1. Les temps modernes. À
imaginer que le plus fin connaisseur de la jurisprudence de la Cour de
cassation serait tombé dans le coma au début des années 2000, celui-ci n’en
aurait surement pas cru ses yeux quand, tout récemment éveillé, il se serait
mis à lire l’arrêt rendu par la Chambre criminelle le 8 juillet 2020 [n°
20-81.739], lequel dispose, notamment, que « dans le cas où la
chambre de l’instruction constate une atteinte au principe de dignité à
laquelle il n’a pas entre-temps été remédié, elle doit ordonner la mise en
liberté de la personne ». Et cela tant en raison de la solution qu’en
raison des procédés employés par la Chambre criminelle pour aboutir à cette solution.
A contrario, il ressort
également de l’arrêt qu’« une […] atteinte à la dignité de la
personne en raison des conditions de détention [peut] constituer un
obstacle légal au placement ou au maintien en détention provisoire ». La
Chambre criminelle ouvre donc tout simplement un nouveau cas de mise en
liberté. La solution est remarquable : elle consacre, au moins en matière
de détention provisoire, le droit de la personne privée de liberté à être
libérer en cas de conditions matérielles de détention irrémédiablement indignes,
et ce indépendamment de toute circonstance liée à sa personne, comme par
exemple son état de santé, mais par référence uniquement aux conditions
matérielles dégradées par la surpopulation ou encore la vétusté.
Il s’agit d’abord d’un
spectaculaire revirement de jurisprudence puisque
très récemment encore et dans un arrêt destiné à être publié, la Chambre
criminelle avait fermement décidé « qu’une éventuelle atteinte à la
dignité de la personne en raison des conditions de détention, si elle est
susceptible d’engager la responsabilité de la puissance publique en raison du
mauvais fonctionnement du service public, ne saurait constituer un obstacle
légal au placement et maintien en détention provisoire » [Cass.
crim., 18 sept. 2019, n° 19-83.950]. Il s’agit tout simplement
d’un changement de tropisme, tant il était ancré que la manière dont
s’exécutait la privation de liberté n’était pas une condition de sa légalité
sanctionnée par la libération [v. pour la détention provisoire Cass.
crim., 8 nov. 1988, n° 88-85.185 : « les conditions matérielles dans
lesquelles s'exécute la détention et qui seraient contraires aux
recommandations des conventions internationales échappent à la compétence de la
chambre d'accusation ». – Cass.
crim., 27 janv. 1998, n° 97-86.014 : « la personne mise en examen
[est] irrecevable à critiquer ses conditions de détention à l'occasion d'une
demande de mise en liberté [alors que] celles-ci sont étrangères aux
prévisions de l'article 144 du Code de procédure pénale ». – Cass.
crim., 13 avr. 1999, n° 99-80.481. – Cass.
crim., 29 fév. 2012, n° 11-88.441 : Bull. crim., n° 58 ; AJP,
2012. 471, note E. Senna ; RSC,
2013. 879, obs. X. Salvat ; Gaz.
Pal., 19 juil. 2012. 17, avis G. Lacan], sauf
incapacité à la détention, par exemple pour le détenu gravement malade ou
mourant.