dimanche 25 février 2018

[obs.] La détention du condamné mourant [CEDH, sect. IV, 28 nov. 2017, Dorneanu c. Roumanie, req. n° 55089/13]



1. La libération humanitaire du détenu à l’état de santé incomptable. Dans l’arrêt Mouisel [CEDH, 14 nov. 2002, Mouisel c. France, req. n° 67263/01 : Rec. CEDH, 2002-IX ; LPA, 19 juin 2003, p. 15, comm. H. TIGROUDJA ; ibid., 16 juil. 2003, p. 13, comm. D. ROETS ; D., 2003, p. 524, obs. J. F. RENUCCI ; ibid., p. 303, note H. MOUTOUH ; ibid., p. 919, chron. J.-P. CÉRÉ ; RSC, 2003, p. 144, chron. F. MASSIAS ; AJDA, 2003, p. 603, chron. J.-F. FLAUSS] la Cour européenne des droits de l’Homme a sanctionné le « maintien » en détention, malgré l’état de santé incompatible, du requérant, ce qui revenait à reconnaître l’existence d’un droit à la libération pour des motifs humanitaires. La jurisprudence européenne n’a d’ailleurs pas tardé à formuler expressément ce droit à la libération, à la suite de l’arrêt Mouisel [CEDH, sect. IV, 7 juil. 2009, Grori c. Albanie, req. n° 25336/04, en angl. ; § 126 : « in exceptional cases, where the state of a detainee’s health is absolutely incompatible with detention, Article 3 may require the release of such a person under certain conditions »]. A lire l’arrêt Mouisel, ce droit à la libération promettait d’être large : « l’état de santé, l’âge et un lourd handicap physique constituent désormais des situations pour lesquelles la capacité à la détention est aujourd’hui posée au regard de l’article 3 de la Convention en France » [Mousiel, § 38]. L’article 3 offre donc aux détenus, un droit à la libération, en cas d’état de santé incompatible, ou un droit à l’amélioration de la prise en charge médicale, si celle-ci est insuffisante, sans pour état que l’état de santé soit incompatible [v. pour une synthèse de ces différentes exigences dans laquelle la Cour fait œuvre de pédagogie dans la formulation des principes applicables, et les distinctions entre le droit à la libération et le droit à l’obtention d’un meilleur traitement médical, CEDH, sect. II, Ürfi Cetinkaya c. Turquie, req. n° 19866/04 ; § 87 et s.]. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme ultérieure à préciser les contours de ce droit à la libération, limité par trois conditions [CEDH, 15 janv. 2004, Sakkopoulos c. Grèce, req. n° 61828/00 : § 39] : : il faut « tenir compte, notamment, de trois éléments afin d’examiner la compatibilité d’un état de santé préoccupant avec le maintien en détention du requérant : (a) la condition du détenu, (b) la qualité des soins dispensés et (c) l’opportunité de maintenir la détention au vu de l’état de santé du requérant ». Par « la condition du détenu », la Cour vise son état de santé, qui doit présenter une gravité « exceptionnelle » [CEDH, sect. I, 12 juin 2008, Kotsaftis c. Grèce, req. n° 39780/06, § 49 : « s'agissant en particulier de personnes privées de liberté, la Cour souligne que dans un État de droit la capacité à subir une détention est la condition pour que l'exécution de la peine puisse être poursuivie », si bien que « dans des cas "exceptionnels" où l'état de santé du détenu est "absolument incompatible" avec sa détention, l'article 3 peut exiger la libération de la personne concernée sous certaines conditions »]. La Cour reprend par ailleurs un critère déjà dégagé par la Commission et repris déjà par l’arrêt Papon [CEDH, sect. I, 25 juil. 2002, Papon c. France, req. n° 54210/00] de la « qualité des soins en détention ». Enfin, la Cour consacre le critère de « l’opportunité de maintenir en détention », ce qui oblige à tenir compte des risques de récidive.