1.
L’avocat
pénitentiairiste.
Les domaines d’intervention de l’avocat auprès de la personne condamnée à une
peine privative de liberté ont été largement accrus, accompagnant le mouvement
plus large d’amélioration des droits des détenus. La matière pénitentiaire stricto sensu est évidemment concernée. Outre
le procès disciplinaire [à
travers le célèbre arrêt Marie, par
lequel le juge administratif a accepté d’assurer le contrôle de ces décisions,
le procès pénitentiaire a même été la première étape de cette évolution – CE,17 févr. 1995, Marie, n° 97754 :
Rec. CE, p. 89 ; D., 1995. 381, note N. Belloubet‑Frier ;
RFDA 1995. 353, concl. P. Frydman ; RFDA 1995. 822, note F. Moderne ; RFDA 1995. 826, note J.‑P. Céré ; RSC 1995. 381, obs. P. Couvrat ; RSC 1995. 621, obs. M. Herzog‑Evans ; GAJA, 19e éd., 2013, n° 94], l’avocat peut
également intervenir dans la procédure de placement et de prolongation à
l’isolement [art.726-1 CPP].
Le développement du contrôle du juge administratif sur les décisions de
l’administration pénitentiaire ouvre un autre pan possible d’intervention de
l’avocat dans le contentieux de l’annulation [v. par ex. pour les décisions de
transfert forcé du détenu, CE, ass.,14 déc. 2007, Boussouar,n° 290730 : Rec. CE.
495 ; RDP 2009. 217, chron. C. Groulier ; Gaz. Pal., 9 août 2008. 24, chron. J.-L. Pissaloux et L. Minot ; D.
2008. 820, note M. Herzog‑Evans ;
ibid. 1017, chron. É. Péchillon ; RFDA 2008. 87, concl. M. Guyomar ;
AJDA 2008, p. 128, chron. J. Boucher et B. Bourgeois‑Machureau ; RSC 2008. 404, chron. P. Poncela] ou par l’usage des référés
administratifs [v.
par ex. pour l’usage du référé-liberté contre une mesure d’isolement
pénitentiaire, CE, réf., 22 avr. 2010, min.justice et des libertés c. Mebarek, n° 338662 : Rec. CE. T : AJDA. 2010.
929, obs. S. Brondel ; D. 2011. 1306, chron. É. Pechillon ; AJP 2010. 299, obs. É.
Pechillon ; RSC 2010 p. 645,
chron. P. Poncela ; RFDA, 2013. 576, chron. L. Milano]. Le développement du contrôle de la
dignité des conditions de détention permet désormais d’engager la
responsabilité administrative de l’État [CE, sect., 6 déc. 2013, 6 arrêts, n° 363290,363291, 363292, 363293, 363294 et 363295 : Rec.
CE ; AJDA 2014. 237, concl. D. Hedary ; Dr. admin. 2014, repère n° 3, obs. J-B.
Auby ; AJP 2014,. 143,
comm. É. Péchillon] ou de lui imposer des
injonctions en amélioration des conditions de détention [v. par ex. CE, réf., 30juil. 2015, 392043, OIP-SF et Ordres desavocats au barreau de Nîmes : Rec. CE]. La judiciarisation progressive
de l’aménagement des peines offre à l’avocat un rôle essentiel dans le procès devant
les juridictions compétentes [v. pour le juge de l’application des peines, l’art. 712-6
du Code de procédure pénale, et pour le Tribunal de l’application des peines,
l’art. 712-7 du Code de procédure pénale]. Aussi, le cas de la personne condamnée est
aussi de plus en plus encadré par des principes supra-légaux, permettant l’usage
de la question prioritaire de constitutionnalité [v. par ex. sur le
travail pénitentiaire, Cons. const., déc. n° 2015-485 QPC du 25 sept. 2015, M.Johny M.]
ou de la requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme. C’est une
nouvelle demande sur le marché du droit qui a vu le jour, et qui mérite sans
doute que des avocats ayant de solides compétences en la matière y répondent, même
si le dénuement de la population pénale complique évidemment la rentabilisation
de cette activité. Maître Etienne Noël, actif sur plusieurs de ces contentieux
et souvent pionner [Notamment
celui de l’aménagement de peine avec la suspension médicale de peine et celui
de l’engagement de la responsabilité de l’État pour conditions indignes de
détention],
a montré que ce nouveau marché pouvait constituer pour un avocat, au moins, une
belle vitrine.
2.
L’admission de l’avocat
au prétoire des prisons. L’arrêt Marie [CE, 17 févr. 1995, Marie, n° 97754 : Rec. CE, p. 89] a constitué une
étape primordiale de ce mouvement d’accroissement des droits du détenu pour
admettre le recours en excès de pouvoir contre la sanction disciplinaire,
considérée jusque-là comme une mesure d’ordre intérieure. Avant ce revirement
de jurisprudence, l’impératif de discipline prédominait jusqu’à exclure le
contrôle du juge administratif. Cette qualification a perduré en matière
pénitentiaire longtemps [L’ouverture
du recours en excès de pouvoir pour les sanctions disciplinaires a eu lieu en
même temps que l’ouverture du recours pour les sanctions disciplinaires
militaires (v. l’arrêt Hardouin, à la
même date que l’arrêt Marie), autre
domaine dans lequel l’exigence de discipline est particulièrement forte], alors qu’ailleurs un
mouvement plus large d’ouverture du recours en excès de pouvoir était notable. À
sa suite, l’admission de l’avocat au prétoire pénitentiaire a été impromptue :
la doctrine administrativiste a en effet remarqué qu’en tant qu’usager du
service public pénitentiaire [v. la thèse d’E. Péchillon, Sécurité et droit du service public pénitentiaire, LGDJ, 1998], le détenu pouvait opposer à
l’administration – et donc à la commission de discipline – les droits communs
reconnus aux usagers, notamment le droit « se faire assister par un conseil » lorsque l’administration
statue sur une décision individuelle défavorable [v.
l’ancien art. 24 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des
citoyens dans leurs relations avec les administrations], ce que
l’administration a fini par organiser [Circulaire de la
direction de l’administration pénitentiaire du 9 mai 2003], avant que le
législateur n’inscrive dans la loi le droit à l’assistance d’un avocat en cette
matière [art. 726 Cpp]. Parallèlement, les progrès ont abouti à une
meilleure qualité des sources de droit et à la réforme du droit disciplinaire
en prison, afin notamment de mieux définir la faute punissable, dans une
démarche reconnaissant, en quelque sorte, l’application de la légalité
criminelle [art.
R. 57-7 du Code de procédure pénale] à la matière. Le droit procédural de la
matière disciplinaire [art. R. 57‑7-5 cpp et s.] arrive désormais à
une certaine forme de maturité, qui justifie un état des lieux. En effet, le
système normatif est régulièrement attaqué [v. pour la sanction
de suspension des activités contrôlée par rapport à l’objectif de réinsertion,
CE 26 juin 2015, n° 375133 : D.
actu. 1er sept. 2015, note C.
Fonteix. – v. pour la même sanction contrôlée par rapport à la liberté
religieuse des détenus, CE, 11 juin 2014, n° 365237 : Rec. CE ; D. actu.
18 juin 2014, obs. J.-M. Pastor], et pour l’instant,
préservé.
3.
La défense contre le
placement en cellule disciplinaire. Il n’est désormais plus contestable que le
placement du détenu en cellule disciplinaire [v. les art. R.57-7-43 et s. sur le régime du placement en cellule disciplinaire] – au mitard – est
susceptible de porter atteinte à sa dignité [L’article 726
du Code de procédure pénale reconnait le droit au détenu frappé d’une telle
mesure de saisir le juge administratif en référé-liberté], quand bien même la
durée maximale du placement est limitée [Selon l’art. 726 du
Code de procédure pénale, la mise en cellule disciplinaire ne peut dépasser
vingt jours, sauf pour « tout acte
de violence physique contre les personnes », auquel cas la sanction
peut durer trente jours],
par rapport au placement à l’isolement pénitentiaire. Le dépassement du seuil,
nécessaire à la qualification de torture et de traitement inhumain et
dégradant, est cependant lié aux mauvaises conditions de détention qui règnent
au quartier disciplinaire, lesquelles créent des souffrances supplémentaires
qui s’ajoutent à celles générées par l’isolement [v.
par ex. pour l’annulation de la décision de refus du directeur d’établissement
de Fleury-Merogis de fermer le quartier disciplinaire destiné aux femmes, dès
lors que cette décision avait « pour
effet d'exposer les détenues les plus vulnérables […] ou celles sanctionnées par les mises en cellule disciplinaire les plus
longues, à des épreuves physiques et morales [excédant] le niveau inévitable de souffrance inhérent
à la détention et étaient, dès lors, attentatoires à la dignité des intéressées »,
CE, 30 décembre 2014, n° 364774 : AJDA 2015. 484. Le Conseil d’État s’est
référé à un rapport d’expertise réalisé sur les conditions de détention au
quartier disciplinaire, lequel avait établi leur délabrement]. Le droit
disciplinaire, par souci de dégager une très large marge d’appréciation à
l’administration pénitentiaire, autorise largement le recours à la décision de
placement en cellule disciplinaire, puisqu’elle peut réprimer toute faute
commise, indépendamment de sa gravité, laquelle ne sert qu’à modifier la durée
maximale de la sanction [Art. R. 57-7-47 Cpp : « Pour les personnes majeures, la durée de la
mise en cellule disciplinaire ne peut excéder vingt jours pour une faute
disciplinaire du premier degré, quatorze jours pour une faute disciplinaire du
deuxième degré et sept jours pour une faute disciplinaire du troisième degré.
Cette durée peut être portée à trente jours lorsque les faits commis
constituent une des fautes prévues au 1° et au 2° de l'article R. 57-7-1 »]. Cette sanction est
également prévue pour les mineurs de plus de seize ans, avec des restrictions
plus importantes [Art. R. 57-7-48 Cpp : « La durée du placement en cellule
disciplinaire des personnes mineures de plus de seize ans ne peut excéder sept
jours pour une faute du premier degré et cinq jours pour une faute du second
degré »].
Dans ces conditions, la gestion des places disponibles apparaît comme la
principale limite au prononcé de la sanction [M. Herzog-Evans,
« Aspects pratiques de la procédure disciplinaire pénitentiaire en France » : AJP 2013. 660]. Dès lors, l’objectif
de la défense consiste à éviter le placement en cellule disciplinaire, ce qui
revient le plus souvent à obtenir la relaxe. C’est la gravité de la sanction du
placement en cellule disciplinaire qui justifie pleinement le déclenchement des
droits de la défense, qui donne à l’intervention de l’avocat toute sa
légitimité. Il est de ce point de vue extrêmement dommageable d’entendre encore
parfois que l’avocat n’aurait aucun rôle important au prétoire disciplinaire.
4.
Les droits de la
défense en pratique.
La réglementation prévoit en principe un réel exercice des droits de la
défense au profit de la personne détenue : notification préalable au
détenu de l’accusation portée contre lui, mise à disposition du dossier,
convocation à l’audience, délai minimal laissé pour préparer la défense, droit
à l’assistance d’un avocat du choix du détenu ou désigné d’office, avec
bénéfice de l’aide juridictionnelle, rappel des droits du détenu devant la
commission de discipline et l’assistance de l’avocat est obligatoire pour les
mineurs [art. R. 57‑7‑16 Cpp et s.]. Il est vrai qu’en pratique la défense
dispose d’atouts (I), lesquels ne suffisent pas à vaincre
d’importantes limites (II).
I/. - Les atouts de la défense
5.
Plan. Le juge administratif,
juge de la légalité de la décision administrative, assure le contrôle du
respect de l’exercice des droits de la défense lors de la procédure
disciplinaire, sous peine de nullité (A.).
L’avocat, dont le rôle est ainsi en principe préservé, dispose de véritables
moyens de défense qui peuvent se révéler efficaces (B.). En cas d’échec, l’avocat se doit de maîtriser les voies de
recours ouvertes. Elles sont complexes en la matière, et ne peuvent passer pour
suffisantes. Elles sont cependant en amélioration (C.) [et
c’est pour insister sur l’amélioration du droit, plutôt que sur leur
insuffisance, que leur étude sera effectuée dans cette première partie].
6.
Le contrôle
de l’exercice des droits de la défense. L’atteinte aux droits de la défense du détenu
est un motif de nullité de la décision administrative portant la sanction
disciplinaire. Le juge administratif fait peser sur l’administration
pénitentiaire la charge de procéder « aux
diligences nécessaires » [TA Lyon, 1er déc.
2015, n° 1304054 : AJP 2016.
227, note M. Herzog‑Evans] ou encore « aux diligences utiles » [TA
Versailles, 8 avr. 2004, n° 0302152 : AJP
2004. 294, obs. E. Péchillon] pour joindre l’avocat
désigné par le détenu ou le bâtonnier en vue de la désignation d’un avocat
d’office, afin que le défenseur puisse assister le détenu lors de l’audience
pénitentiaire. Il en ressort, qu’en principe, « seules l'urgence et des circonstances exceptionnelles »
permettent de dispenser l’administration pénitentiaire de procéder à ces
diligences [TA Versailles, 5 févr. 2004, nos
0201363 et 0200952 : AJP 2004. 294,
obs. E. Péchillon ; en
l’espèce, le juge a estimé qu’il n’existait aucune urgence justifiant l’absence
de diligences pour assurer l’intervention de l’avocat, s’agissant de détenus
qui avaient été immédiatement transférés dans un autre établissement après
la commission des faits, au cours d’une
émeute].
Certaines décisions du fond accordent une certaine souplesse à l’administration
pénitentiaire, peu compatible avec l’importance qui devrait toujours être
reconnue aux droits de la défense [v. par ex. TA Lyon, 1er déc. 2015,
n° 1304054 : AJP 2016. 227, note
M. Herzog-Evans : le juge administratif estimait que l’administration
avait procédé aux diligences suffisantes pour contacter l’avocat désigné par le
détenu en se référant à des coordonnées erronées trouvées sur un site
non-officiel et en opérant au surplus une confusion dans le nom de l’avocat]. D’autres décisions montrent
un contrôle plus exigeant [v. s’agissant d’une décision indemnisant
le détenu (pour la somme de 300 €) du fait de l’exécution d’une sanction de 30
jours de mise en cellule disciplinaire prise sur le fondement d’une décision
annulée au terme du recours hiérarchique, parce que l’administration n’avait
pas contacté l’avocat désigné pour avoir employé un numéro de télécopie erroné,
TA Rouen, 30 juil. 2004, n° 0200894 : AJP 2004. 414, note M.
Herzog-Evans],
et donc plus satisfaisant. Dès lors, le renvoi de l’affaire sollicité devant la
commission de discipline, du fait de l’absence de l’avocat, ne semble pouvoir
être refusé, sauf à ce que l’administration ait réalisé les diligences
adéquates [TA
Toulouse, 30 nov. 2004 : D. 2005.
995, chr. J.-P- Céré, M. Herzog-Evans
et E. Péchillon]. De la même manière,
le juge administratif vérifie que le détenu a bien pu bénéficier du temps
suffisant pour préparer sa défense, ce qui n’est pas le cas lorsque celui-ci a
dû rendre immédiatement le dossier après sa notification [CAA Lyon, 29 janv.
2015, n° 13LY03112 : chr. Exécution des peines, J.-P. Céré, M.
Herzog-Evans et É. Péchillon,
D. 2015. 1122]. Le juge
administratif contrôle également l’exercice du droit à l’interprète du détenu
devant la commission de discipline [TA Melun, 15 mars
2001, Daoud, n° 00-1255 : D. 2002. 110, chr. J.-P. Céré. En l’espèce, l’étranger,
ayant étudié la langue française pendant trois ans et vivant en France depuis
sept ans, n’avait pas besoin d’un interprète].
7.
La charge de la preuve.
La
charge de la preuve de la commission d’une faute disciplinaire incombe à
l’administration. Deux moyens peuvent servir efficacement à critiquer la preuve
ramenée par l’administration. D’abord, l’avocat peut profiter de la
collectivité de la détention. Ainsi, il ne peut être imputé à un détenu en
particulier la possession illicite d’un objet retrouvé dans une cellule
collective, sans aucun indice d’appartenance à l’un ou à l’autre. Ensuite, l’avocat
doit savoir s’engouffrer dans les manques de l’enquête, celle-ci étant par
nature sommaire du fait de l’impossibilité pour l’administration pénitentiaire
de procéder à des investigations techniques. Ces moyens sont d’autant plus utiles
que le contentieux disciplinaire de la possession d’objets illicites, notamment
les chargeurs ou les téléphones, est fréquent, au point que la jurisprudence
administrative a été saisie à plusieurs reprises de cette question et s’est
montrée régulièrement rigoureuse. Ainsi, la possession illicite d’une carte SIM
retrouvée en cellule collective ne peut être retenue contre un détenu au seul
motif qu’il a déjà été sanctionné pour les faits relatifs à la possession de
téléphones [TA Nice, 12 oct. 2004, n° 0003287 : D. 2005. 995, chr. J.-P- Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon]. Aussi, la commission de violences ne peut être retenue sur
la foi du seul compte-rendu d’incident d’un gardien qui n’a pas été témoin de
l’incident, alors que le dossier ne contenait aucun autre témoignage [TA
Strasbourg, 19 janv. 2001, N’Guyen,
n° 992945 : D. 2002. 110, chr. J.-P- Céré].
Un tribunal correctionnel – la découverte de produits stupéfiants en
cellule avait abouti à des poursuites pénales – a aussi écarté la valeur
probante de « la seule déclaration d’un
surveillant pénitentiaire sur la découverte de la substance en dehors de la
présence du détenu alors transféré dans un autre établissement » pour
prononcer la relaxe [TGI
Alençon, 17 sept. 2015 : AJP 2016.
157, obs. M. Herzog-Evans].
8.
La requalification des
faits. La
commission de discipline est habilitée à procéder à la requalification de la
faute incriminée à l’audience [TA Nantes, 5 oct. 2011, n°
0805737 : cité par M. Herzog-Evans
in « Aspects pratiques de la
procédure disciplinaire pénitentiaire en France », AJP 2013. 660].
L’avocat doit être particulièrement vigilant aux fautes poursuivies, dès lors
qu’en pratique, les commissions ont les plus grandes difficultés à retenir les
qualifications adéquates [M. Herzog‑Evans,
op. cit.]. Il faut dire que les
fautes listées sont très nombreuses, et que certaines de différents degrés ont
une définition proche.
9.
Le droit disciplinaire
spécial.
Les fautes disciplinaires définies par le Code de procédure pénale
s’apparentent à de véritables infractions pénales, si bien qu’il peut être
utile d’utiliser des techniques de droit pénal spécial pour soutenir que les
éléments constitutifs de la faute ne sont pas réunis. Devant le juge
administratif, un détenu a défendu plus efficacement que des propos tenus à un
proche lors d’une conversation téléphonique écoutée par l’administration
pénitentiaire relevaient du respect de sa vie privée et ne pouvaient donner
lieu à une sanction du fait d’injures et outrages à un surveillant. La Cour
administrative d’appel de Paris a invalidé la sanction, sans directement
consacrer un droit à la vie privée du détenu, mais du fait que les propos n’ont
pas été tenus publiquement et n’étaient pas adressés aux surveillants, ni
destinés à ce que l’on leur rapporte [CAA Paris, 7 avr.
2016, n° 14PA01976 : AJP 2016.
283, note M. Herzog-Evans]. Le juge administratif
a ici directement repris la jurisprudence de la chambre criminelle, en matière
d’injure. Dans une autre affaire, le juge administratif a refusé de considérer
que le retard dans la réintégration de l’établissement du fait d’un contrôle
policier pouvait donner lieu à des poursuites disciplinaires, dès lors que
l’élément intentionnel faisait défaut [TA Caen, 10 oct. 2000, req. no 00125, Leblouch : D. 2002. 115, obs.
M. Herzog-Evans]. Enfin, certaines
décisions ont pu retenir que la sanction reposant sur une contravention à une
note nécessitait, pour être valide, que l’administration ramène la preuve de la
connaissance par le détenu de celle-ci [TA Limoges, 1er
déc. 2005, n° 0301070 : chr. E. Péchillon, D. 2006. p. 1078. Voir pour les difficultés naissant de
l’application tatillonne du règlement intérieur, alors que les surveillants
conservent souvent une marge de manœuvre avec celui-ci pour obtenir la paix
sociale, M. Herzog-Evans, «
Aspects pratiques de la procédure disciplinaire pénitentiaire en France »
: AJP 2013. 660].
10.
Les faits justificatifs.
L’étude
de la jurisprudence montre qu’en pratique, les détenus tentent fréquemment de
se défendre de la commission d’une faute disciplinaire en invoquant des faits
justificatifs, avec des résultats divers.
Dans un cas, l’état de nécessité n’a pas été retenu par le juge
administratif, à la différence du juge pénal saisi des mêmes faits, s’agissant
d’un détenu ayant mis le feu à une couverture dans le but d’obtenir un examen
médical et d’outrepasser l’inertie de l’administration [CAA Nantes, 3 mars
2005, n° 03NT01745 : chr. M. Herzog-Evans,
D. 2006. 1078]. Certains juges ont
admis l’efficacité par principe du fait justificatif tout en estimant que ses
conditions n’étaient pas remplies [TA Versailles, 16
mars 2001, n° 98316 : D. 2002.
110, chr. M. Herzog-Evans]. D’autres ont reconnu
que le fait justificatif effaçait la faute [CAA Marseille, 11
déc. 2001, Maria, n° 98MA00849 :
D. 2005. 995, chr. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon]. D’autres encore ont
estimé le moyen inopérant par principe [TA Amiens, 20 juil.
2004, n° 0200025 : D. 2005.
995, chr. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon]. Une décision a même
pu retenir que la faute disciplinaire – un défaut de surveillance – pouvait
excuser la faute du détenu – la consultation de la fiche d’un détenu au greffe
de l’établissement [TA Rouen, 11 mai 2000, Fontaine, n° 97459 : D. 2002. 110, chr. M. Herzog-Evans].
11.
Les libertés
fondamentales.
La jurisprudence montre que certains détenus ont contesté la commission d’une
faute disciplinaire en tentant de la justifier par l’exercice d’une liberté
fondamentale. Ainsi, le Conseil d’État a reconnu que le détenu pouvait désobéir
à un ordre qui « serait
manifestement de nature à porter une atteinte à la dignité de la personne
humaine » [CE, 20 mai2011, Biteri, n° 326084 : Rec. CE]. L’exception de dignité est ici
faiblement reconnue, notamment en ce que le détenu se trouve contraint d’obéir,
dès lors que l’atteinte à sa dignité n’est pas manifeste. La Cour européenne
des droits de l’Homme semble reconnaître plus largement que le détenu dispose
d’un droit de désobéir, notamment en matière de fouille intégrale, dès lors que
la mesure a été prise en l’absence de « raisons authentiques et valides » [CEDH, sect. IV, 15 sept. 2015, Milkac. Pologne, req. n° 14322/12 : D. 2015.2010, note J. Falxa ; § 49 : « genuine and valid reasons »].
12.
Le recours
hiérarchique. Avant
de pouvoir contester la sanction disciplinaire prononcée par la Commission de
discipline devant le juge administratif, encore faut-il que le détenu exerce, au
préalable, le recours hiérarchique [art. R. 57-7-32 du
Code de procédure pénale. Le recours hiérarchique doit être exercé dans les
quinze jours de la notification de la décision de la Commission de discipline. Le directeur
interrégional dispose alors d’un délai d’un mois pour trancher. L’exercice du
recours hiérarchique suspend le délai du recours contentieux] devant le directeur
interrégional, exigence dont la jurisprudence veille au respect [CAA
Marseille, 28 déc. 2000, Pin, n°
98MA00072 : D. 2002. 110, chr. E. Péchillon. – CAA Douai, 4 avr. 2001, Lapeyre, n° 98DA12072 : D. 2002. 110, chr. E. Péchillon ; l’usage d’un second
recours hiérarchique, devant le ministre de justice, ne suspend plus le délai
de recours contentieux. – TA Rouen, 30 juin 2000, Druelle, n° 981187 : D. 2002.
110, chr. E. Péchillon ; le
recours hiérarchique doit être formulé en termes clairs et précis, si bien que
l’envoi d’un courrier ambigu au chef d’établissement ne peut être considéré
comme un recours hiérarchique]. La décision prise par l’autorité hiérarchique supérieure
se substitue alors à la décision originale [TA Nantes, 27 oct.
2004 : D. 2005. 995, chr. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ;
le directeur régional dispose du pouvoir de requalifier les fautes sanctionnées], laquelle peut être
la seule attaquée devant le juge administratif [TA Poitiers,
21 sept. 2000, Lenestour, n°
99384 : D. 2002. 110, chr. E. Péchillon]. Cette position
n’était pas sans créer un risque contentieux, à savoir que les moyens contre la
décision de la Commission de discipline
ne puissent plus être soulevés devant le juge administratif à défaut d’avoir
été présentés dans le recours hiérarchique. Le juge administratif admet
désormais que le juge administratif puisse être saisi indifféremment de moyens
contre le recours hiérarchique ou contre la décision initiale de la Commission de discipline, même nouveaux [CAA
Nancy, 17 nov. 2008, n° 08NC00357 : AJDA
2009. 390].
Ce recours est critiqué, notamment en ce qu’il n’est pas suspensif et qu’une
fois que l’autorité hiérarchique a statué, la sanction disciplinaire a déjà été
exécutée en totalité. Il ne faut pas oublier cependant que la culture
administrative de la Commission de discipline la rend sensible par nature à la
doctrine [plutôt
que jurisprudence]
de l’autorité hiérarchique devant laquelle elle doit répondre.
13.
Le recours en excès de
pouvoir.
L’arrêt Marie, comme déjà indiqué, a ouvert le recours en excès de pouvoir
contre la décision administrative de placement en cellule disciplinaire. Ce
recours n’est pas suspensif, si bien que la sanction disciplinaire se trouve
toujours exécutée lorsque le juge administratif statue. Les moyens d’annulation
tiennent donc dans les cas d’ouverture du recours en excès de pouvoir [par
ex., une motivation qui ne comprend aucune « considération de droit » doit être annulée ; CAA Nancy, 15
juin 2000, Sarisoy, n°
96NC0199 : D. 2002. 110, chr. J.-P. Céré]. Dans un premier temps de sa jurisprudence,
le juge administratif a cependant limité son contrôle de la proportionnalité de
la sanction prononcée à l’erreur manifeste d’appréciation [CE2 févr. 2000, n° 155607]. Cette position du juge administratif laissait de nouveau
le détenu à l’écart du droit commun, alors que partout ailleurs le juge
administratif augmentait son contrôle de la sanction disciplinaire. Cette
position était d’autant plus contestable que la latitude dont bénéficie le chef
d’établissement pénitentiaire pour prononcer la sanction la plus grave est très
importante [v.
supra]. C’est donc assez logiquement que le
Conseil d’État a modifié sa jurisprudence et assure désormais le plein contrôle
de la proportionnalité de la sanction disciplinaire pénitentiaire [CE,1er juin 2015, Boromée c. Min.justice, n° 380449 : Rec. CE].
14.
Le recours en
indemnisation. En
cas d’exécution d’une sanction disciplinaire prise sur le fondement d’une
décision ultérieurement annulée, il est possible pour le détenu d’obtenir une
indemnisation [TA
Clermont-Ferrand, 28 déc. 2006, n° 051103 : AJDA 2007. 817, concl. B. Blanchet : une indemnisation de
200 € a été allouée au détenu, dont la sanction disciplinaire avait été
finalement annulée, du fait que son avocat n’avait pas eu suffisamment de temps
pour préparer sa défense].
Le Conseil d’État a rappelé les conditions d’une telle indemnisation en cas
d’exécution d’une sanction disciplinaire annulée ultérieurement pour vice de
forme, le juge devant rechercher « si, compte tenu de la nature et de la gravité de cette irrégularité
procédurale, la même décision aurait pu être légalement prise, s'agissant tant
du principe même de la sanction que de son quantum, dans le cadre d'une
procédure régulière » [CE, 18 nov. 2015, n° 380461 : Rec. CE ; AJDA 2015.2236, note J.-M.
Pastor].
15.
La pression européenne. La sanction
disciplinaire de placement en cellule disciplinaire est susceptible de porter
atteinte à la dignité humaine. La jurisprudence européenne a estimé qu’en la
matière, il devait exister un recours « permettant au détenu de contester aussi bien la forme que le fond, et
donc les motifs, d’une telle mesure devant une instance juridictionnelle »
[CEDH, sect. V, 20 janv. 2011, Payet c. France, req. n° 19606/08 : D., 2011, p. 380, obs. S. Lavric ; D., 2011, p. 643, obs. J.‑P. Céré ; RSC, 2011, p. 718, obs. J.‑P. Marguénaud ; JCP, 2011, n° 184, obs. B. Pastre-Belda ; Procédures, 2011, comm. n° 94,
obs. N. Fricero ; Gaz. Pal., 21 avr. 2011, p. 11, comm. É. Senna ; § 131], reposant sur « des garanties minimales de célérité »
[ibid.,
§ 133].
Elle a constaté que le système de contrôle juridictionnel français, reposant
sur le recours hiérarchique obligatoire, puis le recours en excès de pouvoir,
aucun n’étant suspensif, empêchait le détenu de pouvoir saisir le juge avant
que la sanction n’ait été exécutée en entier. Dès lors, elle a sanctionné le
droit français puisqu’« un recours
inapte à prospérer en temps utile n'est ni adéquat ni effectif » [ibid.], ce qu’elle a confirmé ultérieurement
[CEDH, sect. V, 3 nov. 2011, Cocaign c. France, req. n° 32010/07 – CEDH, sect. V, 10 nov. 2011, Plathey c. France, req. n° 48337/09].
16.
Le référé-liberté. La législation, postérieurement
aux arrêts de violation rendus par la Cour européenne des droits de l’Homme au
sujet des recours existant en droit français pour contester la sanction
disciplinaire, a prévu l’usage du référé-liberté pour le détenu condamné à une
sanction disciplinaire [art. 726 Cpp], sans modifier ses
conditions de droit commun [art. L. 521-2 CJA], notamment d’« urgence » et d’ « atteinte grave et manifestement illégale »
à une liberté fondamentale. L’action en référé peut être formulée sans recours
hiérarchique préalable [TA Paris, 8 févr. 2001, Bruant,
n° 01 001634 : D. 2002. 110,
chr. E. Péchillon. – CE, 10 févr.
2004, Soltani, n° 264182]. Le recours n’est pas
suspensif, mais suffisamment rapide pour que le juge tranche avant la fin de
l’exécution de la mesure. La Cour européenne des droits de l’Homme n’a pas encore
véritablement développé son contrôle du placement en cellule disciplinaire sur
le fondement de l’article 3, si bien qu’en l’état de sa jurisprudence, la
sanction du placement en cellule disciplinaire est contraire à la Convention dans
quelques hypothèses seulement, telles que la disproportion au regard de l’état
mental du détenu [CEDH, sect. V, 16 oct. 2008, Renolde c. France, req. n° 5608/05], l’exposition du
détenu à des conditions de détention insalubres [Payet, préc.] ou
la disproportion manifeste [CEDH, sect. I, 7 juin 2007, Mikadze c. Russie, req. n° 52697/99 ;
la Cour, pour conclure à la violation de l'article 3, notait le défaut de « la
proportionnalité de certaines de ces sanctions par rapport aux faits commis,
mais aussi leur fréquence ». En l'espèce, le requérant avait subi dix-sept
condamnations pénitentiaires en un an, dont le cumul avait abouti à le faire
passer six mois en cellule disciplinaire, alors que certaines condamnations
concernaient des faits mineurs comme la détention de cigarettes].
Les conditions du référé-libertés, certes restrictives, ne s’opposent pas à la
recevabilité des griefs précédemment cités [on notera en tout cas
l’existence de décisions du fond qui défendent plutôt une vision large de
l’usage du référé‑liberté en matière de placement en cellule disciplinaire ;
voir TA Pau, 19 août 2005, n° 0501583 : AJP 2005.421, obs. C. S. Enderlin
et CA Lyon, 29 janv. 2015, n° 13LY03125 : AJP 2015. 163, note J. Falxa], si bien que
l’existence d’un recours interne efficace, au sens de la Convention contre le
placement en cellule disciplinaire pourrait être trouvée dans le référé-liberté
– du moins, tant que la Cour européenne des droits de l’Homme n’accentue pas
son contrôle du placement en cellule disciplinaire.
II/. - Les limites de la défense
17.
Plan. Les limites pratiques de
la défense au prétoire pénitentiaire relèvent de deux ordres. Par comparaison
aux moyens dont dispose l’avocat pénaliste, le domaine de l’intervention de
l’avocat est restreint devant la Commission de discipline (A.). Les autres limites sont à rapprocher du contexte pénitentiaire
(B.). Ces limites ne peuvent que
perdurer tant qu’il restera des limites conceptuelles (C.).
18.
Une défense de
permanence.
Si les détenus sollicitent en grande majorité un avocat pour assurer leur
défense en commission de discipline, rares sont ceux qui désignent un avocat :
dans la plupart des cas, l’avocat qui assiste le détenu au prétoire
disciplinaire est l’avocat désigné d’office. Le même avocat assure toutes les
commissions d’office au cours d’une même cession, sauf s’il existe un conflit
d’intérêt entre plusieurs détenus comparaissant dans la même affaire, auquel
cas un second avocat d’office interviendra. La qualité de la défense s’en
ressent nécessairement, alors que l’étude des dossiers et les entretiens
préalables avec les détenus ont été très courts, ces tâches étant souvent
menées le jour même de l’audience.
19.
Une défense de connivence. Pour tout pénaliste,
l’audience pénitentiaire reste un simulacre de procès, non pas que les gens qui
y participent soient systématiquement de mauvaise volonté ou ne cherchent pas
la justice, mais que la procédure est marquée par le sceau de la partialité. Il
n’existe pas de séparation des fonctions entre les organes d’enquête [elle est réalisée par
des officiers de l’administration pénitentiaire placés sous la direction du
chef d’établissement, en vertu de l’article R. 57-7-14 du Code de procédure
pénale],
de poursuite [la décision de renvoi devant la commission est
prise par le chef d’établissement en vertu de l’article R. 57-7-15 du Code de
procédure pénale, celui-ci étant aussi compétent pour demander tout complément
d’enquête],
de placement dans les mesures de sûreté [le chef
d’établissement peut décider du placement préventif du détenu en cellule de
confinement ou en cellule disciplinaire, sur le fondement des art. R. 57-7-18
et s. du Code de procédure pénale] et de jugement [la Commission de discipline est composée du chef
d’établissement et de deux assesseurs, lesquels n’ont que voix délibérative,
selon les articles R. 57-7-6 et s. du Code de procédure pénale]. Toutes ces fonctions
sont exercées par le chef d’établissement. Afin d’atténuer la critique de
partialité, un assesseur extérieur siège désormais dans la Commission de
discipline [art.
R. 57-7-8 du Code de procédure pénale] sur désignation du chef d’établissement [le
directeur ne peut mettre à l’écart du tableau de roulement un assesseur
habilité sans invoquer de raison légitime ; TA Nancy, 12 mai 2015, n°
1402184 : AJP 2015. 615, obs. M.
Herzog-Evans].
À défaut pour l’administration d’avoir recouru aux diligences suffisantes, la
sanction prononcée par une commission de discipline au sein de laquelle ne
siégerait pas l’assesseur doit être annulée [TA Nantes, 19
juill. 2013, n° 110337 : cité par M.
Herzog-Evans in « Aspects
pratiques de la procédure disciplinaire pénitentiaire en France », AJP 2013. 660. – CAA Nantes, 18 juil.
2013 : AJDA 2013. 2162]. L’installation de
l’assesseur extérieur a rencontré de nombreuses difficultés en pratique [J.-P. céré, D. 2014. 1235, chr. Exécution des
peines : « Il n'en demeure pas
moins que plusieurs commissions de discipline fonctionnent sans la présence du
membre extérieur, soit par défaut de nomination […], soit par défaut d'organisation du tribunal de grande instance […], soit par une absence ponctuelle du membre
nommé […]. Cette situation entraîne
une rupture d'égalité manifeste entre les personnes poursuivies. » - M. Herzog-Evans, « Aspects pratiques de
la procédure disciplinaire pénitentiaire en France » : AJP 2013. 660 : « Dans
certains ressorts on ne lui permet pas de lire le dossier, ne l'autorise qu'à
peine à poser des questions et encore moins à peser dans le délibéré. L'une
parmi les assesseurs interrogés a ainsi répondu qu'elle n'était que spectatrice
qu'il lui était répondu que la lecture par elle du dossier n'aurait « aucun
intérêt ». Dans un contexte similaire, un autre a déclaré : “Me demander de
me prononcer sans me donner toutes les infos, c'est neutraliser l'intérêt de ma
parole au délibéré et je ne sers” à rien »]. Il a de toute
manière simple voix consultative [art. R. 57-7-7 du
Code de procédure pénale].
D’autre part, le lieu de l’audience n’a rien de neutre et par commodité, la
salle d’audience se situe souvent directement dans le quartier disciplinaire,
au cœur des zones de détention. Dans ces conditions, la plaidoirie de rupture semble
devoir être réservée à des cas particuliers, puisqu’il est pratiquement
impossible de distinguer le juge de
l’ensemble des autres institutions intervenues en amont, si bien que toute
attaque, d’une manière ou d’une autre, vise en réalité le juge. C’est aussi
sans doute par égard pour ces considérations que de nombreux avocats plaident
devant l’organe disciplinaire sans porter leur robe.
20.
La plaidoirie de clémence.
La
question de l’efficacité des plaidoiries s’intéressant à la personnalité du
détenu pour appeler à la clémence est directement posée. D’abord, la commission
de discipline, malgré ses évolutions, n’en reste pas moins une institution d’essence
administrative, dont la culture est plutôt de considérer principalement la faute
et de rechercher, sur ce seul critère, une harmonisation des sanctions
prononcées. D’essence pénitentiaire, la culture de la Commission de discipline est
aussi de s’intéresser d’abord à la mauvaise conduite. Enfin, l’avocat de
permanence n’a qu’une connaissance très limitée de la personnalité du détenu, qu’il aura d’autant
plus de mal à imposer que le chef d’établissement côtoie depuis bien plus
longtemps le détenu. Dans ces conditions, l’avocat a peu de prise sur la
perception que peut avoir le chef d’établissement du détenu.
B/. - Les
limites liées au contexte pénitentiaire
21.
Des pratiques
pénitentiaires variables. Madame le Professeur Martine Herzog-Evans [« Aspects
pratiques de la procédure disciplinaire pénitentiaire en France » : AJP 2013. 660] a pointé les
difficultés de l’administration pénitentiaire à faire respecter les règles
procédurales et relevé en pratique « la
méconnaissance des conséquences juridiques du contradictoire (reprise de la
parole après l'avocat et le
détenu) », comme par exemple une « discussion sur des faits non communiqués à l'avocat et connus du seul président de la commission de
discipline - notons à cet égard qu'en l'espèce, la ministre de la Justice
prétendait de manière pour le moins surprenante que le rapport d'enquête était
un élément interne à l'administration pénitentiaire ! » ou une « réticence à diffuser des enregistrements
vidéos ». L’auteur poursuit en indiquant que « sur le terrain, de nombreux avocats se
plaignent de diverses pratiques gênant l'exercice effectif de leur intervention
et notamment : convocation tardive, désignation d'un avocat d'office en dépit
d'une demande, certes suite parfois au changement d'avis de la personne
détenue, de désigner finalement un avocat choisi, refus de délivrer à l'avocat
l'attestation de présence nécessaire à sa rémunération, sous des justifications
diverses... ». L’auteur révèle également que l’agent de
l’administration pénitentiaire assurant le rôle du greffier de l’audience,
demeure souvent présent durant les délibérés : « en pratique, ce “secrétaire” participe
généralement ainsi, de fait, aux débats ». Évidemment, s’il revient à
l’avocat d’appeler au respect des règles procédurales, et de se servir de ces
irrégularités pour contester la légalité de la procédure devant la Commission
ou ultérieurement devant la Commission, il semble subsister une certaine
culture selon laquelle la discipline demeure une prérogative de l’administration
pénitentiaire sur laquelle aucun élément extérieur, y compris l’avocat, ne peut
avoir de prise.
22.
L’enquête
pénitentiaire. Les
principaux éléments à charge figurant dans le dossier disciplinaire tiennent au
compte-rendu d’incident. Celui-ci ne présente pas toujours une qualité satisfaisante
[M. Herzog-Evans,
op. cit. : « Une première chose saute aux yeux : les
rapports d'incidents sont très souvent mal renseignés, reflétant souvent les
lacunes du compte rendu d'incident. Un florilège peut en donner une impression
: date des faits postérieure à la date de l'audience ou non renseignée ;
mention de ce que le détenu a été trouvé en possession d'une substance illicite
sans que celle-ci soit précisée (et accessoirement sans aucune sécurisation des
objets retenus) ; détention illicite d'un objet prohibé sans référence au
règlement intérieur ou sans précision de l'endroit où il a été découvert ;
mention de ce que deux surveillants étaient présents sans indication de leur
nom ; défense du détenu selon lequel l'objet trouvé dans sa cellule ne lui
appartient pas mais absence de mention du nom des codétenus, lesquels n'ont pas
été interrogés ; faits de violence grave vus par un surveillant, qui part en
vacances sans être entendu, etc. »]. De manière générale, la qualité des enquêtes
est critiquée [M. Herzog-Evans,
op. cit. : « la qualité souvent insuffisante de
l'établissement des faits, faute de temps, de spécialisation et de formation
des agents, de moyens matériels (par ex. absence de tests d'identification des
stupéfiants), ou d'organisation de la détention (par ex. insuffisance ou
absence d'état des lieux contradictoire des cellules au départ d'un détenu), ou
encore en raison des lacunes du droit positif (par ex. défaut de régime
juridique des perquisitions et saisies) »]. Il est dès lors
difficile pour l’avocat de rechercher dans le dossier des éléments à décharge,
notamment pour remettre en doute le contenu du compte-rendu. L’avocat n’a pas
toujours accès à l’ensemble des pièces à charge, ce qui constitue une lourde
violation des droits de la défense. En particulier, concernant les
enregistrements des faits litigieux, la juridiction administrative n’exige pas
leur diffusion lors de l’audience disciplinaire [dans une
affaire, le juge de première instance avait annulé la sanction disciplinaire,
du fait de l’absence de diffusion de l’enregistrement ; TA Dijon, 12 juin
2012, n° 1100942, AJP 2012. 557, obs.
M. Herzog-Evans. Le juge d’appel a
validé la sanction ; CAA Lyon, 18 avr. 2013, n° 12LY2085 : AJP 2013. 624, obs. M. Herzog-Evans]. Plus largement, la
récolte des preuves ne fait pas l’objet de réglementation spéciale, ce qui
prive l’avocat de moyens de défense procéduraux, notamment quant aux fouilles
et saisies pratiquées en cellule. Dans ces conditions, le compte-rendu
d’incident, dès lors qu’il attribue directement à un détenu un comportement
constitutif d’une faute, suffit le plus souvent à justifier le prononcé d’une
sanction disciplinaire.
23.
Les limites de
l’audience disciplinaire. Pour des raisons évidentes tenant à la loi du silence
régnant dans les établissements pénitentiaires, l’audience disciplinaire est
souvent « décevante » [M. Herzog-Evans, op. cit. : « Dans de très nombreux cas, l'on ne parvient
pas à se faire une idée claire des torts respectifs ou du déroulement des
faits. Les présidents de commission ne convoquent quasiment jamais de témoins,
ni ne pratiquent la confrontation »]. Il n’est pas rare qu’un détenu, parce qu’il
lui reste un reliquat de peine plus long ou parce qu’il subit la pression d’un
codétenu, reconnaisse des faits qu’il n’a pas commis pour décharger ses
codétenus de leur responsabilité [M.
Herzog-Evans, op.
cit. : « Le plus difficile
à accepter reste sans doute le fait que nombre de détenus se dénoncent pour
d'autres, craignant pour leur intégrité »]. L’avocat peut alors
révéler à la Commission ce que le détenu se refusera toujours de dire, pour
espérer obtenir l’atténuation de la sanction prononcée, sans grande espérance. La
qualité des débats souffre également des carences intellectuelles ou des
troubles mentaux que peuvent présenter certains détenus, dont personne n’ignore
la fréquence en détention. Au final, ces différents éléments ne font que
renforcer l’importance des faits rapportés sur le compte-rendu d’incident, que
le déroulé de l’audience ne pourra rarement contredire.
B/. - Les
limites conceptuelles
24.
L’absence de
prohibition du cumul des poursuites disciplinaires et pénales. Aucune prohibition de
cumul des poursuites disciplinaires et pénales n’existe en matière
pénitentiaire, ce que rappelle constamment le juge administratif. Ainsi, le juge
administratif n’a pas à sursoir à statuer dans l’attente de la décision pénale,
pour apprécier la légalité d’une poursuite disciplinaire [TA
Marseille, 5 nov. 1996, Piazza :
D. 1999, Jur. 511, obs. M. Herzog‑Evans et J.-P. Céré – TA Rouen, 1er
févr. 2000, Temagoult : D. 2001. 565, obs. M. Herzog-Evans – TA Versailles, 16 mars
2001, n° 98316 : D. 2002. 110,
chr. M. Herzog-Evans]. Même une relaxe
pénale n’empêche pas le juge administratif de pouvoir qualifier le fait de
faute disciplinaire et de prononcer une sanction [CAA
Nantes, 3 mars 2005, n° 03NT01745 : chr. M.
Herzog-Evans, D. 2006. 1078 ;
il s’agissait d’un détenu ayant mis le feu à une couverture dans le but
d’obtenir un examen médical dont il n’avait pu bénéficier en usant des voies
normales. – TA Rouen 24 juil. 2002, Garondo, n° 00134 : D. 2004.
1095, chr. M. Herzog-Evans].
25.
L’inapplicabilité de
l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme. La défense au prétoire
disciplinaire souffre de la partialité de la procédure, qui ne respecte pas les
garanties du procès équitable, dont le champ est fixé par l’article 6 de la
Convention européenne des droits de l’Homme. Le débat est connu. La
jurisprudence européenne des droits de l’Homme n’inclut la sanction
disciplinaire pénitentiaire dans le champ de l’article 6, sur le critère de la
matière pénale, que dans seul cas où la sanction aboutit directement à allonger
le reliquat de peine qu’il restait au détenu à purger [CEDH, gde ch., 9 oct.2003, Ezeh et Connors c. Royaume-Uni,req. nos 39665/98 et 40086/98]. Or, en droit français, le placement
en cellule disciplinaire ne constitue qu’une modalité plus sévère d’exécution
de la peine, sans l’allonger. Cette position théorique est évidemment
contredite par la pratique, dès lors que les sanctions disciplinaires sont
toujours prises en compte par le juge de l’application des peines lors de
l’examen d’une demande d’aménagement de peine et interfèrent pareillement sur
le retrait des crédits de réductions de peine ou l’octroi d’un crédit de peine
supplémentaire [art.721 et s. cpp].
Cette approche factuelle de l’allongement de la durée de la privation de
liberté causée par les sanctions disciplinaires a été développée devant la Cour
européenne des droits de l’Homme, qui a malgré tout réfuté l’application de
l’article 6, au motif qu’ « il
n'a pas été démontré [que la sanction disciplinaire] ait en aucune manière allongé la durée de la détention du requérant »
[Payet,
préc., § 98 – v. les différentes analyses de M. le professeur J.-P. Céré, dont les références sont
citées en bibliographie, aux termes desquelles celui-ci conclut à l’application
de l’article 6].
La jurisprudence devrait en revenir plus simplement au constat de la gravité de
la sanction de placement en cellule disciplinaire et des similitudes entre le
droit disciplinaire pénitentiaire et le droit pénal, tant d’un point de vue
procédural qu’au niveau des comportements réprimés, pour appliquer à la
décision de placement l’article 6 de la Convention européenne des droits de
l’Homme.
26.
Conclusion :
la part des avocats. La défense au prétoire pénitentiaire est
nécessairement altérée par l’absence d’application des garanties du procès
équitable, et l’intervention de l’avocat ne peut à elle‑seule compenser ces
manques. L’application de l’article 6 de la Convention européenne des droits de
l’Homme constitue le remède à cette première limitation. La défense est aussi
entravée, dans certains établissements, par la pratique pénitentiaire. Elles
n’ont rien d’insurmontables et la reconnaissance de l’application des règles du
procès équitable apparaît également comme le meilleur moyen pour forcer à l’administration
de se départir définitivement d’une culture rejetant toute intervention extérieure
dans la matière de la discipline. Les avocats doivent aussi peser sur la levée
des limites de la défense au prétoire pénitentiaire, alors que la qualité
inégale de leurs interventions devant la Commission de discipline est également
critiquée [M. Herzog-Evans, « Aspects pratiques
de la procédure disciplinaire pénitentiaire en France » : AJP 2013. 660. « Mes
collègues assesseurs et moi-même n'avons pu manquer de constater que la plupart
des avocats intervenant en commission ne soulèvent pas les nombreuses causes de
nullité qui s'y manifestent, contribuant ainsi à leur persistance. Une partie
des avocats sont cependant tout à fait compétents, voire excellents. Ils auront
lu le dossier et sauront en pointer chaque imperfection ; ils connaissent bien
les logiques carcérales et/ou leur client apportant un éclairage tout à fait
utile. Ces avocats sont écoutés religieusement par tous et parfois craints,
mais admirés par les membres de la commission. Beaucoup d'entre eux sont toutefois d'une compétence moyenne, voire
faible. Ils ont à peine lu le dossier, parlent d'une voix monocorde et faible -
en dépit du niveau sonore de l'établissement - ; sont manifestement peu
concernés ; ne font pas avancer la compréhension du dossier ou de leur client ;
ne voient pas les erreurs juridiques criantes ou les vices de procédure tout
aussi manifestes ni ne demandent à voir quelles sont les normes internes
prétendument violées (v. supra). Comme le note cet assesseur interrogé : « Un
plus grand intérêt des avocats pour la matière pénitentiaire ne ferait pas de
mal non plus. Combien de vices de fond et forme passent sous mes yeux de simple
étudiante, alors même qu'ils glissent sous ceux des avocats professionnels ! ».
Il va de soi qu'ils font alors piètre impression sur la commission. »].
J. Falxa, Le droit disciplinaire pénitentiaire : une
approche européenne, th. Pau et Salamanca, 2014
J.-P. Céré, Droit
disciplinaire pénitentiaire, Paris, l'Harmattan, 2011
V.
Bianchi, « La défense des personnes
condamnées à de longues peines » : AJP 2015. 299
N. Bourgoin et C. Galindo,
« La règle et son application : la punition en prison » ; RSC 2004. 323
J.-P. Céré, « Le droit disciplinaire pénitentiaire entre
jurisprudence interne et européenne » : AJP 2005. 393
J.-P. Céré, « Feu le nouveau droit disciplinaire
pénitentiaire » ; AJP 2011.
172
J.-P. Céré, « La procédure disciplinaire pénitentiaire à
l’épreuve de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’Homme » ; AJP 2012. 533.
P. Couvrat, « Le régime disciplinaire des détenus depuis
le décret du 2 avril 1996 » : RSC
1996. 709
J. Falxa, « Regards comparés sur le droit au recours
effectif en matière pénitentiaire » : AJP 2015. 358
M. Giacopelli, « La pénétration des règles du procès pénal
devant les juridictions de l'application des peines : état des
lieux » ; RSC 2015. 799
M. Herzog-Evans, « La réforme du régime disciplinaire dans
les établissements pénitentiaires » : RPDP 1997. 9
M. Herzog-Evans, « Aspects pratiques de la procédure
disciplinaire pénitentiaire en France » : AJP 2013. 660
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