Code de procédure pénale [déc.
n° 2014-393 QPC du 25 avr. 2014 : préc.],
l’analyse plus poussée montre que l’apparent progrès de l’étendue de la
légalité est en trompe-l’œil. En effet, à première vue, si la sanction du
défaut de définition légale des « conditions
dans lesquelles sont garantis les droits dont ces personnes continuent de
bénéficier dans les limites inhérentes à la détention » [ibid.,
consid. n° 7] semble se rattacher au second principe directeur, la
sanction de l'absence de définition légale des « principes de l'organisation de la vie en détention, de la surveillance
des détenues et de leur relation avec l'extérieur » pourrait être plutôt
reliée au premier principe, c'est-à-dire à la compétence législative
attachée à la définition des « conditions
et modalités » de l'exécution des peines [ibid.,
consid. n° 6]. Cependant, il faut rappeler que dans cette même décision,
le Conseil constitutionnel a donné quitus
à la loi pénitentiaire, en particulier le chapitre III du titre 1er
[consid.
n° 10],
alors qu’était contestée la version du droit antérieure à son entrée en
vigueur, si bien que le législateur n’a pas eu à intervenir après la censure. Or, ce chapitre ne
réalise en réalité qu’une transposition du principe constitutionnel selon
lequel les droits et libertés profitent au détenu, dans les limites inhérentes
à la détention, ce qui revient, pour les différentes libertés, à déterminer,
plus ou moins précisément, les motifs permettant de les restreindre et les
modalités de leur expression. Dès lors que la loi pénitentiaire était jugée
suffisante à combler le vide du droit antérieur sanctionné par le Conseil
constitutionnel, il faut bien admettre encore que la compétence législative était
dégagée, en réalité, sur le second principe directeur.
Au terme de cet examen,
il apparaît que seule la matière de l’aménagement des peines, au sens le plus
strict, puisse être considérée comme relevant de la compétence législative sur
le fondement unique du premier principe, ce qui explique d’ailleurs
l’utilisation des objectifs constitutionnels de la peine privative de liberté pour
le formuler. Ces objectifs ont été forgés lors du contrôle constitutionnel de
la perpétuité réelle, dont le propre est de neutraliser durablement toute
possibilité d’aménagement [v. Cons.
const., déc. n° 93-334 DC du 20 janv. 1994 ; RFD const., 1994, p. 353, note Th. Renoux ; D., 1995, p. 340, obs. Th.
Renoux ; ibid., p. 293,
obs. É. Oliva ou Cons.
const., déc. n° 2011-625 DC du 10 mars 2011]. La référence constitutionnelle
à la dignité, en l’état, ne rejoint le contrôle européen fondé sur l’article 3
que s’agissant de la seule interdiction de peine perpétuelle de jure et de facto incompressible. À se situer en dehors de l’aménagement de
la peine, au sein de l’exécution des peines, et en particulier pour le droit
pénitentiaire, seul le second principe, celui tenant au domaine des droits et libertés
fondamentales garantis constitutionnellement, paraît efficace à justifier la
compétence législative.
Quant au second critère
justement, au regard de la jurisprudence, il donne compétence au législateur
dès que le régime pénitentiaire est susceptible d’amoindrir des droits ou
libertés constitutionnellement garantis, par référence à ceux qui profitent
aussi à la personne libre, et dont les détenus continuent à profiter en
détention – si bien qu’on peine vraiment à identifier des droits
constitutionnels spécifiques au détenu, lesquels justifieraient sans doute une
légalité plus large [v. ci-dessous, n° 8].
Pour autant, les principes dont profitent aussi les personnes libres et qui
peuvent être utiles à mobiliser la compétence législative en matière
d’exécution des peines sont nombreux [aux principes du droit
du travail déjà évoqués, on peut citer aussi, en reprenant les critiques des
requérants sur l’ancien article 728 du Code de procédure pénale, le droit au
respect de la dignité humaine, le droit au respect de l'intégrité physique et à
la santé des détenus, le droit au respect de la vie privée, le droit de propriété,
la présomption d'innocence et la liberté religieuse].
Cependant, la décision du Conseil constitutionnel de 2014 rappelle que, même
lorsque de tels droits sont mis en cause, la compétence législative se cantonne
aux seules dispositions « essentielles »
d’encadrement [déc. n° 2014-393 QPC du 25 avr. 2014 : préc. ; consid. n° 7 : « la méconnaissance, par le législateur, de sa
compétence dans la détermination des conditions essentielles de l'organisation
et du régime intérieur des établissements pénitentiaires »].
C’est bien une compétence résiduelle d’encadrement des droits et liberté qui
ressort de la jurisprudence constitutionnelle, comme le montre clairement les
validations de la législation encadrant le travail pénitentiaire [et
on doute d’ailleurs que les dispositions essentielles figurent toutes dans la
loi],
le contenu de la loi pénitentiaire, conforté par le Conseil constitutionnel [on
citera, pour le plus patent, les cas de la liberté de la communication avec
l’avocat et de la liberté religieuse, qui ne sont traités qu’au travers d’un
seul article dans la loi, les articles 25
et 26,
ceux-ci ne portant que la reconnaissance de leur application au détenu],
ou encore la validation de la législation encadrant les sanctions
disciplinaires [déc. n° 2009-593 DC du 19 nov.
2009 : préc. ; cons. n° 5
et 6 : il est permis d’éprouver le même doute quant au fait que le cadre
législatif contiendrait bien les dispositions essentielles].
Pour comparer avec l’item des
garanties fondamentales figurant à l’article 34 de la Constitution, qui n’est pas
visé par le Conseil constitutionnel dans le second principe directeur, celui-ci
attribue une compétence des plus larges au législateur, qui doit fixer « les règles », alors que, pour
d’autres matières, la même disposition attribue au législateur une compétence
plus résiduelle, laquelle se limite à la détermination des « principes fondamentaux » :
concernant les détenus – et c’est peut-être aussi l’utilité de ne pas employer
l’article 34 sur l’item des garanties
fondamentales, en plus de permettre l’application de larges standards de réduction
[v.
ci-dessous, n° 6] –, l’étendue de la compétence
organique du législateur tirée de l’encadrement des droits et libertés est
moindre. Le juge administratif a même adopté une position plus stricte encore,
dans son contrôle de la légalité des dispositions réglementaires organisant le
droit disciplinaire, en limitant la compétence législative aux dispositions
atteignant la « substance »
des droits et libertés des détenus [CE,
17 juil. 2013, n° 357405, M. T. c.
garde des Sceaux, ministre de la Justice : inédit ; Gaz. Pal., 26 sept. 2013, p. 16, obs. M. Guyomar]. Au final, sur
le plan organique, les deux principes directeurs aboutissent à définir une
étendue de la compétence législative limitée, le premier attribuant compétence
au législateur pour la matière de l’aménagement des peines, le second lui
attribuant compétence pour la définition des dispositions essentielles
encadrant les droits et libertés constitutionnellement garantis des détenus.
6.
La relativisation de la vigueur des principes directeurs quant à la légalité
matérielle. Il faut souligner d’emblée que les
formulations des deux principes additionnent les standards juridiques –
dignité, ordre public, objectifs de la peine privative de liberté. Il ressort
de cette accumulation une grande souplesse, non seulement pour le Conseil
constitutionnel, qui peut ainsi librement faire varier l'intensité de son
contrôle – en théorie, du moins, puisque le contrôle reste, jusqu'ici, constant dans une intensité assez faible –, mais encore pour le législateur, qui bénéficie d'une grande marge
d'interprétation – en théorie, du moins, puisque, comme le montre les décisions
sur le travail pénitentiaire ou le droit disciplinaire, le législateur n'use
que modérément de sa compétence avec la bénédiction du Conseil constitutionnel.
À lire les deux principes directeurs, il est remarquable que le seul véritable fondement
constitutionnel attributif de compétence utilisé par le Conseil constitutionnel
tient dans l'article 34 de la Constitution, plus précisément de l'item du droit pénal, et non celui des
garanties fondamentales [citons une nouvelle fois les
dispositions de l’article 34 auxquelles le Conseil constitutionnel ne renvoie
jamais : « La loi fixe les
règles concernant […] les droits
civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice
des libertés publiques » ; dans le second principe directeur,
alors que le Conseil constitutionnel établit un principe approchant –
« qu'il appartient au législateur de
fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux personnes
détenues ; que celles-ci bénéficient des droits et libertés
constitutionnellement garantis dans les limites inhérentes à la détention »
–,
il ne se réfère plus à l’article 34, et adapte directement la formule au monde
carcéral].
Et ce même dans la décision emblématique – parce que c’est la seule qui a
abouti à une censure – d’avril 2014 [déc. n° 2014-393 QPC du
25 avr. 2014 : préc.],
pour laquelle nous avons vu que la sanction reposait surtout sur l’absence
d’encadrement législatif des droits et libertés du détenu. En effet, les autres
fondements visés, le principe de la dignité et les objectifs de l’exécution de
la peine privative de liberté, ne servent, dans une construction maladroite [en
effet, la dignité et les objectifs constitutionnels assignés à l’exécution de
la peine privative de liberté sont cités dans le premier principe directeur, de
sorte qu’ils semblent ne servir qu’à l’élaboration de celui-ci, alors pourtant
que, si la dignité sert bien à border le premier principe directeur, les
objectifs de l’exécution de la peine sert à borner le second principe directeur ;
quant à l’item pénal de l’article 34 de la Constitution, il se trouve
séparé de l’énoncé des fondements constitutionnels applicables, pour être employé
au milieu de la formule précisant la compétence législative et synthétisant les
fondements précédemment cités, au sein du premier principe directeur],
qu’à borner la compétence du législateur matériellement, et non à la lui
conférer organiquement. On aurait tort de considérer comme une simple
maladresse rédactionnelle l’absence de référence expresse à l’item de l’article 34 des garanties
fondamentales : il suffit, pour s’en convaincre, de comparer avec la décision
récente du Conseil constitutionnel sur la loi relative au renseignement du 23
juillet 2015, dans laquelle ce pan de l’article 34
est utilisé très nettement [consid. n° 2 :
« considérant qu'en vertu de
l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de fixer les
règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour
l'exercice des libertés publiques ; qu'il incombe au législateur d'assurer la
conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et
des infractions, nécessaire à la sauvegarde de droits et de principes de valeur
constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des droits et des libertés
constitutionnellement garantis »]. Il en ressort donc,
non pas que les détenus « bénéficient
des droits et libertés constitutionnellement garantis », auquel cas la
compétence du législateur se fonderait sur l’item des garanties fondamentales de l’article 34, mais, comme il
est précisé dans le second principe directeur, qu’ils « bénéficient des droits et libertés
constitutionnellement garantis dans les limites inhérentes à la détention »,
adaptation du principe en phase avec l’item
du droit pénal employé. Au regard d’un tel positionnement, il ne s’agit plus de
nier le bénéfice des droits et libertés fondamentaux aux détenus, ce que leur
réduction par un standard [en l’espèce, « l'objectif de valeur constitutionnelle de
sauvegarde de l'ordre public ainsi que les finalités qui sont assignées à
l'exécution des peines privatives de liberté »]
ne remettrait pas nécessairement trop en cause, s’il n’était pas aussi large
par rapport à celui qui s’applique aux libertés de la personne libre [pour
reprendre la décision du Conseil constitutionnel sur la loi de renseignement, le
standard usuel de réduction des libertés fondamentales réside dans « la prévention des atteintes à
l'ordre public et des infractions »].
Mais le maintien de l’expression de ces droits et libertés dans la sphère
pénale ne va pas sans accorder une large marge d’appréciation au législateur, celle
de la politique pénale.
Ainsi, le Conseil
constitutionnel, à deux reprises, prend soin, tout en reconnaissant
l’application des droits fondamentaux aux détenus, de relativiser leur
portée de cette manière : les personnes détenues « bénéficient des
droits et libertés constitutionnellement garantis dans les limites inhérentes à
la détention » et il revient au législateur de concilier « d'une
part, l'exercice de ces droits et libertés que la Constitution garantit et,
d'autre part, l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre
public ainsi que les finalités qui sont assignées à l'exécution des peines
privatives de liberté ». Au
standard classique de la sauvegarde de l’ordre public s’ajoute donc celui qui
ressortirait des finalités assignées à l’exécution des peines privative de
liberté [les deux standards figurent bien dans la même
proposition, introduite par « d’autre
part » et sont énoncés ensemble en opposition de l’autre notion
introduite par « d’une part »,
à savoir l’exercice des droits et libertés constitutionnels].
D’une part, on comprend mal la notion d’ordre public, sauf à la définir comme
l’ordre à l’intérieur de l’établissement pénitentiaire, puisque les objectifs
de la peine – à savoir la protection de la société, la punition du condamné,
l'amendement de celui-ci et la préparation de son éventuelle réinsertion –, qui
forment un standard réducteur propre au domaine de l’exécution des peines, sont
de nature à justifier les atteintes aux libertés des détenus, pour empêcher
qu’ils troublent l’ordre à l’extérieur. En tout cas, le maintien de l’ordre à
l’extérieur [l’ordre public] et la préservation de
l’ordre à l’intérieur [l’ordre pénitentiaire]
sont deux premiers objectifs qui justifient la réduction des droits et libertés
des détenus. D’autre part, les objectifs de la peine de nature à favoriser la
reconnaissance de droits et libertés aux détenus, principalement la préparation
à une éventuelle réinsertion, figurent au contraire, dans le second principe
directeur, comme une nouvelle – la troisième – cause de leur réduction ; à
prendre cette formule au pied de la lettre, certaines obligations mises à la
charge des détenus – on pense au travail pénitentiaire forcé –, bien que
contraires à leurs droits et libertés, pourraient donc respecter la
Constitution, à ce qu’elles soient jugées comme favorisant la réinsertion. De
surcroit, il faut encore ajouter un quatrième et dernier standard de réduction
des droits et libertés des détenus, celui encore plus large des « limites inhérentes à la détention »,
qui figure également dans les décisions du Conseil constitutionnel et qui
semble dépasser les autres limites précédemment citées. En effet, les deux
décisions du Conseil constitutionnel sur le travail pénitentiaire se sont
référées à chaque fois à l’article 22 de la loi pénitentiaire, aboutissant
pratiquement à sa constitutionnalisation. Celui-ci reprend le principe de la
reconnaissance des droits et libertés fondamentaux au bénéfice des détenus,
tout en définissant les causes de leur réduction, et la disposition distingue
nettement les « contraintes
inhérentes à la détention » [selon cet article, la
dignité et les droits des détenus peuvent faire l’objet de restrictions « résultant des contraintes inhérentes à la
détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la
prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes »],
notion similaire à celle figurant dans les décisions constitutionnelles [les
« limites inhérentes à la détention »],
des autres causes de réduction, notamment des considérations d’ordre, qu’il
soit public ou pénitentiaire. On s’inquiète qu’une telle cause de réduction
puisse légitimer plus encore la prise en compte, essentiellement par le juge
pénitentiaire [le Conseil constitutionnel reste saisi in abstracto, même si on n’imagine pas
que les considérations concrètes ne puissent également influencer ses décisions],
des difficultés matérielles, rencontrées par le monde pénitentiaire, alors que
l’administration excipe justement régulièrement devant lui des difficultés
financières [on pense ici à l’affaire des
murets de séparation dans les parloirs de Fresnes],
avec succès parfois [v. en particulier, sur la fourniture de
repas confessionnels, domaine dans lequel le juge n’a pas dégagé, « en toute circonstance »,
d’obligation pesant sur l’administration, au regard, notamment, des « contraintes matérielles propres à la gestion
de ces établissements », CE,
25 févr. 2015, n° 375724, X
c. Secrétariat général du gouvernement : AJDA 2015, p. 421, obs. J.-M. Pastor ; JCP A 2015, act., n° 243, obs. É. Langelier
– le resserrement par le Conseil d’État
de l’action en amélioration des conditions matérielles de détention n’est sans
doute pas étranger à ces considérations ; v. notre
tab. ici]. Il est en tout cas peu rigoureux, au regard de la
largesse des cas de réduction des libertés des détenus permis par l’article 22,
de considérer que, notamment par celui-ci, le législateur a suffisamment épuisé
sa compétence d’encadrement des libertés, comme le Conseil constitutionnel l’a
affirmé dans ses décisions sur le travail pénitentiaire [v.
pour la reprise du raisonnement par le Conseil d’État, qui a considéré que par
l’article 22 le législateur avait suffisamment précisé le pouvoir de
l’administration de saisir des écrits de détenus, CE,
24 oct. 2014, n° 369766 : inédit].
Au final, tant sur le plan organique que matériel, on a l’impression que les
exigences du Conseil constitutionnel sur la légalité se calquent sur le contenu
de la législation soumise à son examen, plus qu’elles ne la modèlent.
7.
La constitutionnalisation du juge pénitentiaire.
La consécration dans la jurisprudence constitutionnelle d’une légalité
amoindrie, dans ses aspects organique et matériel, rappelle les errements du
passé, lorsque le droit avait du mal à appréhender les rapports entre
l’administration pénitentiaire et les détenus. Cependant, les progrès ne
doivent pas être occultés, comme la loi pénitentiaire et l’accroissement du
contrôle du juge administratif, doivent-ils être nuancés. Le Conseil
constitutionnel, dans sa décision de septembre 2015 sur le travail
pénitentiaire, a rappelé que l’acte d’engagement était placé « sous le contrôle du juge administratif »
[consid.
n° 11].
Le juge administratif se trouve ainsi constitutionnalisé comme le juge
pénitentiaire, c’est-à-dire le juge chargé du contrôle du respect des droits et
libertés des détenus, et si cette mention conforte la décision du Tribunal des
conflits de confier au juge administratif la compétence des litiges nés du
travail pénitentiaire [Trib.
confl., 14 oct. 2013, n° C3918 : préc. ; v. sur le contentieux
principalement lié à des revendications salariales, J.P. Céré, « Prison : organisation
générale » ; Rép. dr. Pén.,
D., § 176 et s.], elle constitue aussi, plus
généralement, une récompense pour la jurisprudence entreprenante du juge du
Palais Royal. Mais cette constitutionnalisation, tout comme celle de l’article
22 de la loi pénitentiaire qui laisse une grande marge dans son interprétation,
en même temps que la consécration d’une légalité diminuée, menace de laisser
trop souvent au juge administratif un pouvoir quasiment normatif. En tout cas,
celui-ci s’est emparé de l’article 22 de la loi pénitentiaire qu’il vise lorsqu’il
forge le recours en amélioration des conditions matérielles de détention [CE,
réf., 30 juil. 2015, 392043, OIP-SF et Ordres des avocats au barreau de
Nîmes : à paraître au Bulletin]
ou lorsqu’il contrôle la légalité des dispositions réglementaires [v.
sur la réglementation de la communication entre le détenu et son avocat, CE,
25 mars 2015, n° 374401 – v. sur la
réglementation des fouilles, CE,
24 oct. 2014, n° 369766 : inédit – v. sur la suspension des activités collectives, dont
celles cultuelles, lors du placement en cellule disciplinaire, CE,
11 juin 2014, n° 365237, M. B. :
Rec. CE, tables ; AJDA 2014,
p. 1236, obs. C. Biget. ;
D., actu., 18 juin 2014, obs. J.-M. Pastor ; JCP A, act., n° 505, obs.
M. Touzeil-Divina – v. sur le droit disciplinaire, CE,
17 juil. 2013, n° 357405, M. T. c.
garde des Sceaux, ministre de la Justice : préc.
– à chaque fois, l’article 22 a servi à valider les dispositions
litigieuses].
Le pouvoir normatif du
juge administratif a été particulièrement visible à travers la question,
pourtant polémique, de la fourniture de repas confessionnels en prison. En
effet, la loi pénitentiaire n’aborde que succinctement la liberté religieuse,
si ce n’est par un article très similaire à l’article 22 [art.
26 de la loi pénitentiaire : « Les personnes détenues ont droit à la
liberté d'opinion, de conscience et de religion. Elles peuvent exercer le culte
de leur choix, selon les conditions adaptées à l'organisation des lieux, sans
autres limites que celles imposées par la sécurité et le bon ordre de
l'établissement. »], l’encadrement principal étant
l’œuvre du pouvoir réglementaire [pour l’essentiel les
article R.
57-9-3 et s. CPP, mais aussi les dispositions du règlement intérieur figurant
à
l’annexe
de l’art. R. 57-6-18 CPP, et même les dispositions figurant dans la
Note
du 16 juil. 2014 relative à la pratique du culte en détention NOR :
JUSK1440001N]. On voit mal comment il ne pourrait y
avoir ici d’incompétence négative, ou
alors il faudrait admettre que le seul article 22 de la loi pénitentiaire
suffise à épuiser à lui seul la compétence législative pour l’ensemble des
droits et libertés dont profitent les détenus… Toujours
est-il que, sur les fondements des articles presque jumeaux 22 et 26 de la loi
pénitentiaire, le juge administratif a tranché finalement que l’administration
n’avait pas l’obligation « de
garantir, en toute circonstance, une alimentation respectant [les] convictions [des détenus] eu égard à l'objectif d'intérêt général du
maintien du bon ordre des établissements pénitentiaires et aux contraintes
matérielles propres à la gestion de ces établissements » [CE,
25 févr. 2015, n° 375724, X
c. Secrétariat général du gouvernement : préc.], non sans remous au
préalable [Un jugement avait formulé l’injonction à
l’administration pénitentiaire de fournir aux détenus des repas halal ; TA
Grenoble, 7 nov. 2013, JurisData. n° 2013-028112 ; JCP A, act., n° 966, obs. N. Mandin. Le Conseil d’État a accueilli la
demande de suspension du jugement ordonnant l’injonction – CE,
16 juill. 2014, n° 377145, Garde des
Sceaux, Ministre de la justice c/. M. B.: AJDA 2014, p. 2321, comm. P.-H. Prélot – peu de temps avant que la
Cour administrative d’appel ne se prononce, s’assurant ainsi que celle-ci
statue dans le sens de l’annulation du jugement – CAA
Lyon, 22 juill. 2014,
n° 14LY00113 :
AJDA 2014, p. 2321 ; ibid., p. 1524, obs. M.-Ch. de Montecler ; JCP A 2014, n° 2323, obs. F.
Nicoud].
On voit ici finalement comme le défaut de la légalité [particulièrement
prononcé, il est vrai, pour l’encadrement de la liberté religieuse],
contre lequel la jurisprudence constitutionnelle n’est pas vraiment un remède, aboutit
à ce que le juge administratif exerce un pouvoir normatif, compte-tenu des
standards particulièrement larges de réduction des libertés fondamentales qui
sont consacrés en matière pénitentiaire, qui lui offrent une liberté certaine,
confinant à lui octroyer un pouvoir d’opportunité [v.
ci-dessus, n° 6]. À défaut d’une légalité richement
imposée, le contrôle du juge n’est pas non plus un gage suffisant pour assurer
pleinement aux détenus l’exercice de leurs droits et libertés, contrairement,
une nouvelle fois, à ce que soutient le Conseil constitutionnel dans sa
décision de 2015 sur le travail pénitentiaire.
8.
À la recherche de fondements constitutionnels plus adaptés : le droit de
préparer sa réinsertion et la légalité de la privation de liberté. La
formulation des deux principes directeurs est critiquable : elle n’est pas
vraiment claire, est construite de manière alambiquée, se montre imprécise du
fait de l’accumulation de notions floues et brille par sa lourdeur. Elle aboutit
surtout à la consécration d’une légalité affaiblie, dans ses différents
aspects. Il n’empêche que l’étendue de la compétence législative, sur le plan
organique, devrait toujours être la plus large en matière de libertés
fondamentales, pour que le législateur réalise effectivement la conciliation
entre celles-ci et leurs standards de réduction, et non qu’elle se concentre
sur quelques pans, considérés, un peu artificiellement, par le Conseil
constitutionnel comme essentiels, ce qui abandonne au pouvoir réglementaire –
voire au juge administratif – une large compétence normative. Autrement dit, la
légalité elle-même ne devrait subir de réduction par un quelconque standard, ce
qui ne concernerait, logiquement, que les autres droits et libertés
substantiels dont le législateur doit garantie. Pourtant, le bilan de la
légalité en matière d’exécution des peines tend à montrer que c’est bien aussi
la composante organique de la légalité, son champ d’élection, qui est réduit par
considération pour les spécificités carcérales, comme si cet état de la
légalité était « inhérent »
à la détention [v. pour un parallèle, concernant le sort
de la légalité en matière de privation de liberté disciplinaire de droit
militaire, nos
obs. ici].
Une remise à plat, plus
claire et plus protectrice, est nécessaire, et celle-ci doit passer par la
distinction des fondements servant, d’une part, à élargir la légalité organique
et, d’autre part, à renforcer la légalité matérielle. Or, comme la légalité
criminelle, il faut rappeler que la légalité de la privation de liberté
bénéficie d’une base constitutionnelle expresse et spécifique, à l’article 7 de
la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen : « nul homme ne peut être accusé, arrêté ni
détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu'elle a
prescrites ». Celle-ci, constamment occultée [au
point que la manifestation la plus intense de la légalité de la privation de
liberté, tenant dans la censure par le Conseil constitutionnel de
l’emprisonnement contraventionnel prévu par les textes réglementaires, n’a pas
été fondée sur cette disposition ; v. Cons.
const., déc. n° 73-80 L du 28 nov. 1973 ; RDP, 1974, p. 899, obs. J. de Soto ;
AJDA, 1974, p. 229, obs. J. Rivero],
pourrait imposer une vaste étendue de la compétence du législateur dans
l’exécution des peines. À défaut, c’est l’item
des garanties fondamentales de l’article 34 qu’il faudrait employer, pour exiger
une compétence législative plus détaillée, en rapprochant les droits et
libertés des détenus du droit commun de la matière [sur
le plan matériel, la disposition devrait aussi avoir pour effet d’alléger les
standards de réduction des droits et libertés des détenus].
D’autre part, sur le plan matériel, et pour changer de tropisme, c’est-à-dire
d’arrêter de considérer que les droits et libertés fondamentaux qui profitent
au détenu sont ceux de droit commun, nécessairement amoindris, mais plutôt de
créer certains droits fondamentaux nouveaux particuliers aux détenus, agissant positivement
en amélioration de leur situation, il faudrait enfin consacrer
constitutionnellement le droit des détenus de préparer leur réinsertion. Sur le
plan constitutionnel, il n’est actuellement qu’un objectif de la peine
privative de liberté, susceptible de justifier, au surplus, une atteinte aux
droits et libertés des détenus… Ce même droit bénéficie pourtant d’une valeur
supra-légale, à l’article 10 § 3 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques de 1966 : « le
régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel
est leur amendement et leur reclassement social ». Cette dernière
disposition est de plus en plus employée par la jurisprudence européenne, principalement
dans son contrôle de la peine perpétuelle [CEDH, gde ch., 9 juil. 2013, Vinter et
autre c. Royaume-Uni, req. nos 66069/09, 130/10 et 3896/10 : Rec. CEDH, 2013 ; D., actu., 12 juil. 2013,
obs. M. Léna ; ibid.,
2013, p. 2081, note J.‑F.Renucci ; ibid.,
p. 2713, chron. G. Roujou de Boubée ; ibid.,
2014, p. 1235, chron. J.-P. Céré ;RFDA,
2014, p. 538, chron. L. Labayle ; AJP,
2013, p. 494, obs. D. van Zyl Smit ; RSC,
2013, p. 625, chron. P.
Poncela ; ibid., p. 649, obs. D. Roets ; Dr. pénal,
2013, comm. n° 165, obs. É.
Bonis-Garçon ; ibid., 2014, chron. n°3, obs. V. Peltier ; ibid.,
chron. n° 4, chron. E. Dreyer ; JCP,
2014, n° 970, obs. L. Milano ; ibid.,
2013, n° 918, obs. F. Sudre ;
§ 145 – CEDH,
sect. IV, 18 sept. 2012, James, Wells et
Lee c. Royaume-Uni, req. nos 25119/09, 57715/09, 57877/09 et
18/09/2012, en angl. : D.,
actu., 8 oct. 2012, obs. O. Bachelet
; Dr. pénal, 2013, n° 4, chron. E. Dreyer ; § 208 – Khroshenko : préc. ; nos obs. ; § 145].
Sur le plan interne, la disposition a un succès relatif devant le juge administratif,
qui l’a intégrée dans son contrôle de la conventionnalité des dispositions
réglementaires de l’isolement pénitentiaire à titre de mesure de sûreté [CE,
sect., 31 oct. 2008, Sect. fr. OIP, n° 293785 : Rec.
CE, p. 374 ; RFDA, 2009, p. 73, concl. M. Guyomar ; D.,
2009, p. 134, note M. Herzog‑Evans ; Gaz. Pal.,
13 déc. 2008, p. 33, note M. Guyomar ; AJDA,
2008, p. 2389, chron. É. Geffray et S.-J. Liéber ; AJP,
2008, p. 500, obs. É. Péchillon ; Dr.
admin., 2009, comm. n° 10, note F.
Melleray] ou à titre disciplinaire [CE,
26 juin 2015, n° 375133 : inédit],
mais qui refuse de reconnaître dans ce fondement une liberté fondamentale
pouvant supporter un référé-liberté [CE,
15 juil. 2010, Puci c. min. Justice, n° 340313 : inédit– CE,
13 nov. 2013, n° 338720 : Rec. CE, T.].
Quand au Tribunal des conflits, il s’est aussi référé à « la préparation à la réinsertion du condamné », sans préciser plus
ses fondements ou sa nature, pour établir que le rapport de travail entre le
détenu et une entreprise concessionnaire privée relève du droit public [Trib.
confl., 14 oct. 2013, n° C3918 : préc.].
En particulier, pour le travail pénitentiaire, la transformation de l’objectif
constitutionnel de préparation à la réinsertion en un véritable droit, qui
s’inscrirait dans le mouvement plus global de prise en compte croissante de ces
considérations par les juridictions, permettrait de construire un statut, par
définition, propre aux réalités carcérales, et donc dérogatoire au droit commun,
sans trop s’attacher aux différents standards réducteurs précédemment décrits,
ce qui devrait générer une protection supérieure à celle assurée par le droit
positif.
L’avenir ?
9.
Les résurgences du passé : attendre le temps de la réforme. L’analyse
de la jurisprudence constitutionnelle en matière de la légalité de l’exécution
des peines met en évidence des résurgences du passé : la législation
encadrant le travail pénitentiaire a été de nouveau validée en 2015, après une
première décision de 2013, et, ce qui est sans doute plus inquiétant, la
vigueur relative de la légalité, sur le plan organique et matériel, entrave
toujours le plein essor des droits et libertés des détenus, face à
l’administration pénitentiaire, même s’ils n’en sont plus totalement évincés. S’agissant
plus précisément du travail pénitentiaire, dont le traitement apparaît conforme
aux principes réglant de manière générale l’exécution des peines, il existe
assurément un consensus des acteurs juridiques pour améliorer le statut du
détenu-travailleur, qui s’est exprimé autour ou avec la décision rendue
par le Conseil constitutionnel en 2015 : le monde universitaire s’est réuni
autour d’une
pétition pour le réclamer, le Conseil d’État a accepté de
renvoyer une nouvelle question de constitutionnalité peu de temps après la
validation – qu’on pouvait déjà considérer comme générale – de 2013, et le Conseil
constitutionnel a répété dans sa décision, comme il l’avait déjà écrit en 2013,
« qu'il est loisible au législateur
de modifier les dispositions relatives au travail des personnes incarcérées
afin de renforcer la protection de leurs droits » [déc.
n° 2015-485 QPC du 25 sept. 2015 : préc. ;
consid. n° 11]. Dans ces conditions, le choix du Conseil constitutionnel
d’inciter à une réforme, plutôt que de la forcer, interroge. Il illustre en
réalité une nouvelle résurgence du passé : la réforme de la prison vers
l’accroissement des droits des détenus est difficile à provoquer, en dehors de
fenêtres ouvertes au gré de circonstances particulières, qui placent la
situation des détenus au cœur du débat public. Récemment, on se souviendra de
la parution du livre de Véronique Vasseur, « Médecin-chef à la prison de la
Santé », en 2000, qui a entrainé deux rapports
parlementaires alarmants sur la situation des prisons et initié l’avènement de
la loi pénitentiaire, pourtant achevée seulement en 2009. Si on le regrettera,
l’air du temps n’est pas encore à une réforme du travail pénitentiaire, qui
apparaît d’ores et déjà comme inévitable.
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