Le mouvement général de
la hausse du contrôle du juge administratif sur la sanction est connu, qu’il aboutisse
au basculement d’un pan de la matière dans le plein contentieux [v. pour la
sanction administrative prise à l’encontre d’un administré, CE,
ass., 16 févr. 2009, Société
Atom, n° 274000 : Rec. CE, p. 26
; AJDA, 2009, p. 583, chron. S.-J. Lieber et D. Botteghi ; AJP, 2009, p. 189, obs. É. Péchillon ; RFDA,
2009, p. 259, concl. C. Legras ;
ibid., 2012, p. 257, comm. J. Martinez‑Mehlinger ; Constitutions, 2010, p. 115, obs. O. Le Bot] ou, tout en maintenant le
contentieux dans le domaine du recours en excès de pouvoir, à l’abandon du
contrôle restreint, celui cantonné à l’erreur manifeste d’appréciation [v. pour
la sanction administrative prise à l’encontre d’un agent public, CE, ass., 13 nov. 2013, Dahan,
n° 347704 : Rec.
CE – v. avant même l’arrêt Dahan pour la progression du contrôle
normal en matière disciplinaire, M. Canedo-Paris,
« Feu l'arrêt Lebon ? » ; AJDA, 2010, p. 921]. La
sanction pénitentiaire a d’abord échappé à ce mouvement, le recours pour excès
de pouvoir aboutissant encore à un contrôle de la disproportion manifeste de la
sanction par rapport à la nature et à la gravité des faits [CE, 20 mai 2011, Letona Biteri, n° 326084 : Rec. CE, p. 246 ; AJP, 2012,
p. 177, obs. M. Herzog‑Evans ;
AJDA, 2011, p. 1056, obs. R. Grand
– v. M. Moliner‑Dubost,
« À propos d'une autre "jurisprudence immobile" : le
contentieux des sanctions disciplinaires infligées aux détenus » ; AJDA,
2013, p. 1380], l’exception pénitentiaire persistant jusqu’alors. En
reprenant directement le considérant tiré de l’arrêt Dahan, adapté au
cas du détenu, le Conseil d’État vient donc de dénier que la spécificité
carcérale justifie un contrôle limité à l’erreur manifeste d’appréciation et
vient de reconnaître, aussi dans la matière, l’application du contrôle normal :
« il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce
sens, de rechercher si les faits reprochés à un détenu ayant fait l'objet d'une
sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une
sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes »
[CE,1er juin 2015, Boromée c. Min.justice, n° 380449 : Rec.
CE]. Si en l’espèce, le
détenu avait été sanctionné par le placement en cellule disciplinaire, l’apport
ne se cantonne pas à cette seule sanction. En revanche, le contrôle tel
qu’énoncé ici reste limité, la disproportion s’appréciant uniquement, au regard
de la formule, à la gravité des fautes, la personnalité du détenu n’entrant pas
en ligne de compte.
Un carnet de recherches. Ce blog a vocation à diffuser des informations juridiques glanées au cours de mon travail de veille, à réaliser de la vulgarisation, à introduire les axes de mes recherches ou encore à participer à la mise à jour de mes travaux précédents dans le domaine de la privation de liberté. Ce blog juridique est bien un carnet de recherches et son contenu un simple complément à mes quelques "travaux académiques".
mercredi 10 juin 2015
[obs.] Hausse du contrôle du juge administratif de la sanction de placement en cellule disciplinaire [CE, 1er juin 2015, Boromée c. Min. justice, n° 380449 : Rec. CE]
Libellés :
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vendredi 5 juin 2015
[obs.] Motivation de la peine privative de liberté et procès équitable [CEDH, sect. II, 26 mai 2015, Lhermitte c. Belgique, req. n° 34238/09]
Motivation
du verdict et procès équitable
La compatibilité entre
la motivation des arrêts de la Cour d’assises par le système des questions et
le procès équitable a été vivement remise en cause par la Cour européenne des
droits de l’Homme [CEDH,
sect. II, 13 janv. 2009, Taxquet c.
Belgique, req. 926/05 ;
RSC, 2009, p. 657, obs. J.‑P. Marguénaud ; D., 2009, p. 1058, note J.-F. Renucci ; ibid., p. 2545, obs. K. Gachi ; RFDA, 2009, p. 677, comm. L. Berthier
et A.-B. Caire ; JCP, 2009, actu., n° 200, obs. M.-L. Rassat ; Gaz. Pal., 14 mai 2009, p. 11, note F. Desprez ; Procédures, 2009, comm. n° 172, obs. J. Buisson], avant que la Grande chambre ne recule – ou ne trouve
une position médiane plus acceptable, selon les opinions –, en refusant de
considérer, par principe, le système de la motivation par questions inconventionnel
[CEDH,
gde ch., 16 nov. 2010, Taxquet c. Belgique,
req. n° 926/05 ; RSC, obs. J.‑P. Marguénaud ;
D., 2011, p. 47, obs. O. Bachelet ; ibid., note J. Pradel ; ibid.,
note J.-F. Renucci ; AJP, 2011, p. 35, obs. C. Renaud-Duparc]. L’arrêt de
Grande chambre n’en a pas moins posé le principe que « le public et, au premier chef, l’accusé
doivent être à même de comprendre le verdict qui a été rendu » [ibid.; § 90]. Ainsi, la motivation par
des questions suffisamment précises et nombreuses pour établir les
circonstances de la commission des infractions, concernant des faits simples et
n’impliquant qu’un seul accusé, a été jugée suffisante [CEDH,
sect. V, 10 janv. 2013, Legillon c.
France, req. n° 53406/10 – v. contra pour le refus de considérer que
la seule question posée sans référence « à aucune circonstance concrète et particulière » puisse « permettre au requérant de comprendre le
verdict de condamnation », CEDH,
sect. V, 10 janv. 2013, Oulahcene c.
France, req. n° 44446/10 ;
§ 53]. En cas d’élément de complication, par exemple de pluralité d’accusés,
l’ordonnance de mise en accusation peut également servir d’élément de
compréhension [CEDH,
sect. V, 10 janv. 2013, Voica c. France,
req. n° 60995/09]. Les questions et l’ordonnance de
mise en accusation ne suffisent plus toutefois en présence de certains éléments
compliquant trop la compréhension, par exemple lorsque l’accusé est condamné
après un premier acquittement, si bien que, même si la Cour ne l’impose pas
expressément, un exposé des principaux motifs retenus pour établir la
culpabilité apparaît indispensable [CEDH,
sect. V, 10 janv. 2013, Fraumens c.
France, req. n° 30010/10 – CEDH,
sect. V, 10 janv. 2013, Agnelet
c. France, req. n° 61198/08]. Dès lors, si l’on
peut sans doute dégager l’existence d’un principe de motivation des verdicts de
Cour d’assises, celui-ci peut encore être satisfait par la forme minimale des
questions, des lors que des éléments extrinsèques peuvent permettre à l’accusé
d’en compléter la compréhension.
Si les différentes
solutions européennes montrent une souplesse certaine [v. pour les commentaires
des arrêts du 10 janvier 2013, D.,
2013, p. 615, note J.‑F. Renucci ;
RSC, 2013, p. 158, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid., p. 112, note J. Danet], ces arrêts n’ont pas abordé frontalement
la question de la fixation de la peine. Malgré la formulation large de l’arrêt Taxquet [il se réfère à la notion de « verdict », qui inclut déclaration
de culpabilité et fixation de la peine ; Taxquet, gde ch. : préc. ;
§ 90], la Cour a principalement évoqué le cas de coaccusés sanctionnés
distinctement : le condamné doit pouvoir « déterminer quels avaient été les éléments qui avaient permis au jury de
conclure que [certains] avaient eu
une participation limitée dans les faits reprochés, entraînant une peine moins
lourde » [Taxquet, gde ch. : préc. ; § 97] ou encore, à la suite d’un
appel, il ne doit pas « ignorer la
raison pour laquelle sa peine, prononcée en fonction des responsabilités respectives
de chacun des coaccusés, a pu être successivement inférieure et supérieure à
celle de son coaccusé » [Voica :
préc. ; § 52]. Mais la
motivation exigée se rapporte d’abord à la gravité des faits, la Cour
envisageant surtout que les différences entre les peines prononcées traduisent la
différence de degrés d’implication ou de responsabilité des coaccusés. La
modification du droit français, qui a suivi, pour introduire la motivation des
arrêts de Cour d’assises [art. 365‑1
CPP],
n’exige pas non plus du juge des explications quant à la fixation de la peine
[selon la disposition précitée, « la
motivation consiste dans l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour
chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises »],
et les nouveaux principes ont été accueillis avec bienveillance par la Cour
européenne des droits de l’Homme [v. les différents arrêts rendus contre la
France le 10 janvier 2013, par ex. Legillon :
préc. ; § 68]. La Chambre
criminelle a encore récemment validé le défaut de motivation de la peine dans
les arrêts de Cour d’assises [Cass.
crim., 18 févr. 2015, n° 14‑82.487 : inédit ; « l'absence
de motivation des peines prononcées par les cours d'assises, qui s'explique par
l'exigence d'un vote, n'est pas contraire aux [articles 6 de la Convention
européenne des droits de l'homme, 132-23 et 132-24 du code pénal, 591 et 593 du
code de procédure pénale, ni ne viole ensemble les droits de la défense et le
principe de la personnalisation de la peine] »].
Pourtant, l’intime
conviction, qui s’opposerait à la motivation de l’établissement de la
culpabilité, ne concerne pas la fixation de la peine. Et le recours au vote,
avancé par la Chambre criminelle, n’est une justification guère suffisante de
l’absence de motivation sur la peine : « la Cour d’assises délibère […]
sur l’application des peines » avant de procéder au vote [art.
362 CPP], de la même manière que « la Cour et le jury délibèrent, puis votent »
sur les questions liées à la culpabilité [art.
356 CPP], si bien qu’on comprend mal comment le même
procédé permettrait, pour la culpabilité, la rédaction de la feuille de
motivation imposée par la loi et empêcherait, pour la fixation de la peine, toute
explication. De même, l’exigence d’une « décision spéciale » permettant à la Cour d’assises d’allonger
la période de sûreté, imposée à l’article
132-23 du Code pénal, n’a jamais été interprétée comme
imposant une obligation de motivation, malgré la sévérité de la mesure [Cass.
crim., 7 nov. 2007, n° 07‑82.382 : inédit
– Cass.
crim., 23 oct. 2013, n° 12‑88.285 : inédit : « attendu qu'aucune
disposition légale n'impose à la cour d'assises, dont les délibérations sont
régies par le seul article 362 du code de procédure pénale, de motiver la
décision spéciale par laquelle elle porte aux deux tiers de la peine la durée
de la période de sûreté assortissant celle-ci, en application de l'article 132‑23
du code pénal »]. Paradoxalement, la courte peine privative de liberté doit
être motivée [v. l’art.
132-19 du Code pénal, dont les très nombreuses modifications,
cependant, rappellent l’échec constant], à la différence des peines de même
nature les plus lourdes. En réalité, le contrôle par la Cour de cassation de la
motivation de l’emprisonnement est filant, alternant contrôle plus rigoureux et
exigence minimale [v. nos obs. ici
ou notre chr.,
n° 68 et s.]. Il en ressort globalement que la détermination de
la culpabilité, parce qu’elle permet d’établir la matérialité des faits et leur
gravité, suffit en grande partie à justifier la nature et le quantum de la peine prononcée.
C’est, dans cet état du
droit, que l’arrêt Lhermitte [CEDH,
sect. II, 26 mai 2015, Lhermitte c. Belgique,
req. n° 34238/09] réalise un apport, s’agissant du
contrôle de la motivation de la condamnation, pour une requérante qui avait
égorgé ses cinq enfants et avait été condamnée à la réclusion à perpétuité par
la Cour d’assises belge. Quant au contrôle européen réalisé en l’espèce de la
motivation de la culpabilité, notamment s’agissant de la mise à l’écart de
l’irresponsabilité pénale malgré l’existence d’expertises militant en ce sens,
nous nous contenterons de renvoyer à l’opinion dissidente commune aux juges SAjo, Keller et Kjolbro, dont l’exposé simple et limpide pointe justement, il
nous semble, les faiblesses du raisonnement européen. Mais la Cour européenne
des droits de l’Homme était aussi saisie directement de la critique de la
motivation insuffisante de la fixation de la peine [ibid., § 25 : « la
requérante fait valoir que le verdict du jury ainsi que l’arrêt de la cour
d’assises n’étaient pas motivés quant à sa culpabilité et quant à la
détermination de la peine »], et elle a accepté d’en réaliser le
contrôle sur le fondement de l’article 6 [« par ailleurs, s’agissant spécifiquement de la fixation de la peine, la
Cour note que l’arrêt de la cour d’assises était dûment motivé sur ce point et
qu’il ne comporte aucune apparence d’arbitraire » [ibid., § 33] : il en ressort
que l’accusé doit disposer « de
garanties suffisantes lui permettant de comprendre le verdict de condamnation
ainsi que la peine qui ont été prononcés à son encontre » [ibid., § 34]. Cet arrêt nous donne
l’occasion de revenir sur les liens particuliers entre le procès équitable et
la peine privative de liberté. Nous évoquerons ensuite plus particulièrement
son apport nous intéressant, concernant la motivation de la peine privative de
liberté, afin notamment d’identifier les exigences que la Cour européenne des
droits de l’Homme pourrait imposer pour permettre à l’accusé de comprendre les
motifs ayant conduit à la fixation de sa peine.
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