jeudi 31 juillet 2014

[obs.] Un pas de plus vers la généralisation de l’Habeas corpus européen sur le fondement de l’article 5 § 4 [à propos de CEDH, sect. I, 26 juin 2014, Shcherbina c. Russie, req. n° 41970/11, en angl.]

L’arrestation la personne suspecte lui ouvre une garantie d’Habeas corpus, celle d’« être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » [art. 5 § 3 CEDH], et un droit de recours, celui « d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale » [art. 5 § 4 CEDH – le recours doit être disponible dès l’arrestation ; v. par ex. CEDH, sect. IV, 24 juin 2014, Petkov et Profirox contre Bulgarie, req.nos 50027/08 et 50781/09, en angl. ; § 67 : « the wording of Article 5 § 4 of the Convention indicates that it becomes operative immediately after arrest or detention »],  afin d’accéder rapidement au juge indépendant, pour contester son maintien en privation de liberté. L’Habeas corpus de l’article 5 § 3 profite au seul suspect, est automatique [la personne « doit » être présentée], possède une célérité exceptionnelle [« aussitôt » dans la version française de la Convention, « promptly » dans la version anglaise], mais n’impose pas une intervention judiciaire respectant les garanties du procès équitable [v. pour la définition de l’Habeas corpus de l’article 5 § 3, CEDH, gde ch., 29 mars 2010, Medvedyev et autres c. France, req. n° 3394/03 : Rec. CEDH, 2010 ; D., 2010, p. 1386, obs. S. Lavric ; ibid., p. 1390, note P. Hennion-Jacquet ; ibid., p. 1386, note J.-F. Renucci ; ibid., p. 952, entretien P. Spinosi ; ibid., p. 970, obs. D. Rebut ; AJDA, 2010, p. 648, obs. S. Brondel ; RSC, 2010, p. 685, obs. J.‑P. Marguénaud ; § 117 et s. – l’assistance d’un avocat y est par principe écartée ; v. CEDH, sect. V, 6 mars 2012, Marzohl c. Suisse, req. n° 24895/06, déc.], seulement une présentation devant « un juge un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », dont les critères principaux de qualification tiennent à son indépendance [v. pour la disqualification du magistrat du parquet français pour son défaut d’indépendance, CEDH, sect. V, 23 nov. 2010, Moulin c. France, req. n° 37104/06 : AJDA, 2011, p. 889, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D., 2011, p. 277, obs. J.-F. Renucci ; ibid., p. 338, obs. S. Lavric ; ibid., note J. Pradel ; ibid., p. 26, point de vue F. Fourment ; RSC, 2011, p. 208, note D. Roets ; Dr. pénal, 2011, comm. n° 26, obs. A. Maron et M. Haas ; Procédures, 2011, comm. n° 30, note A.‑S. Chavent‑Leclère ; Gaz. Pal., 9 déc. 2010, p. 6, note O. Bachelet ; JCP, 2010, n° 1206, obs. F. Sudre] et à son pouvoir de libération [v. Medvedyev, gde ch. : préc.]. À l’inverse, le droit de recours à bref délai, applicable à l’ensemble des cas de privation de liberté autorisés dans la liste de l’article 5 § 1er, suppose par définition l’action de la personne détenue pour l’initier, l’intervention du juge judiciaire ainsi sollicitée est d’une célérité moindre [à « bref délai » dans la version française, « speedily » dans la version anglaise], et l'intervention doit respecter les garanties du procès équitable pour que le juge reçoive la qualification de Tribunal [v. pour un ex. CEDH, gde ch., 29 mars 2001, D. N. c. Suisse, req. n° 27154/95 : Rec. CEDH, 2001-III].

samedi 26 juillet 2014

[biblio.] Rapport : Rapport de l'observatoire de l'enfermement des étrangers sur l'effectivité des recours offerts aux étrangers privés de liberté

L'Observatoire de l'enfermement des étrangers, composé de différentes organisations intéressées par l'enfermement des étrangers (dont le SM, le GISTI, le GENEPI, le SAF, la CIMADE ou l'ADDE), vient de rendre le 2 juillet 2014 un rapport intitulé "Une procédure en trompe l’oeil : les entraves à l’accès au recours effectif pour les étrangers privés de liberté en France" [86 p. ; synthèse ici].

Outre l'identification des défauts de la législation quant aux droits de recours reconnus à l'étranger privé de liberté [p. 13 et s.], le rapport éclaire aussi sur les difficultés pratiques.

Le rapport s'intéresse en particulier sur les limites à l'exercice des droits reconnus à l'étranger du fait de son placement en détention [p. 27 et s.] et sur les procédures dérogatoires, dont la grande chambre de la Cour européenne des droits de l'Homme a été saisie, pour partie, dans l'affaire Souza Ribeiro [p. 49 et s.].

vendredi 25 juillet 2014

[biblio.] Rapport : Rapport annuel d'activité 2013 du Défenseur des droits

Malgré l'existence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, le Défenseur des droits est aussi concerné par la privation de liberté, principalement du fait de ses compétences en matière de déontologie de la sécurité mais pas uniquement, ce que montre son dernier rapport d'activité.

Ainsi, le Défenseur des droits a évoqué dans celui-ci ses interventions en 2013 concernant des cas de détentions de mineurs étrangers [p. 87 et s.], des cas d'arrestations violentes [p. 99 et s.], ou encore des cas de fouilles en établissement pénitentiaire [p. 105]. 

Le rapport comprend également un court résumé de son action depuis 2000 pour les personnes détenues [p. 124 et s. ; v. sur ce point la synthèse plus complète réalisée spécialement par le Défenseur des droits], ainsi qu'une synthèse générale de ses actions sous le mandat de Dominique BAUDIS, certaines ayant également concerné la privation de liberté [v. pour l'évocation de ses différentes recommandations sur les mineurs détenus, p. 189, ou sur les détenus handicapés, p. 194, ou sur l'arrestation des étrangers, p. 195, ou sur l'interpellation réalisée à l'aide du pistolet à impulsion électronique, p. 197, ou sur la garde à vue des mineurs, p. 198 - v. pour la synthèse de ses interventions concernant les interpellations par les forces de police, p. 267 et s.].

mercredi 16 juillet 2014

[veille] Suspension par le Conseil d'Etat de l'injonction d'un jugement imposant au directeur du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier "de proposer régulièrement aux détenus de confession musulmane des menus composés de viandes “halal”" dès lors que celle-ci comporte un "risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables et [que] les moyens énoncés dans la requête paraissent sérieux en l’état de l’instruction" [CE, 16 juillet 2014, Garde des Sceaux, Ministre de la justice c/. M. B., n° 377145]

CE, 16 juillet 2014, Garde des Sceaux, Ministre de la justice c/. M. B., n° 377145 [v. le communiqué de presse]
[...]

"7. Considérant, d’une part, qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, la distribution au sein du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier de repas composés de viande « halal » imposerait des travaux d’un montant très élevé et matériellement difficiles à réaliser ou, à supposer l’approvisionnement par un sous-traitant matériellement possible, des coûts qui demeureraient élevés ; qu’elle entraînerait des évolutions majeures dans le fonctionnement du centre pénitentiaire qui ne pourraient, en cas d’annulation du jugement du tribunal administratif de Grenoble, qu’être très difficilement remises en cause ; qu’ainsi, le ministre de la justice est fondé à soutenir que l’exécution du jugement attaqué est de nature à entraîner des conséquences, particulièrement dans le milieu sensible de la détention et à la date à laquelle la présente décision est rendue, difficilement réversibles ;
8. Considérant, d’autre part, que les moyens tirés de l’atteinte au principe de laïcité et de l’incompatibilité de la mesure ordonnée avec les exigences de la détention apparaissent, en l’état de l’instruction, comme sérieux ;
9. Considérant qu’il y a lieu, par suite, d’ordonner qu’il soit sursis à l’exécution, dans cette mesure, du jugement attaqué ; que, par voie de conséquence, les conclusions présentée en appel par l’avocat de M. B…au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu’être rejetées ;".

[...]

[biblio.] Rapport : Remise au Garde des sceaux du Rapport Beaume sur la procédure pénale [10 juillet 2014, 89 p.]

La mission Beaume, installée pour préparer la réforme de la procédure pénale, avait pour mission de rechercher un nouvel équilibre dans la procédure de l'enquête pénale.[v. les annexes pour la lettre de mission, notamment]. Son rapport, remis au Garde des sceaux le 10 juillet 2014, a fait du "droit à la liberté et à la sûreté" un de ses thèmes transversaux [p. 19], estimant même que celui-ci devait servir pour l'encadrement de l'enquête initiale, plus encore que le principe du contradictoire [p. 22]. Si de nombreuses propositions ont été formulées sur certains actes d'enquêtes en particulier ou la phase de mise en l'état de l'enquête, le rapport ne préconise pas de modification des équilibres actuels quant au contrôle de l'autorité judiciaire de la privation de liberté.

Le rapport se prononce pour le maintien de l'inclusion des magistrats du parquet dans le rôle de gardien de la liberté individuelle, ceux-ci devant figurer comme "le « premier niveau » de liberté publique" [p. 29], le réel exercice de cette mission nécessitant de desserrer l'emprise des magistrats du parquet sur la police judiciaire ou, autrement dit, d'accroître l'autonomie des enquêteurs, notamment par une réduction du traitement en temps réel des infractions à sa fonction fondamentale décrite comme le "contrôle de la légalité, de la proportionnalité, de la nécessité et de la qualité de l’enquête" [p. 30]. Dès lors, le rapport préconise le maintien des dispositions actuelles du contrôle de la garde à vue, notamment la mainmise du magistrat du parquet sur la mesure, sauf pour la prolongation exceptionnelle au-delà de quarante-huit heures [p. 47]. En conclusion, le rapport insiste aussi sur la nécessité de mener à terme la réforme constitutionnelle du statut du parquet pour rendre effectif ses propositions [p. 89].

D'autre part, le rapport préconise de réserver l'intervention du Juge des libertés et de la détention aux atteintes à la liberté individuelle [p. 31], son office étant défini comme le "gardien naturel « de second niveau » de la liberté individuelle ou de la vie privée susceptibles d’être compromises par une enquête, ne [devant] intervenir « que » pour garantir la légalité et la proportionnalité de l’investigation attentatoire à la liberté ou à la vie privée" [p. 32]. Au regard de la nature de cette fonction, le rapport se montre favorable à la construction d'un véritable régime statutaire et spécialisé pour les juges des libertés et de la détention [p. 34]. Le rapport se montre en conséquence défavorable à l’immixtion du Juge des libertés et de la détention dans "le « premier niveau » de liberté publique", réservé, comme vu précédemment, aux magistrats du parquet, ou encore à l'établir comme juge des recours contre les décisions des magistrats du parquet [p. 32].


[veille] Renvoi par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité concernant la prolongation au-delà de 48 heures de la garde à vue pour escroquerie en bande organisée [Cass.crim., 16 juillet 2014, n° 14-90.021]

Cass.crim., 16 juillet 2014, n° 14-90.021


[...]

"Attendu que la question posée présente un caractère sérieux en ce que l’article 706-73 8° bis du code de procédure pénale qui autorise, dans les conditions de l’article 706-88 du même code, alinéas 1 à 5, dans sa version applicable au moment des faits, le placement en garde à vue au delà du délai de droit commun et dans la limite de quatre-vingt seize heures, de personnes mises en cause pour des faits qualifiés d’escroquerie en bande organisée, est susceptible de porter à la liberté individuelle proclamée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et aux droits de la défense garantis par le même texte, une atteinte disproportionnée au but de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions poursuivi par le législateur ;"

[...]

vendredi 11 juillet 2014

[veille] Le retrait du crédit de réduction de peine pour "mauvaise conduite" "ne constitue [...] ni une peine ni une sanction ayant le caractère d'une punition" - Cons. const., déc. du 11 juillet 2014 n° 2014-408 QPC [M. Dominique S.]

Cons. const., déc. du 11 juillet 2014 n° 2014-408 QPC [M. Dominique S.]

[...]

Considérant que le retrait d'un crédit de réduction de peine en cas de mauvaise conduite du condamné a pour conséquence que le condamné exécute totalement ou partiellement la peine telle qu'elle a été prononcée par la juridiction de jugement ; qu'un tel retrait ne constitue donc ni une peine ni une sanction ayant le caractère d'une punition ; que, par suite, les griefs tirés de la violation de l'article 8 de la Déclaration de 1789 et de l'article 34 de la Constitution sont inopérants ; 

[...]

jeudi 10 juillet 2014

[obs.] Le contrôle européen de l'isolement pénitentiaire de sûreté : vers un contrôle plus approfondi de la nécessité du placement et de ses incidences en droit français [à propos de CEDH, sect. IV, 8 juillet 2014, HARAKCHIEV et TOLUMOV c. Bulgaire, req. n° 15018/11 et 61199/12, en angl.]

L'isolement pénitentiaire de sûreté est un régime pénitentiaire dérogatoire pérenne [à la différence de la sanction de placement en cellule disciplinaire] destiné "à prévenir les risques d’évasion, d’agression ou la perturbation de la collectivité des détenus", si bien que "ces régimes ont comme base la mise à l’écart de la communauté pénitentiaire accompagnée d’un renforcement des contrôles" [CEDH, sect. IV, 27 nov. 2012, Chervenko c.Bulgarie, req. n° 45358/04 ; § 61]. 

La Cour européenne des droits de l'Homme réalise trois contrôles de l'isolement pénitentiaire, comme le montre l'arrêt signalé. Deux, dans une approche classique, tiennent à la mesure de l'affliction générée par l'isolement [I]. Le dernier, plus récent dans la jurisprudence européenne, tient dans l'appréciation de la proportionnalité de la durée de l'isolement [II]. L'apport de l'arrêt tend au développement d'un quatrième contrôle, celui de la nécessité du placement en isolement [III].


mercredi 9 juillet 2014

[obs.] Rappel européen des qualités du recours interne effectif en contestation de la dignité des conditions matérielles de détention [CEDH, sect. IV, 8 juillet 2014, HARAKCHIEV et TOLUMOV c. Bulgaire, req. n° 15018/11 et 61199/12, en angl.]

Dans l'arrêt signalé, en plus de contrôler l'infliction aux requérants d'une peine perpétuelle et leur placement puis leur maintien en isolement pénitentiaire de sûreté, la Cour européenne a aussi réalisé le rappel des qualités du recours interne effectif en contestation de la dignité des conditions matérielles de détention, seul point abordé dans ces observations.

lundi 7 juillet 2014

[obs.] Retour sur les droits de recours interne de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'Homme (5 § 4, 5 § 5 et 5 § 1er combiné avec l'article 13) : à propos d'une curiosité de l'arrêt Géorgie c. Russie [CEDH, gde ch., 3 juil. 2014, GÉORGIE c. Russie (I), req. n° 13255/07]

La Grande chambre de la Cour européenne des droits de l'Homme, dans son arrêt Géorgie contre Turquie [CEDH, gde ch., 3 juil. 2014, GÉORGIE c. Russie (I), req. n° 13255/07 ; v. nos remarques sur l'arrêt], a reconnu, pour la première fois dans la jurisprudence de la convention, il nous semble, l'efficacité de la combinaison des l'articles 5 § 1er et 13, et a même conclu à une violation en l'espèce sur ce fondement : par cette combinaison, la Cour européenne des droits de l'Homme a en conséquence sanctionné le défaut de recours efficace interne [l'article 13 dispose que "Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale"] pour trancher le grief de la violation d'une garantie conventionnelle figurant dans l'article 5 § 1er de la Convention. 

dimanche 6 juillet 2014

[obs.] La sanction de la "pratique administrative" russe d’arrestation, de détention et d’expulsion de ressortissants géorgiens : le maintien d'un ménagement de l'Etat défendeur dans la requête inter-étatique [quelques remarques sur CEDH, gde ch., 3 juil. 2014, GÉORGIE c. Russie (I), req. n° 13255/07]

Le 27 septembre 2006, quatre officiers russes soupçonnés d'espionnage étaient arrêtés par les autorités géorgiennes dans la capitale à Tbilissi. L'Etat géorgien dénonçait devant la Cour européenne des droits de l'Homme l'expulsion par la Russie de nombreux de ses ressortissants, en situation régulière ou irrégulière, en rétorsion, dès septembre 2006, et jusqu'à janvier 2007 [§ 22 et s.]. Durant cette période, l’État géorgien estimait que près de 4.600 décisions d'expulsion avaient été prises contre ses nationaux, dont 2.400 avaient fondé arrestations et détentions aux fins d'exécution forcée, et 2.200 avaient fait l'objet d'une exécution volontaire. D'après l'Etat requérant, le nombre de ses nationaux expulsés de Russie, en temps normal de 80 à 100 personnes par mois, était passé à environ 700 à 800 par mois durant la période dénoncée [§ 27]. Pour sa défense, la Russie, se fondant sur une statistique établie sur l'année 2006, affirmait que seulement 4.000 géorgiens avaient été expulsés, et si ces chiffres étaient en augmentation de 40 % par rapport à 2005, elle relativisait leur importance, dès lors que les ressortissants géorgiens représentaient seulement le troisième contingent par nationalité des étrangers expulsés [§ 28]. La Russie, à défaut de décompte mensuel, indiquait que selon sa statistique la plus précise, du 1er octobre 2006 au 1er avril 2007, 2.800 nationaux géorgiens avaient été expulsés [ibid.]. La Grande Chambre était donc saisie de l'établissement de la preuve de l'ampleur de ces expulsions, contestée par la Russie, et de leur qualification éventuelle en "pratiques administratives", notion caractérisant une violation particulièrement grave des droits de la Convention spécifique aux requêtes inter-étatiques.

mercredi 2 juillet 2014

[obs.] Les incohérences de la définition légale des critères de la motivation de l'emprisonnement ferme et la neutralisation jurisprudentielle de ses apports [à propos de Cass. crim., 25 juin 2014, n° 13-82.720 : inédit]

L'arrêt rapporté, bien qu'inédit, constitue un bon exemple du faible contrôle de la Chambre criminelle sur la motivation de l'emprisonnement correctionnel ferme du juge du fond, tant celle utilisée en l'espèce, validée, présentait de faiblesses. La motivation de l'emprisonnement ferme est exigée par l'article 132-19 du Code pénal, qui prévoit, sauf état de récidive légale, qu'"en matière correctionnelle, la juridiction ne peut prononcer une peine d'emprisonnement sans sursis qu'après avoir spécialement motivé le choix de cette peine". La disposition ne fixe pas pour autant les critères sur lesquels le juge doit s'appuyer, et ceux-ci figurent à l'article 132-24 du Code pénal. De manière générale, y compris en dehors de la peine d'emprisonnement ferme, le juge doit fixer la peine "en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur", au regard de l'alinéa 1er de la disposition. Concernant plus spécifiquement l'emprisonnement ferme, la peine "ne peut être prononcée qu'en dernier recours si la gravité de l'infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ; dans ce cas, la peine d'emprisonnement doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, et sauf impossibilité matérielle, faire l'objet d'une des mesures d'aménagement prévues aux articles 132-25 à 132-28".

[veille] "Hors de toute contrainte", le moyen de la violation des droits de la défense concernant une audition réalisée durant l'enquête ne cause pas grief, dès lors que la condamnation ne se fonde "ni exclusivement, ni même essentiellement", sur les déclarations faites au cours de celle-ci [Cass. crim., 24 juin 2014, n° 13-83.126 : inédit]

Cass. crim., 24 juin 2014, n° 13-83.126 : inédit

[...]

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation du droit à un procès équitable, consacré par l'article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l'homme, et des articles 591, 593 du code de procédure pénale, contradiction de motifs, défaut de motifs et manque de base légale ;

[...]

Attendu que les demandeurs ne sauraient se faire un grief de ce que la cour d'appel, a écarté le moyen de nullité selon lequel les droits de la défense de M. Y...avaient été méconnus lors de ses auditions réalisées, en cours d'enquête, hors de toute contrainte, sans qu'il ait été informé de son droit de garder le silence et d'être assisté par un avocat, dès lors que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que, pour les déclarer coupables de blessures involontaires, les juges du second degré ne se sont fondés ni exclusivement, ni même essentiellement, sur les déclarations faites au cours de ces auditions ;

[...]

[obs.] Sanction d'une détention provisoire d'une durée d'un an et quatre mois justifiée par le seul risque de trouble à l'ordre public [CEDH, 1er juillet 2014, sect. III, SIMON c. Roumanie, req. n° 34945/06]

L'article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme reconnaît à la personne suspecte et traduite devant l'autorité judiciaire "le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure". Ce droit fonde le contrôle par la Cour européenne des droits de l'Homme de la détention provisoire, dont l'arrêt signalé rappelle  les principes applicables.

mardi 1 juillet 2014

[obs.] Sanction des conditions matérielles de détention par leurs "effets cumulatifs" pour un prévenu [CEDH, sect. III, 1er juillet 2014, MIHĂILESCU c. Roumanie, req. n° 46546/12, en angl.]

Le contrôle de la dignité des conditions matérielles de détention, réalisé sur le fondement de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme, s'applique à toute privation de liberté, y compris au prévenu en détention provisoire, comme en l'espèce.

Si les cas typiques de violation résident dans la surpopulation ou encore l'inadaptation du lieu de privation à la durée de la mesure, des vices moins graves peuvent, par "effets cumulatifs" [§ 53], entraîner également la violation de la Convention. 

La Cour examine l'ensemble des défauts de conditions de détention, tenant le plus souvent, comme en l'espèce, à l'état de la cellule [la Cour notait ici l'absence de mobilier adapté, par exemple pour l'alimentation, et la vétusté des lieux, alors que des fuites dans les conduits d'eau rendaient la cellule humide, et provoquait parfois des inondations, pour conclure à la violation de la Convention, pour les périodes pendant lesquelles le requérant n'avait pas souffert de surpopulation ; § 57].