1.
Une hausse du seuil ? Différents sites d’information en
ligne, visiblement sur la base d’une dépêche AFP [v. par ex. ici
ou ici,
les sites étant mentionnés comme auteurs avec l’AFP], avec parfois un titrage
fort [par ex. La surpopulation en prison
n’enfreint pas nécessairement les droits humains], ont fait état d’un arrêt
récent de la Cour européenne des droits de l’Homme [CEDH,
sect. I, 12 mars 2015, Mursic c. Croatie,
n° 7334/13, en angl.], reprenant peu ou prou les mêmes
extraits, tirés du communiqué de presse [l’arrêt n’existe qu’en anglais] :
on apprend dans ces articles que la Cour a précisé le principe selon lequel « s'il
existe une forte présomption de traitement inhumain ou dégradant (...)
lorsqu'un détenu dispose de moins de trois mètres carrés d'espace
personnel », cet état peut « être compensé par les
aspects cumulés des conditions de détention, tels que la liberté de circulation
et le caractère approprié » de l'établissement pénitentiaire.
Une telle présentation
laisse craindre une inflexion du contrôle de la Cour européenne des droits de
l’Homme en la matière, alors que la surpopulation est un critère qui gagnait en
autonomie dans le contrôle de la dignité des conditions matérielles de
détention [v. pour la détention en cellule, nos obs. ici
ou notre
chron., n° 29 ; v. par assimilation, pour le contrôle
du transport des prisonniers, notre
chron., n° 38]. L’existence d’une évolution de la
jurisprudence européenne est d’ailleurs confortée par le titrage du communiqué
de presse de la Cour signalant l’arrêt [Principes
généraux sur le surpeuplement carcéral], comme par son contenu [« l’arrêt mérite d’être noté en ce qu’il
réaffirme les principes généraux sur la question du surpeuplement carcéral et
précise la jurisprudence de la Cour à cet égard »], et si l’arrêt
bénéficie d’un niveau d’importance relatif [niveau 2], il a déjà été intégré
dans la fiche
thématique réalisée par le service de presse de la Cour européenne des droits
de l’Homme sur les conditions de détention et traitement des détenus,
au titre de l’apport de la compensation de
la surpopulation. Si la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’Homme sur le contrôle de la dignité des conditions de détention est
emblématique, elle grève aussi l’action de la Cour du fait d’un contentieux
massif. À confirmer l’existence de la hausse
du seuil servant à l’établissement d’un mauvais traitement en la matière, elle
pourrait faire montre d’un certain désengagement de la Cour quant à la voie
contentieuse classique, alors que celle-ci développe un nouveau front contre la
surpopulation et recherche des solutions plus négociées, par le recours à l’arrêt-pilote [v. pour un nouvel
arrêt-pilote dans ce domaine pris récemment, CEDH,
sect. II, 10 mars 2015, Varga et autres c. Bulgarie, req. nos 14097/12,
45135/12 et 73712/12, en angl. ; § 145 et s. ; v. nos
obs. ici].
Il y a dans l’arrêt Mursic, en tout cas, une volonté de la
Cour de réaliser une synthèse de sa jurisprudence en la matière, plus détaillée
et mieux organisée que le rappel des principes généraux usuel, allant même
jusqu’à dresser les conditions abstraites de la violation de la Convention,
concernant le cas du détenu en cellule collective surpeuplée [Mursic : préc. ; § 48 et s.]. Pour reprendre des questions intéressant
le contrôle de la privation de liberté, d’autres synthèses similaires peuvent
être citées, certaines abordant des points cruciaux du contrôle européen, par
exemple l’arrêt Saadi concernant le
contrôle européen du bien-fondé de la détention [CEDH,
gde ch., 29 janv. 2008, Saadi c.
Royaume-Uni, req. n° 13229/03 : Rec. CEDH ; AJDA, 2008, p. 978, chron. J.‑F. Flauss],
l’arrêt Medvedyev concernant les
critères de qualification de l’Habeas
corpus de l’article 5 § 3 [CEDH,
gde ch., 29 mars 2010, Medvedyev et
autres c. France, req. n° 3394/03 :
Rec. CEDH, 2010 ; D., 2010, p. 1386, obs. S. Lavric ; ibidem, p. 1390, note P. Hennion‑Jacquet ;
ibid., p. 1386, note J.-F. Renucci ; ibid., p. 952, entretien P. Spinosi ; ibid., p. 970, obs. D.
Rebut ; AJDA, 2010,
p. 648, obs. S. Brondel ;
RSC, 2010, p. 685, obs. J.‑P. Marguénaud] ou précédemment,
pour la dignité des conditions matérielles de détention, les arrêts Ananyev [CEDH,
sect. I, 10 janv. 2012, Ananyev et autres
c. Russie, req. nos 42525/07 et 60800/08, en angl.] et Torreggiani [CEDH,
sect. II, 8 janv. 2013, Torreggiani
et autres c. Italie, req. nos 43517/09,
35315/10, 37818/10 : AJP, 2013, p. 361, obs. É. Péchillon ; Gaz. Pal., 12 mars 2013, p. 16,
comm. É. Senna ; JCP, 2013, n° 319, note F. Laffaille ; § 65 et s.], et
d’autres abordant des points plus spécialisés de la protection européenne,
comme l’arrêt Sakkopoulos concernant
le droit à la libération du détenu à l’état de santé incompatible [CEDH, sect. I,15 janv. 2004, Sakkopoulos c. Grèce,
req. n° 61828/00 : § 36 et s.]. Si l’œuvre de
pédagogie est louable, la genèse et les ressorts de l’adoption de tels arrêts
interrogent malgré tout, alors qu’ils apparaissent de nature à tenir un rôle
important dans la construction de la jurisprudence européenne, sans qu’on n’en
connaisse véritablement tous les aboutissants. Tous ne semblent pas vraiment
réaliser un apport à la jurisprudence ainsi rationnalisée [v. par ex. Medvedyev, mis à part l’intérêt de
l’arrêt quant au droit français]. Et si l’arrêt Mursic porte bien une clarification dans la jurisprudence
européenne, la retranscription faite par l’arrêt de la jurisprudence
préexistante n’est pas exempte de reproches.
Toujours est-il que les premiers principes généraux rappelés dans l’arrêt Mursic sont classiques, pour évoquer les
obligations positives mises à la charge de l’État envers le détenu [§ 50] ou
l’appréciation par « effets
cumulatifs » du dépassement du seuil de souffrance et d’humiliation
déclenchant la violation de l’article 3 [§ 51 ; v. une illustration ici
ou notre chron.,
n° 39].