La parution
électronique du Rapport annuel de la Cour européenne des droits de l’Homme pour l’année 2014, dans
une version encore provisoire, est l’occasion de revenir sur les différents
arrêts importants – ou du moins ceux jugés comme tels par la Cour et figurant
dans l’« aperçu de la jurisprudence »
– de l’année passée en matière de privation de liberté. Si ces arrêts apportent
le plus souvent de simples précisions à des raisonnements éprouvés, ils
rappellent aussi l’implication de très nombreuses dispositions de la Convention
dans l’encadrement de la privation de liberté. Si l’article 5, pourtant spécialisé
en la matière, en souffre peut-être quant à son enrichissement, il reste l’un
des fondements les plus fertiles en condamnation, signe le plus évident des
progrès restant à réaliser en Europe en matière de privation de liberté [en
2014, la Cour européenne des droits de l’Homme a retenu 212 violations de
l’article 5 sur un total de 756 arrêts constatant au moins une violation de la
Convention, et seuls les articles 3 – 248 – et 6 – 313 – ont fondé un nombre
plus important de constat de violation ; rap. p. 179].
D’abord, les arrêts
relatifs à la privation de liberté ont permis plusieurs apports à la
délimitation de la compétence et à la définition des conditions de
recevabilité, dans le sens de l’extension du champ d’action de la Cour,
principalement du fait de l’usage de la privation de liberté dans les conflits
internationaux auxquels participent des États tiers à la Convention [v. concernant
l’arrestation et la détention d’un combattant national durant les opérations
militaires de 2003 dirigées en Irak par les forces américaines et britanniques,
Hassan
c. Royaume-Uni [GC], n° 29750/09,
CEDH, 2014, rap. p. 84 ; v. concernant la
détention secrète et la torture de personnes suspectées de terrorisme en
Pologne par les autorités américaines, Al
Nashiri c. Pologne, no
28761/11, 24 juil. 2014 et Husayn
(Abu Zubaydah) c. Pologne, no
7511/13, 24 juil. 2014, rap. p. 85 ; v. concernant
l’inapplication de la condition de l’épuisement des voies de recours, s’agissant
de la pratique administrative d’arrestation, de détention et d’expulsion de
ressortissants géorgiens par la Russie, Géorgie
c. Russie (no 1)
[GC], no 13255/07, CEDH, 2014, rap. p. 87 et
nos obs. ici
et là].
D’autres arrêts ont
apporté des précisions quant à l’étendue des obligations positives mises à la
charge des États pour protéger la vie [v. pour une limitation de l’obligation
positive de l’État, qui ne saurait constituer une obligation de résultat quant
à la prohibition de la circulation de produits stupéfiants en prison,
concernant le décès d’un détenu par overdose, Marro
et autres c. Italie (déc.),
no 29100/07, 8 avr. 2014, rap. p. 92] ou la
santé [v. concernant le traitement médical défectueux d’un détenu,
notamment au regard des effets secondaires de celui-ci, qui avait créé une
dépendance, Budanov
c. Russie, no
66583/11, 9 janv. 2014, rap. p. 103] des détenus.
Des arrêts signalés
reviennent sur le contrôle de mesures de sécurité particulièrement sévères
appliquées à des personnes privées de liberté : si la Cour s’est montrée stricte
quant à la pratique de la comparution au tribunal dans une cage en métal, au
point pratiquement de la considérer par principe comme contraire à l’article 3,
alors que ses constats de violation antérieurs étaient plus mesurés [Svinarenko
et Slyadnev c. Russie [GC],
nos 32541/08 et 43441/08, CEDH, 2014, rap. p. 101],
elle a appliqué plus classiquement sur le même fondement un contrôle de
proportionnalité entre l’atteinte à la dignité provoquée et le gain pour la
sûreté obtenu concernant le port de vêtements scellés par des détenus isolés, destiné
à éviter toute détention de drogue [Lindström
et Mässeli c. Finlande, no
24630/10, 14 janv. 2014, rap. p. 103], dans un
raisonnement plus lâche rappelant son contrôle du port des menottes.
La Cour européenne
des droits de l’Homme a aussi poursuivi son encadrement de la perpétuité réelle autour de la notion du
droit au réexamen, établie sur le fondement de l’article 3 dans l’arrêt de
Grande
chambre Vinter de 2013, qu’il
s’agisse du contentieux de l’extradition vers un pays pratiquant une telle
peine [Trabelsi
c. Belgique, no
140/10, 4 sept. 2014, rap. p. 104] ou du
contentieux de l’infliction d’une telle peine par un État partie à la
Convention [Harakchiev
et Tolumov c. Bulgarie, nos
15018/11 et 61199/12, CEDH, 2014, rap. p. 106 et nos obs. ici
et là], ces deux arrêts montrant des progrès dans l’intensité du contrôle,
même si la marge d’appréciation des États en la matière reste importante, comme
l’a montré la même année l’arrêt Bodein,
non rapporté [v. notre comm. de celui-ci ici].
Un tel recensement
rappelle l’importance cruciale de l’article 3 de la Convention européenne des
droits de l’Homme concernant la protection des droits des personnes privées de
liberté [v. pour une illustration de différents contrôles de la privation de
liberté réalisés par la Cour européenne des droits de l’Homme sur ce fondement,
Harakchiev
et Tolumov, préc., la Cour y assurant sur ce fondement le
contrôle de la dignité des conditions matérielles de détention, de l’isolement
pénitentiaire et du caractère compressible
de la peine perpétuelle].
Seuls deux arrêts
cités concernent l’article 5. Le premier reconnaît, dans un raisonnement
original, l’atténuation de l’application des garanties de la disposition pour
la personne détenue par des autorités agissant dans le cadre du droit
international humanitaire [Hassan, préc., rap. p. 108]. Le second, peut-être le plus important de
l’année dans notre matière, concerne l’application d’une exigence de célérité
renforcée à l’intervention du Tribunal, saisi par la personne privée de liberté
sur le fondement de l’article 5 § 4, lorsqu’elle réalise le premier contrôle
judiciaire de la détention, solution marquant un pas décisif vers la généralisation
de l’Habeas corpus : le Tribunal
doit intervenir dans ce cas avec une célérité s’approchant d’« aussitôt », notion contenue à
l’article 5 § 3 et applicable, selon le texte, uniquement au premier contrôle
judiciaire de la privation de liberté du suspect, plutôt qu’à « bref délai », l’exigence textuelle
réservée désormais aux interventions ultérieures [Shcherbina
c. Russie, no 41970/11,
26 juin 2014, rap. p. 110 et notre comm. ici ; la mention de l’arrêt au rapport rappelle son intérêt, alors qu’un
faible niveau d’importance lui avait été attribué à sa publication et que le collège
a rejeté son renvoi en Grande chambre].
D’autres
dispositions ont aussi servi, dans des raisonnements classiques, au contrôle de
la privation de liberté, qu’il s’agisse de l’article 8, concernant le contrôle
de la proportionnalité de l’ingérence causée à ce droit du détenu par rapport
au gain obtenu par les autorités pour la sécurité [v. pour la sanction de
l’interdiction de mener des conversations téléphoniques dans la langue
maternelle du détenu kurde, Nusret
Kaya et autres c. Turquie, nos
43750/06 et autres, CEDH, 2014, rap. p. 137], ou de
l’article 10, concernant, par exception, le contrôle de la proportionnalité des
peines privatives de liberté à temps prononcées pour réprimer des
manifestations protégées par la disposition [v. pour la sanction d’une peine de
treize ans d’emprisonnement réprimant le versement de peinture sur cinq statues
de Kemal Atatürk, Murat
Vural c. Turquie, no 9540/07,
21 oct. 2014, rap. p. 143 ; v. pour l’admission de
peines d’emprisonnement d’un total cumulé de sept ans, prononcées et purgées en
répression du comportement réitéré de l’individu, qui se montrait nu dans des
lieux publics, Gough
c. Royaume-Uni, no
49327/11, 28 oct. 2014, rap. p. 143].
De manière plus
originale, dans une jurisprudence dont la portée reste à préciser, au regard de
la courte durée de la peine d’emprisonnement prononcée en l’espèce et du
constat dans le même arrêt de sa disproportion sur le fondement de l’article
10, la Cour a estimé que l’exécution totale de la peine privative de liberté
avant que la juridiction saisie en appel ne se soit prononcée violait le droit
à un double degré de juridiction en matière pénale consacré à l’article 2 du
Protocole n° 7 [Shvydka
c. Ukraine, no
17888/12, 30 oct. 2014].
Enfin, les outils
conventionnels visant à assurer l’effectivité de la jurisprudence européenne
ont été employés en matière de la privation de liberté, qu’il s’agisse du
contrôle des mesures étatiques prises après l’adoption d’un arrêt-pilote pour
remédier aux conditions matérielles de détention indignes généralisées [Stella
et autres c. Italie (déc.), no
49169/09, 16 sept. 2014, rap. p. 82], qu’il s’agisse de
l’adoption de mesures individuelles [v. pour une utilisation innovante destinée
à empêcher que le requérant ne subisse à l’avenir une nouvelle détention
défectueuse, alors qu’il se trouvait, à la sortie de la première privation de
liberté, dans la même situation qui avait entraîné son arrestation, Kim
c. Russie, no
44260/13, 17 juil. 2014, rap. p. 163 ; v. pour une
application plus classique, concernant le détenu gravement malade, visant à lui
apporter un traitement médical adéquat et à surveiller son état, Amirov
c. Russie, no 51857/13,
27 nov. 2014, rap. p. 165] ou qu’il s’agisse du contrôle
du respect de la mesure provisoire précédemment adoptée [v. pour la sanction de
l’État qui n’a pas respecté l’obligation de procéder à une expertise médicale
indépendante pour apprécier la compatibilité de l’état de santé du détenu avec
la détention, Amirov, préc., rap.
p. 165].
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