Le collège a refusé, le
14 septembre 2015, de saisir la Grande chambre de l’affaire A. T. c. Luxembourg [CEDH,
sect. V, 9 avr. 2015, A. T. c. Luxembourg, req. n° 30460/13 ;
v. notre comm. ici],
rendant de ce fait l’arrêt de Section définitif [au cours de la
même séance, le collège a accepté de renvoyer devant la Grande chambre l’affaire
Lhermitte ; v. notre
comm. de l’arrêt de Section sur la question de la motivation de la peine de
réclusion criminelle]. Pourtant, celui-ci a – volontairement ou non – adopté un
raisonnement propice à l’examen de la Grande chambre sur la question de l’accès
de l’avocat du suspect au dossier pendant la garde à vue. En effet, si la Section
a semblé poser un principe général – « l’article 6 de la Convention ne
saurait être interprété comme garantissant un accès illimité au dossier pénal
dès avant le premier interrogatoire par le juge d’instruction, lorsque les
autorités nationales disposent de raisons relatives à la protection des
intérêts de la justice suffisantes pour ne pas mettre en échec l’efficacité des
investigations » ; ibid., § 81 –, cette contribution résonne
plutôt comme une proposition, puisque la Cour n’a pas véritablement appliqué aux
faits d’espèce le principe fraichement forgé. Autant dire qu’un arrêt de la Grande
chambre était utile, non seulement pour valider ou amender le principe ainsi
proposé, mais aussi, dans le premier cas, pour fixer les rudiments de son application,
l’arrêt de Section étant sur ce point muet.
L’ambiguïté laissée par
l’arrêt A. T. demeure donc. Les
optimistes – si l’on défend l’accès de l’avocat au dossier dès la garde à vue –
pourront soutenir que le principe se trouve implicitement validé et qu’il reste
désormais à la jurisprudence, dans son dynamisme et son œuvre créatrice, d’en
dresser les limites. Mais des principes aux allures de coquilles vides, il en
existe dans la jurisprudence européenne, en matière des droits du gardé à vue [faut-il
rappeler l’incidente de l’arrêt Dayanan,
encore citée par l’arrêt A. T., qui
en opère pourtant la réduction], et ailleurs dans le droit de la privation de
liberté [v. par exemple pour le contrôle du quantum
manifestement disproportionné de la peine privative de liberté, qui, nous
semble‑t-il, n’a pas encore fondé de condamnation, CEDH,
gde ch., 9 juil. 2013, Vinter et autre c. Royaume-Uni, req. nos 66069/09,
130/10 et 3896/10].
En tout cas, il n’en
reste pas moins, qu’au regard des conditions autorisant le renvoi de l’affaire
devant Grande chambre, le problème de l’accès au dossier de l’avocat du suspect
pendant la garde à vue, au cœur de l’arrêt de Section, ne soulève pas « une question grave relative à
l'interprétation ou à l'application de la Convention ou de ses protocoles, ou
encore une question grave de caractère général » [art. 43 CEDH]. Dès
lors, le rejet du renvoi comme l’analyse approfondie de l’arrêt de Section [v.
notre comm. préc. ; pour le reste, nous nous contenterons de rappeler que
l’arrêt de Section a procédé à la relativisation de l’arrêt Sapan,
précédent de la Cour le plus en faveur d’un large accès au dossier de l’avocat
du suspect pendant la garde à vue] se combinent et établissent
qu’en l’état, la question des droits de la défense du suspect en garde à vue n’est
plus un front en pointe dans la jurisprudence européenne [v.
pour la question du suspect entendu librement, dont l’état de la jurisprudence
européenne est aussi décevant, CEDH,
sect. II, 16 juin 2015, Schmid-Laffer c. Suisse, req. n°
41269/08 : notre comm. ici].
À condition qu’une telle
évolution ne serve pas au Collège, insidieusement, à se substituer à la Grande
chambre, l’invitation faite à la Cour, à l’issue de la Conférence de
haut-niveau de Bruxelles, de motiver « de
manière brève » la décision de refus de renvoi du Collège [v. la Déclaration
de Bruxelles du 27 mars 2015, p. 4] semble bienvenue, pour clarifier les principes
guidant son adoption et mieux cerner sa portée, qui, comme dans notre cas, n’est
pas toujours exempte d’ambivalence [le sens d’une décision de refus de renvoyer soulève
également des interrogations, lorsqu’un arrêt de section formule un apport si
important qu’il est digne de confirmation par la Grande chambre ; l’on
songe ici, par exemple, à l’arrêt Shcherbina,
qui a réalisé une avancée importante vers la généralisation de l’Habeas corpus européen – v. notre comm. ici
–, mais dont le renvoi devant la Grande chambre a été rejeté, alors que le même
arrêt a fait l’objet, par ailleurs, d’une mention au rapport
annuel].
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