dimanche 16 octobre 2016

[chron.] Pratique de la défense au prétoire pénitentiaire


1.                  L’avocat pénitentiairiste. Les domaines d’intervention de l’avocat auprès de la personne condamnée à une peine privative de liberté ont été largement accrus, accompagnant le mouvement plus large d’amélioration des droits des détenus. La matière pénitentiaire stricto sensu est évidemment concernée. Outre le procès disciplinaire [à travers le célèbre arrêt Marie, par lequel le juge administratif a accepté d’assurer le contrôle de ces décisions, le procès pénitentiaire a même été la première étape de cette évolution – CE,17 févr. 1995, Marie, n° 97754 : Rec. CE, p. 89 ; D., 1995. 381, note N. Belloubet‑Frier ; RFDA 1995. 353, concl. P. Frydman ; RFDA 1995. 822, note F. Moderne ; RFDA 1995. 826, note J.‑P. Céré ; RSC 1995. 381, obs. P. Couvrat ; RSC 1995. 621, obs. M. Herzog‑Evans ; GAJA, 19e éd., 2013, n° 94], l’avocat peut également intervenir dans la procédure de placement et de prolongation à l’isolement [art.726-1 CPP]. Le développement du contrôle du juge administratif sur les décisions de l’administration pénitentiaire ouvre un autre pan possible d’intervention de l’avocat dans le contentieux de l’annulation [v. par ex. pour les décisions de transfert forcé du détenu, CE, ass.,14 déc. 2007, Boussouar,n° 290730 : Rec. CE. 495 ; RDP 2009. 217, chron. C. Groulier ; Gaz. Pal., 9 août 2008. 24, chron. J.-L. Pissaloux et L. Minot ; D. 2008. 820, note M. Herzog‑Evans ; ibid. 1017, chron. É. Péchillon ; RFDA 2008. 87, concl. M. Guyomar ; AJDA 2008, p. 128, chron. J. Boucher et B. Bourgeois‑Machureau ; RSC 2008. 404, chron. P. Poncela] ou par l’usage des référés administratifs [v. par ex. pour l’usage du référé-liberté contre une mesure d’isolement pénitentiaire, CE, réf., 22 avr. 2010, min.justice et des libertés c. Mebarek, n° 338662 : Rec. CE. T : AJDA. 2010. 929, obs. S. Brondel ; D. 2011. 1306, chron. É. Pechillon ; AJP 2010. 299, obs. É. Pechillon ; RSC 2010 p. 645, chron. P. Poncela ; RFDA, 2013. 576, chron. L. Milano]. Le développement du contrôle de la dignité des conditions de détention permet désormais d’engager la responsabilité administrative de l’État [CE, sect., 6 déc. 2013, 6 arrêts, n° 363290,363291, 363292, 363293, 363294 et 363295 : Rec. CE ; AJDA 2014. 237, concl. D. Hedary ; Dr. admin. 2014, repère n° 3, obs. J-B. Auby ; AJP 2014,. 143, comm. É. Péchillon] ou de lui imposer des injonctions en amélioration des conditions de détention [v. par ex. CE, réf., 30juil. 2015, 392043, OIP-SF et Ordres desavocats au barreau de Nîmes : Rec. CE]. La judiciarisation progressive de l’aménagement des peines offre à l’avocat un rôle essentiel dans le procès devant les juridictions compétentes [v. pour le juge de l’application des peines, l’art. 712-6 du Code de procédure pénale, et pour le Tribunal de l’application des peines, l’art. 712-7 du Code de procédure pénale]. Aussi, le cas de la personne condamnée est aussi de plus en plus encadré par des principes supra-légaux, permettant l’usage de la question prioritaire de constitutionnalité [v. par ex. sur le travail pénitentiaire, Cons. const., déc. n° 2015-485 QPC du 25 sept. 2015, M.Johny M.] ou de la requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme. C’est une nouvelle demande sur le marché du droit qui a vu le jour, et qui mérite sans doute que des avocats ayant de solides compétences en la matière y répondent, même si le dénuement de la population pénale complique évidemment la rentabilisation de cette activité. Maître Etienne Noël, actif sur plusieurs de ces contentieux et souvent pionner [Notamment celui de l’aménagement de peine avec la suspension médicale de peine et celui de l’engagement de la responsabilité de l’État pour conditions indignes de détention], a montré que ce nouveau marché pouvait constituer pour un avocat, au moins, une belle vitrine.

2.                 L’admission de l’avocat au prétoire des prisons. L’arrêt Marie [CE, 17 févr. 1995, Marie, n° 97754 : Rec. CE, p. 89] a constitué une étape primordiale de ce mouvement d’accroissement des droits du détenu pour admettre le recours en excès de pouvoir contre la sanction disciplinaire, considérée jusque-là comme une mesure d’ordre intérieure. Avant ce revirement de jurisprudence, l’impératif de discipline prédominait jusqu’à exclure le contrôle du juge administratif. Cette qualification a perduré en matière pénitentiaire longtemps [L’ouverture du recours en excès de pouvoir pour les sanctions disciplinaires a eu lieu en même temps que l’ouverture du recours pour les sanctions disciplinaires militaires (v. l’arrêt Hardouin, à la même date que l’arrêt Marie), autre domaine dans lequel l’exigence de discipline est particulièrement forte], alors qu’ailleurs un mouvement plus large d’ouverture du recours en excès de pouvoir était notable. À sa suite, l’admission de l’avocat au prétoire pénitentiaire a été impromptue : la doctrine administrativiste a en effet remarqué qu’en tant qu’usager du service public pénitentiaire [v. la thèse d’E. Péchillon, Sécurité et droit du service public pénitentiaire, LGDJ, 1998], le détenu pouvait opposer à l’administration – et donc à la commission de discipline – les droits communs reconnus aux usagers, notamment le droit « se faire assister par un conseil » lorsque l’administration statue sur une décision individuelle défavorable [v. l’ancien art. 24 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations], ce que l’administration a fini par organiser [Circulaire de la direction de l’administration pénitentiaire du 9 mai 2003], avant que le législateur n’inscrive dans la loi le droit à l’assistance d’un avocat en cette matière [art. 726 Cpp]. Parallèlement, les progrès ont abouti à une meilleure qualité des sources de droit et à la réforme du droit disciplinaire en prison, afin notamment de mieux définir la faute punissable, dans une démarche reconnaissant, en quelque sorte, l’application de la légalité criminelle [art. R. 57-7 du Code de procédure pénale] à la matière. Le droit procédural de la matière disciplinaire [art. R. 57‑7-5 cpp et s.] arrive désormais à une certaine forme de maturité, qui justifie un état des lieux. En effet, le système normatif est régulièrement attaqué [v. pour la sanction de suspension des activités contrôlée par rapport à l’objectif de réinsertion, CE 26 juin 2015, n° 375133 : D. actu. 1er sept. 2015, note C. Fonteix. – v. pour la même sanction contrôlée par rapport à la liberté religieuse des détenus, CE, 11 juin 2014, n° 365237 : Rec. CE ; D. actu. 18 juin 2014, obs. J.-M. Pastor], et pour l’instant, préservé.
3.                 La défense contre le placement en cellule disciplinaire. Il n’est désormais plus contestable que le placement du détenu en cellule disciplinaire [v. les art. R.57-7-43 et s. sur le régime du placement en cellule disciplinaire] – au mitard – est susceptible de porter atteinte à sa dignité [L’article 726 du Code de procédure pénale reconnait le droit au détenu frappé d’une telle mesure de saisir le juge administratif en référé-liberté], quand bien même la durée maximale du placement est limitée [Selon l’art. 726 du Code de procédure pénale, la mise en cellule disciplinaire ne peut dépasser vingt jours, sauf pour « tout acte de violence physique contre les personnes », auquel cas la sanction peut durer trente jours], par rapport au placement à l’isolement pénitentiaire. Le dépassement du seuil, nécessaire à la qualification de torture et de traitement inhumain et dégradant, est cependant lié aux mauvaises conditions de détention qui règnent au quartier disciplinaire, lesquelles créent des souffrances supplémentaires qui s’ajoutent à celles générées par l’isolement [v. par ex. pour l’annulation de la décision de refus du directeur d’établissement de Fleury-Merogis de fermer le quartier disciplinaire destiné aux femmes, dès lors que cette décision avait « pour effet d'exposer les détenues les plus vulnérables […] ou celles sanctionnées par les mises en cellule disciplinaire les plus longues, à des épreuves physiques et morales [excédant] le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et étaient, dès lors, attentatoires à la dignité des intéressées », CE, 30 décembre 2014, n° 364774 : AJDA 2015. 484. Le Conseil d’État s’est référé à un rapport d’expertise réalisé sur les conditions de détention au quartier disciplinaire, lequel avait établi leur délabrement]. Le droit disciplinaire, par souci de dégager une très large marge d’appréciation à l’administration pénitentiaire, autorise largement le recours à la décision de placement en cellule disciplinaire, puisqu’elle peut réprimer toute faute commise, indépendamment de sa gravité, laquelle ne sert qu’à modifier la durée maximale de la sanction [Art. R. 57-7-47 Cpp : « Pour les personnes majeures, la durée de la mise en cellule disciplinaire ne peut excéder vingt jours pour une faute disciplinaire du premier degré, quatorze jours pour une faute disciplinaire du deuxième degré et sept jours pour une faute disciplinaire du troisième degré. Cette durée peut être portée à trente jours lorsque les faits commis constituent une des fautes prévues au 1° et au 2° de l'article R. 57-7-1 »]. Cette sanction est également prévue pour les mineurs de plus de seize ans, avec des restrictions plus importantes [Art. R. 57-7-48 Cpp : « La durée du placement en cellule disciplinaire des personnes mineures de plus de seize ans ne peut excéder sept jours pour une faute du premier degré et cinq jours pour une faute du second degré »]. Dans ces conditions, la gestion des places disponibles apparaît comme la principale limite au prononcé de la sanction [M. Herzog-Evans, « Aspects pratiques de la procédure disciplinaire pénitentiaire en France » : AJP 2013. 660]. Dès lors, l’objectif de la défense consiste à éviter le placement en cellule disciplinaire, ce qui revient le plus souvent à obtenir la relaxe. C’est la gravité de la sanction du placement en cellule disciplinaire qui justifie pleinement le déclenchement des droits de la défense, qui donne à l’intervention de l’avocat toute sa légitimité. Il est de ce point de vue extrêmement dommageable d’entendre encore parfois que l’avocat n’aurait aucun rôle important au prétoire disciplinaire.  
4.                 Les droits de la défense en pratique. La réglementation prévoit en principe un réel exercice des droits de la défense au profit de la personne détenue : notification préalable au détenu de l’accusation portée contre lui, mise à disposition du dossier, convocation à l’audience, délai minimal laissé pour préparer la défense, droit à l’assistance d’un avocat du choix du détenu ou désigné d’office, avec bénéfice de l’aide juridictionnelle, rappel des droits du détenu devant la commission de discipline et l’assistance de l’avocat est obligatoire pour les mineurs [art. R. 57‑7‑16 Cpp et s.]. Il est vrai qu’en pratique la défense dispose d’atouts (I), lesquels ne suffisent pas à vaincre d’importantes limites (II).

I/. - Les atouts de la défense

5.                 Plan. Le juge administratif, juge de la légalité de la décision administrative, assure le contrôle du respect de l’exercice des droits de la défense lors de la procédure disciplinaire, sous peine de nullité (A.). L’avocat, dont le rôle est ainsi en principe préservé, dispose de véritables moyens de défense qui peuvent se révéler efficaces (B.). En cas d’échec, l’avocat se doit de maîtriser les voies de recours ouvertes. Elles sont complexes en la matière, et ne peuvent passer pour suffisantes. Elles sont cependant en amélioration (C.) [et c’est pour insister sur l’amélioration du droit, plutôt que sur leur insuffisance, que leur étude sera effectuée dans cette première partie].


6.                 Le contrôle de l’exercice des droits de la défense. L’atteinte aux droits de la défense du détenu est un motif de nullité de la décision administrative portant la sanction disciplinaire. Le juge administratif fait peser sur l’administration pénitentiaire la charge de procéder « aux diligences nécessaires » [TA Lyon, 1er déc. 2015, n° 1304054 : AJP 2016. 227, note M. Herzog‑Evans] ou encore « aux diligences utiles » [TA Versailles, 8 avr. 2004, n° 0302152 : AJP 2004. 294, obs. E. Péchillon] pour joindre l’avocat désigné par le détenu ou le bâtonnier en vue de la désignation d’un avocat d’office, afin que le défenseur puisse assister le détenu lors de l’audience pénitentiaire. Il en ressort, qu’en principe, « seules l'urgence et des circonstances exceptionnelles » permettent de dispenser l’administration pénitentiaire de procéder à ces diligences [TA Versailles, 5 févr. 2004, nos 0201363 et 0200952 : AJP 2004. 294, obs. E. Péchillon ; en l’espèce, le juge a estimé qu’il n’existait aucune urgence justifiant l’absence de diligences pour assurer l’intervention de l’avocat, s’agissant de détenus qui avaient été immédiatement transférés dans un autre établissement après la  commission des faits, au cours d’une émeute]. Certaines décisions du fond accordent une certaine souplesse à l’administration pénitentiaire, peu compatible avec l’importance qui devrait toujours être reconnue aux droits de la défense [v. par ex. TA Lyon, 1er déc. 2015, n° 1304054 : AJP 2016. 227, note M. Herzog-Evans : le juge administratif estimait que l’administration avait procédé aux diligences suffisantes pour contacter l’avocat désigné par le détenu en se référant à des coordonnées erronées trouvées sur un site non-officiel et en opérant au surplus une confusion dans le nom de l’avocat]. D’autres décisions montrent un contrôle plus exigeant [v. s’agissant d’une décision indemnisant le détenu (pour la somme de 300 €) du fait de l’exécution d’une sanction de 30 jours de mise en cellule disciplinaire prise sur le fondement d’une décision annulée au terme du recours hiérarchique, parce que l’administration n’avait pas contacté l’avocat désigné pour avoir employé un numéro de télécopie erroné, TA Rouen, 30 juil. 2004, n° 0200894 : AJP 2004. 414, note M. Herzog-Evans], et donc plus satisfaisant. Dès lors, le renvoi de l’affaire sollicité devant la commission de discipline, du fait de l’absence de l’avocat, ne semble pouvoir être refusé, sauf à ce que l’administration ait réalisé les diligences adéquates [TA Toulouse, 30 nov. 2004 : D. 2005. 995, chr. J.-P- Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon]. De la même manière, le juge administratif vérifie que le détenu a bien pu bénéficier du temps suffisant pour préparer sa défense, ce qui n’est pas le cas lorsque celui-ci a dû rendre immédiatement le dossier après sa notification [CAA Lyon, 29 janv. 2015, n° 13LY03112 : chr. Exécution des peines, J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et É. Péchillon, D. 2015. 1122]. Le juge administratif contrôle également l’exercice du droit à l’interprète du détenu devant la commission de discipline [TA Melun, 15 mars 2001, Daoud, n° 00-1255 : D. 2002. 110, chr. J.-P. Céré. En l’espèce, l’étranger, ayant étudié la langue française pendant trois ans et vivant en France depuis sept ans, n’avait pas besoin d’un interprète].


7.                 La charge de la preuve. La charge de la preuve de la commission d’une faute disciplinaire incombe à l’administration. Deux moyens peuvent servir efficacement à critiquer la preuve ramenée par l’administration. D’abord, l’avocat peut profiter de la collectivité de la détention. Ainsi, il ne peut être imputé à un détenu en particulier la possession illicite d’un objet retrouvé dans une cellule collective, sans aucun indice d’appartenance à l’un ou à l’autre. Ensuite, l’avocat doit savoir s’engouffrer dans les manques de l’enquête, celle-ci étant par nature sommaire du fait de l’impossibilité pour l’administration pénitentiaire de procéder à des investigations techniques. Ces moyens sont d’autant plus utiles que le contentieux disciplinaire de la possession d’objets illicites, notamment les chargeurs ou les téléphones, est fréquent, au point que la jurisprudence administrative a été saisie à plusieurs reprises de cette question et s’est montrée régulièrement rigoureuse. Ainsi, la possession illicite d’une carte SIM retrouvée en cellule collective ne peut être retenue contre un détenu au seul motif qu’il a déjà été sanctionné pour les faits relatifs à la possession de téléphones [TA Nice, 12 oct. 2004, n° 0003287 : D. 2005. 995, chr. J.-P- Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon]. Aussi, la commission de violences ne peut être retenue sur la foi du seul compte-rendu d’incident d’un gardien qui n’a pas été témoin de l’incident, alors que le dossier ne contenait aucun autre témoignage [TA Strasbourg, 19 janv. 2001, N’Guyen, n° 992945 : D. 2002. 110, chr. J.-P- Céré]. Un tribunal correctionnel – la découverte de produits stupéfiants en cellule avait abouti à des poursuites pénales – a aussi écarté la valeur probante de « la seule déclaration d’un surveillant pénitentiaire sur la découverte de la substance en dehors de la présence du détenu alors transféré dans un autre établissement » pour prononcer la relaxe [TGI Alençon, 17 sept. 2015 : AJP 2016. 157, obs. M. Herzog-Evans].
8.                 La requalification des faits. La commission de discipline est habilitée à procéder à la requalification de la faute incriminée à l’audience [TA Nantes, 5 oct. 2011, n° 0805737 : cité par M. Herzog-Evans in « Aspects pratiques de la procédure disciplinaire pénitentiaire en France », AJP 2013. 660]. L’avocat doit être particulièrement vigilant aux fautes poursuivies, dès lors qu’en pratique, les commissions ont les plus grandes difficultés à retenir les qualifications adéquates [M. Herzog‑Evans, op. cit.]. Il faut dire que les fautes listées sont très nombreuses, et que certaines de différents degrés ont une définition proche.
9.                 Le droit disciplinaire spécial. Les fautes disciplinaires définies par le Code de procédure pénale s’apparentent à de véritables infractions pénales, si bien qu’il peut être utile d’utiliser des techniques de droit pénal spécial pour soutenir que les éléments constitutifs de la faute ne sont pas réunis. Devant le juge administratif, un détenu a défendu plus efficacement que des propos tenus à un proche lors d’une conversation téléphonique écoutée par l’administration pénitentiaire relevaient du respect de sa vie privée et ne pouvaient donner lieu à une sanction du fait d’injures et outrages à un surveillant. La Cour administrative d’appel de Paris a invalidé la sanction, sans directement consacrer un droit à la vie privée du détenu, mais du fait que les propos n’ont pas été tenus publiquement et n’étaient pas adressés aux surveillants, ni destinés à ce que l’on leur rapporte [CAA Paris, 7 avr. 2016, n° 14PA01976 : AJP 2016. 283, note M. Herzog-Evans]. Le juge administratif a ici directement repris la jurisprudence de la chambre criminelle, en matière d’injure. Dans une autre affaire, le juge administratif a refusé de considérer que le retard dans la réintégration de l’établissement du fait d’un contrôle policier pouvait donner lieu à des poursuites disciplinaires, dès lors que l’élément intentionnel faisait défaut [TA Caen, 10 oct. 2000, req. no 00125, Leblouch D. 2002. 115, obs. M. Herzog-Evans]. Enfin, certaines décisions ont pu retenir que la sanction reposant sur une contravention à une note nécessitait, pour être valide, que l’administration ramène la preuve de la connaissance par le détenu de celle-ci [TA Limoges, 1er déc. 2005, n° 0301070 : chr. E. Péchillon, D. 2006. p. 1078. Voir pour les difficultés naissant de l’application tatillonne du règlement intérieur, alors que les surveillants conservent souvent une marge de manœuvre avec celui-ci pour obtenir la paix sociale, M. Herzog-Evans, « Aspects pratiques de la procédure disciplinaire pénitentiaire en France » : AJP 2013. 660].
10.              Les faits justificatifs. L’étude de la jurisprudence montre qu’en pratique, les détenus tentent fréquemment de se défendre de la commission d’une faute disciplinaire en invoquant des faits justificatifs, avec des résultats divers. Dans un cas, l’état de nécessité n’a pas été retenu par le juge administratif, à la différence du juge pénal saisi des mêmes faits, s’agissant d’un détenu ayant mis le feu à une couverture dans le but d’obtenir un examen médical et d’outrepasser l’inertie de l’administration [CAA Nantes, 3 mars 2005, n° 03NT01745 : chr. M. Herzog-Evans, D. 2006. 1078]. Certains juges ont admis l’efficacité par principe du fait justificatif tout en estimant que ses conditions n’étaient pas remplies [TA Versailles, 16 mars 2001, n° 98316 : D. 2002. 110, chr. M. Herzog-Evans]. D’autres ont reconnu que le fait justificatif effaçait la faute [CAA Marseille, 11 déc. 2001, Maria, n° 98MA00849 : D. 2005. 995, chr. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon]. D’autres encore ont estimé le moyen inopérant par principe [TA Amiens, 20 juil. 2004, n° 0200025 : D. 2005. 995, chr. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon]. Une décision a même pu retenir que la faute disciplinaire – un défaut de surveillance – pouvait excuser la faute du détenu – la consultation de la fiche d’un détenu au greffe de l’établissement [TA Rouen, 11 mai 2000, Fontaine, n° 97459 : D. 2002. 110, chr. M. Herzog-Evans].
11.               Les libertés fondamentales. La jurisprudence montre que certains détenus ont contesté la commission d’une faute disciplinaire en tentant de la justifier par l’exercice d’une liberté fondamentale. Ainsi, le Conseil d’État a reconnu que le détenu pouvait désobéir à un ordre qui « serait manifestement de nature à porter une atteinte à la dignité de la personne humaine » [CE, 20 mai2011, Biteri, n° 326084 : Rec. CE]. L’exception de dignité est ici faiblement reconnue, notamment en ce que le détenu se trouve contraint d’obéir, dès lors que l’atteinte à sa dignité n’est pas manifeste. La Cour européenne des droits de l’Homme semble reconnaître plus largement que le détenu dispose d’un droit de désobéir, notamment en matière de fouille intégrale, dès lors que la mesure a été prise en l’absence de « raisons authentiques et valides » [CEDH, sect. IV, 15 sept. 2015, Milkac. Pologne, req. n° 14322/12 : D. 2015.2010, note J. Falxa ; § 49 : « genuine and valid reasons »].


12.              Le recours hiérarchique. Avant de pouvoir contester la sanction disciplinaire prononcée par la Commission de discipline devant le juge administratif, encore faut-il que le détenu exerce, au préalable, le recours hiérarchique [art. R. 57-7-32 du Code de procédure pénale. Le recours hiérarchique doit être exercé dans les quinze jours de la notification de la décision de la  Commission de discipline. Le directeur interrégional dispose alors d’un délai d’un mois pour trancher. L’exercice du recours hiérarchique suspend le délai du recours contentieux] devant le directeur interrégional, exigence dont la jurisprudence veille au respect [CAA Marseille, 28 déc. 2000, Pin, n° 98MA00072 : D. 2002. 110, chr. E. Péchillon. – CAA Douai, 4 avr. 2001, Lapeyre, n° 98DA12072 : D. 2002. 110, chr. E. Péchillon ; l’usage d’un second recours hiérarchique, devant le ministre de justice, ne suspend plus le délai de recours contentieux. – TA Rouen, 30 juin 2000, Druelle, n° 981187 : D. 2002. 110, chr. E. Péchillon ; le recours hiérarchique doit être formulé en termes clairs et précis, si bien que l’envoi d’un courrier ambigu au chef d’établissement ne peut être considéré comme un recours hiérarchique]. La décision prise par l’autorité hiérarchique supérieure se substitue alors à la décision originale [TA Nantes, 27 oct. 2004 : D. 2005. 995, chr. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon ; le directeur régional dispose du pouvoir de requalifier les fautes sanctionnées], laquelle peut être la seule attaquée devant le juge administratif [TA Poitiers, 21 sept. 2000, Lenestour, n° 99384 : D. 2002. 110, chr. E. Péchillon]. Cette position n’était pas sans créer un risque contentieux, à savoir que les moyens contre la décision de la  Commission de discipline ne puissent plus être soulevés devant le juge administratif à défaut d’avoir été présentés dans le recours hiérarchique. Le juge administratif admet désormais que le juge administratif puisse être saisi indifféremment de moyens contre le recours hiérarchique ou contre la décision initiale de la  Commission de discipline, même nouveaux [CAA Nancy, 17 nov. 2008, n° 08NC00357 : AJDA 2009. 390]. Ce recours est critiqué, notamment en ce qu’il n’est pas suspensif et qu’une fois que l’autorité hiérarchique a statué, la sanction disciplinaire a déjà été exécutée en totalité. Il ne faut pas oublier cependant que la culture administrative de la Commission de discipline la rend sensible par nature à la doctrine [plutôt que jurisprudence] de l’autorité hiérarchique devant laquelle elle doit répondre.
13.              Le recours en excès de pouvoir. L’arrêt Marie, comme déjà indiqué, a ouvert le recours en excès de pouvoir contre la décision administrative de placement en cellule disciplinaire. Ce recours n’est pas suspensif, si bien que la sanction disciplinaire se trouve toujours exécutée lorsque le juge administratif statue. Les moyens d’annulation tiennent donc dans les cas d’ouverture du recours en excès de pouvoir [par ex., une motivation qui ne comprend aucune « considération de droit » doit être annulée ; CAA Nancy, 15 juin 2000, Sarisoy, n° 96NC0199 : D. 2002. 110, chr. J.-P. Céré]. Dans un premier temps de sa jurisprudence, le juge administratif a cependant limité son contrôle de la proportionnalité de la sanction prononcée à l’erreur manifeste d’appréciation [CE2 févr. 2000, n° 155607]. Cette position du juge administratif laissait de nouveau le détenu à l’écart du droit commun, alors que partout ailleurs le juge administratif augmentait son contrôle de la sanction disciplinaire. Cette position était d’autant plus contestable que la latitude dont bénéficie le chef d’établissement pénitentiaire pour prononcer la sanction la plus grave est très importante [v. supra]. C’est donc assez logiquement que le Conseil d’État a modifié sa jurisprudence et assure désormais le plein contrôle de la proportionnalité de la sanction disciplinaire pénitentiaire [CE,1er juin 2015, Boromée c. Min.justice, n° 380449 : Rec. CE].
14.              Le recours en indemnisation. En cas d’exécution d’une sanction disciplinaire prise sur le fondement d’une décision ultérieurement annulée, il est possible pour le détenu d’obtenir une indemnisation [TA Clermont-Ferrand, 28 déc. 2006, n° 051103 : AJDA 2007. 817, concl. B. Blanchet : une indemnisation de 200 € a été allouée au détenu, dont la sanction disciplinaire avait été finalement annulée, du fait que son avocat n’avait pas eu suffisamment de temps pour préparer sa défense]. Le Conseil d’État a rappelé les conditions d’une telle indemnisation en cas d’exécution d’une sanction disciplinaire annulée ultérieurement pour vice de forme, le juge devant rechercher « si, compte tenu de la nature et de la gravité de cette irrégularité procédurale, la même décision aurait pu être légalement prise, s'agissant tant du principe même de la sanction que de son quantum, dans le cadre d'une procédure régulière » [CE, 18 nov. 2015, n° 380461 : Rec. CE ; AJDA 2015.2236, note J.-M. Pastor].
15.              La pression européenne. La sanction disciplinaire de placement en cellule disciplinaire est susceptible de porter atteinte à la dignité humaine. La jurisprudence européenne a estimé qu’en la matière, il devait exister un recours « permettant au détenu de contester aussi bien la forme que le fond, et donc les motifs, d’une telle mesure devant une instance juridictionnelle » [CEDH, sect. V, 20 janv. 2011, Payet c. France, req. n° 19606/08 : D., 2011, p. 380, obs. S. Lavric ; D., 2011, p. 643, obs. J.‑P. Céré ; RSC, 2011, p. 718, obs. J.‑P. Marguénaud ; JCP, 2011, n° 184, obs. B. Pastre-Belda ; Procédures, 2011, comm. n° 94, obs. N. Fricero ; Gaz. Pal., 21 avr. 2011, p. 11, comm. É. Senna ; § 131], reposant sur « des garanties minimales de célérité » [ibid., § 133]. Elle a constaté que le système de contrôle juridictionnel français, reposant sur le recours hiérarchique obligatoire, puis le recours en excès de pouvoir, aucun n’étant suspensif, empêchait le détenu de pouvoir saisir le juge avant que la sanction n’ait été exécutée en entier. Dès lors, elle a sanctionné le droit français puisqu’« un recours inapte à prospérer en temps utile n'est ni adéquat ni effectif » [ibid.], ce qu’elle a confirmé ultérieurement [CEDH, sect. V, 3 nov. 2011, Cocaign c. France, req. n° 32010/07CEDH, sect. V, 10 nov. 2011, Plathey c. France, req. n° 48337/09].
16.              Le référé-liberté. La législation, postérieurement aux arrêts de violation rendus par la Cour européenne des droits de l’Homme au sujet des recours existant en droit français pour contester la sanction disciplinaire, a prévu l’usage du référé-liberté pour le détenu condamné à une sanction disciplinaire [art. 726 Cpp], sans modifier ses conditions de droit commun [art. L. 521-2 CJA], notamment d’« urgence » et d’ « atteinte grave et manifestement illégale » à une liberté fondamentale. L’action en référé peut être formulée sans recours hiérarchique préalable [TA Paris, 8 févr. 2001, Bruant, n° 01 001634 : D. 2002. 110, chr. E. Péchillon. – CE, 10 févr. 2004, Soltani, n° 264182]. Le recours n’est pas suspensif, mais suffisamment rapide pour que le juge tranche avant la fin de l’exécution de la mesure. La Cour européenne des droits de l’Homme n’a pas encore véritablement développé son contrôle du placement en cellule disciplinaire sur le fondement de l’article 3, si bien qu’en l’état de sa jurisprudence, la sanction du placement en cellule disciplinaire est contraire à la Convention dans quelques hypothèses seulement, telles que la disproportion au regard de l’état mental du détenu [CEDH, sect. V, 16 oct. 2008, Renolde c. France, req. n° 5608/05], l’exposition du détenu à des conditions de détention insalubres [Payet, préc.] ou la disproportion manifeste [CEDH, sect. I, 7 juin 2007, Mikadze c. Russie, req. n° 52697/99 ; la Cour, pour conclure à la violation de l'article 3, notait le défaut de « la proportionnalité de certaines de ces sanctions par rapport aux faits commis, mais aussi leur fréquence ». En l'espèce, le requérant avait subi dix-sept condamnations pénitentiaires en un an, dont le cumul avait abouti à le faire passer six mois en cellule disciplinaire, alors que certaines condamnations concernaient des faits mineurs comme la détention de cigarettes]. Les conditions du référé-libertés, certes restrictives, ne s’opposent pas à la recevabilité des griefs précédemment cités [on notera en tout cas l’existence de décisions du fond qui défendent plutôt une vision large de l’usage du référé‑liberté en matière de placement en cellule disciplinaire ; voir TA Pau, 19 août 2005, n° 0501583 : AJP 2005.421, obs. C. S. Enderlin et CA Lyon, 29 janv. 2015, n° 13LY03125 : AJP 2015. 163, note J. Falxa], si bien que l’existence d’un recours interne efficace, au sens de la Convention contre le placement en cellule disciplinaire pourrait être trouvée dans le référé-liberté – du moins, tant que la Cour européenne des droits de l’Homme n’accentue pas son contrôle du placement en cellule disciplinaire.

II/. - Les limites de la défense

17.              Plan. Les limites pratiques de la défense au prétoire pénitentiaire relèvent de deux ordres. Par comparaison aux moyens dont dispose l’avocat pénaliste, le domaine de l’intervention de l’avocat est restreint devant la Commission de discipline (A.). Les autres limites sont à rapprocher du contexte pénitentiaire (B.). Ces limites ne peuvent que perdurer tant qu’il restera des limites conceptuelles (C.).


18.              Une défense de permanence. Si les détenus sollicitent en grande majorité un avocat pour assurer leur défense en commission de discipline, rares sont ceux qui désignent un avocat : dans la plupart des cas, l’avocat qui assiste le détenu au prétoire disciplinaire est l’avocat désigné d’office. Le même avocat assure toutes les commissions d’office au cours d’une même cession, sauf s’il existe un conflit d’intérêt entre plusieurs détenus comparaissant dans la même affaire, auquel cas un second avocat d’office interviendra. La qualité de la défense s’en ressent nécessairement, alors que l’étude des dossiers et les entretiens préalables avec les détenus ont été très courts, ces tâches étant souvent menées le jour même de l’audience.
19.              Une défense de connivence. Pour tout pénaliste, l’audience pénitentiaire reste un simulacre de procès, non pas que les gens qui y participent soient systématiquement de mauvaise volonté ou ne cherchent pas la justice, mais que la procédure est marquée par le sceau de la partialité. Il n’existe pas de séparation des fonctions entre les organes d’enquête [elle est réalisée par des officiers de l’administration pénitentiaire placés sous la direction du chef d’établissement, en vertu de l’article R. 57-7-14 du Code de procédure pénale], de poursuite [la décision de renvoi devant la commission est prise par le chef d’établissement en vertu de l’article R. 57-7-15 du Code de procédure pénale, celui-ci étant aussi compétent pour demander tout complément d’enquête], de placement dans les mesures de sûreté [le chef d’établissement peut décider du placement préventif du détenu en cellule de confinement ou en cellule disciplinaire, sur le fondement des art. R. 57-7-18 et s. du Code de procédure pénale] et de jugement [la  Commission de discipline est composée du chef d’établissement et de deux assesseurs, lesquels n’ont que voix délibérative, selon les articles R. 57-7-6 et s. du Code de procédure pénale]. Toutes ces fonctions sont exercées par le chef d’établissement. Afin d’atténuer la critique de partialité, un assesseur extérieur siège désormais dans la Commission de discipline [art. R. 57-7-8 du Code de procédure pénale] sur désignation du chef d’établissement [le directeur ne peut mettre à l’écart du tableau de roulement un assesseur habilité sans invoquer de raison légitime ; TA Nancy, 12 mai 2015, n° 1402184 : AJP 2015. 615, obs. M. Herzog-Evans]. À défaut pour l’administration d’avoir recouru aux diligences suffisantes, la sanction prononcée par une commission de discipline au sein de laquelle ne siégerait pas l’assesseur doit être annulée [TA Nantes, 19 juill. 2013, n° 110337 : cité par M. Herzog-Evans in « Aspects pratiques de la procédure disciplinaire pénitentiaire en France », AJP 2013. 660. – CAA Nantes, 18 juil. 2013 : AJDA 2013. 2162]. L’installation de l’assesseur extérieur a rencontré de nombreuses difficultés en pratique [J.-P. céré, D. 2014. 1235, chr. Exécution des peines : « Il n'en demeure pas moins que plusieurs commissions de discipline fonctionnent sans la présence du membre extérieur, soit par défaut de nomination […], soit par défaut d'organisation du tribunal de grande instance […], soit par une absence ponctuelle du membre nommé […]. Cette situation entraîne une rupture d'égalité manifeste entre les personnes poursuivies. » - M. Herzog-Evans, « Aspects pratiques de la procédure disciplinaire pénitentiaire en France » : AJP 2013. 660 : « Dans certains ressorts on ne lui permet pas de lire le dossier, ne l'autorise qu'à peine à poser des questions et encore moins à peser dans le délibéré. L'une parmi les assesseurs interrogés a ainsi répondu qu'elle n'était que spectatrice qu'il lui était répondu que la lecture par elle du dossier n'aurait « aucun intérêt ». Dans un contexte similaire, un autre a déclaré : “Me demander de me prononcer sans me donner toutes les infos, c'est neutraliser l'intérêt de ma parole au délibéré et je ne sers” à rien »]. Il a de toute manière simple voix consultative [art. R. 57-7-7 du Code de procédure pénale]. D’autre part, le lieu de l’audience n’a rien de neutre et par commodité, la salle d’audience se situe souvent directement dans le quartier disciplinaire, au cœur des zones de détention. Dans ces conditions, la plaidoirie de rupture semble devoir être réservée à des cas particuliers, puisqu’il est pratiquement impossible de distinguer le juge de l’ensemble des autres institutions intervenues en amont, si bien que toute attaque, d’une manière ou d’une autre, vise en réalité le juge. C’est aussi sans doute par égard pour ces considérations que de nombreux avocats plaident devant l’organe disciplinaire sans porter leur robe.
20.             La plaidoirie de clémence. La question de l’efficacité des plaidoiries s’intéressant à la personnalité du détenu pour appeler à la clémence est directement posée. D’abord, la commission de discipline, malgré ses évolutions, n’en reste pas moins une institution d’essence administrative, dont la culture est plutôt de considérer principalement la faute et de rechercher, sur ce seul critère, une harmonisation des sanctions prononcées. D’essence pénitentiaire, la culture de la Commission de discipline est aussi de s’intéresser d’abord à la mauvaise conduite. Enfin, l’avocat de permanence n’a qu’une connaissance très limitée de la  personnalité du détenu, qu’il aura d’autant plus de mal à imposer que le chef d’établissement côtoie depuis bien plus longtemps le détenu. Dans ces conditions, l’avocat a peu de prise sur la perception que peut avoir le chef d’établissement du détenu.

B/. - Les limites liées au contexte pénitentiaire

21.              Des pratiques pénitentiaires variables. Madame le Professeur Martine Herzog-Evans Aspects pratiques de la procédure disciplinaire pénitentiaire en France » : AJP 2013. 660] a pointé les difficultés de l’administration pénitentiaire à faire respecter les règles procédurales et relevé en pratique « la méconnaissance des conséquences juridiques du contradictoire (reprise de la parole après l'avocat et le détenu) », comme par exemple une « discussion sur des faits non communiqués à l'avocat et connus du seul président de la commission de discipline - notons à cet égard qu'en l'espèce, la ministre de la Justice prétendait de manière pour le moins surprenante que le rapport d'enquête était un élément interne à l'administration pénitentiaire ! » ou une « réticence à diffuser des enregistrements vidéos ». L’auteur poursuit en indiquant que « sur le terrain, de nombreux avocats se plaignent de diverses pratiques gênant l'exercice effectif de leur intervention et notamment : convocation tardive, désignation d'un avocat d'office en dépit d'une demande, certes suite parfois au changement d'avis de la personne détenue, de désigner finalement un avocat choisi, refus de délivrer à l'avocat l'attestation de présence nécessaire à sa rémunération, sous des justifications diverses... ». L’auteur révèle également que l’agent de l’administration pénitentiaire assurant le rôle du greffier de l’audience, demeure souvent présent durant les délibérés : « en pratique, ce “secrétaire” participe généralement ainsi, de fait, aux débats ». Évidemment, s’il revient à l’avocat d’appeler au respect des règles procédurales, et de se servir de ces irrégularités pour contester la légalité de la procédure devant la Commission ou ultérieurement devant la Commission, il semble subsister une certaine culture selon laquelle la discipline demeure une prérogative de l’administration pénitentiaire sur laquelle aucun élément extérieur, y compris l’avocat, ne peut avoir de prise.
22.             L’enquête pénitentiaire. Les principaux éléments à charge figurant dans le dossier disciplinaire tiennent au compte-rendu d’incident. Celui-ci ne présente pas toujours une qualité satisfaisante [M. Herzog-Evans, op. cit. : « Une première chose saute aux yeux : les rapports d'incidents sont très souvent mal renseignés, reflétant souvent les lacunes du compte rendu d'incident. Un florilège peut en donner une impression : date des faits postérieure à la date de l'audience ou non renseignée ; mention de ce que le détenu a été trouvé en possession d'une substance illicite sans que celle-ci soit précisée (et accessoirement sans aucune sécurisation des objets retenus) ; détention illicite d'un objet prohibé sans référence au règlement intérieur ou sans précision de l'endroit où il a été découvert ; mention de ce que deux surveillants étaient présents sans indication de leur nom ; défense du détenu selon lequel l'objet trouvé dans sa cellule ne lui appartient pas mais absence de mention du nom des codétenus, lesquels n'ont pas été interrogés ; faits de violence grave vus par un surveillant, qui part en vacances sans être entendu, etc. »]. De manière générale, la qualité des enquêtes est critiquée [M. Herzog-Evans, op. cit. : « la qualité souvent insuffisante de l'établissement des faits, faute de temps, de spécialisation et de formation des agents, de moyens matériels (par ex. absence de tests d'identification des stupéfiants), ou d'organisation de la détention (par ex. insuffisance ou absence d'état des lieux contradictoire des cellules au départ d'un détenu), ou encore en raison des lacunes du droit positif (par ex. défaut de régime juridique des perquisitions et saisies) »]. Il est dès lors difficile pour l’avocat de rechercher dans le dossier des éléments à décharge, notamment pour remettre en doute le contenu du compte-rendu. L’avocat n’a pas toujours accès à l’ensemble des pièces à charge, ce qui constitue une lourde violation des droits de la défense. En particulier, concernant les enregistrements des faits litigieux, la juridiction administrative n’exige pas leur diffusion lors de l’audience disciplinaire [dans une affaire, le juge de première instance avait annulé la sanction disciplinaire, du fait de l’absence de diffusion de l’enregistrement ; TA Dijon, 12 juin 2012, n° 1100942, AJP 2012. 557, obs. M. Herzog-Evans. Le juge d’appel a validé la sanction ; CAA Lyon, 18 avr. 2013, n° 12LY2085 : AJP 2013. 624, obs. M. Herzog-Evans]. Plus largement, la récolte des preuves ne fait pas l’objet de réglementation spéciale, ce qui prive l’avocat de moyens de défense procéduraux, notamment quant aux fouilles et saisies pratiquées en cellule. Dans ces conditions, le compte-rendu d’incident, dès lors qu’il attribue directement à un détenu un comportement constitutif d’une faute, suffit le plus souvent à justifier le prononcé d’une sanction disciplinaire.
23.             Les limites de l’audience disciplinaire. Pour des raisons évidentes tenant à la loi du silence régnant dans les établissements pénitentiaires, l’audience disciplinaire est souvent « décevante » [M. Herzog-Evans, op. cit. : « Dans de très nombreux cas, l'on ne parvient pas à se faire une idée claire des torts respectifs ou du déroulement des faits. Les présidents de commission ne convoquent quasiment jamais de témoins, ni ne pratiquent la confrontation »]. Il n’est pas rare qu’un détenu, parce qu’il lui reste un reliquat de peine plus long ou parce qu’il subit la pression d’un codétenu, reconnaisse des faits qu’il n’a pas commis pour décharger ses codétenus de leur responsabilité [M. Herzog-Evans, op. cit. : « Le plus difficile à accepter reste sans doute le fait que nombre de détenus se dénoncent pour d'autres, craignant pour leur intégrité »]. L’avocat peut alors révéler à la Commission ce que le détenu se refusera toujours de dire, pour espérer obtenir l’atténuation de la sanction prononcée, sans grande espérance. La qualité des débats souffre également des carences intellectuelles ou des troubles mentaux que peuvent présenter certains détenus, dont personne n’ignore la fréquence en détention. Au final, ces différents éléments ne font que renforcer l’importance des faits rapportés sur le compte-rendu d’incident, que le déroulé de l’audience ne pourra rarement contredire.

B/. - Les limites conceptuelles

24.             L’absence de prohibition du cumul des poursuites disciplinaires et pénales. Aucune prohibition de cumul des poursuites disciplinaires et pénales n’existe en matière pénitentiaire, ce que rappelle constamment le juge administratif. Ainsi, le juge administratif n’a pas à sursoir à statuer dans l’attente de la décision pénale, pour apprécier la légalité d’une poursuite disciplinaire [TA Marseille, 5 nov. 1996, Piazza : D. 1999, Jur. 511, obs. M. Herzog‑Evans et J.-P. Céré – TA Rouen, 1er févr. 2000, Temagoult : D. 2001. 565, obs. M. Herzog-Evans – TA Versailles, 16 mars 2001, n° 98316 : D. 2002. 110, chr. M. Herzog-Evans]. Même une relaxe pénale n’empêche pas le juge administratif de pouvoir qualifier le fait de faute disciplinaire et de prononcer une sanction [CAA Nantes, 3 mars 2005, n° 03NT01745 : chr. M. Herzog-Evans, D. 2006. 1078 ; il s’agissait d’un détenu ayant mis le feu à une couverture dans le but d’obtenir un examen médical dont il n’avait pu bénéficier en usant des voies normales. – TA Rouen 24 juil. 2002, Garondo, n° 00134 : D. 2004. 1095, chr. M. Herzog-Evans].
25.             L’inapplicabilité de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme. La défense au prétoire disciplinaire souffre de la partialité de la procédure, qui ne respecte pas les garanties du procès équitable, dont le champ est fixé par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Le débat est connu. La jurisprudence européenne des droits de l’Homme n’inclut la sanction disciplinaire pénitentiaire dans le champ de l’article 6, sur le critère de la matière pénale, que dans seul cas où la sanction aboutit directement à allonger le reliquat de peine qu’il restait au détenu à purger [CEDH, gde ch., 9 oct.2003, Ezeh et Connors c. Royaume-Uni,req. nos 39665/98 et 40086/98]. Or, en droit français, le placement en cellule disciplinaire ne constitue qu’une modalité plus sévère d’exécution de la peine, sans l’allonger. Cette position théorique est évidemment contredite par la pratique, dès lors que les sanctions disciplinaires sont toujours prises en compte par le juge de l’application des peines lors de l’examen d’une demande d’aménagement de peine et interfèrent pareillement sur le retrait des crédits de réductions de peine ou l’octroi d’un crédit de peine supplémentaire [art.721 et s. cpp]. Cette approche factuelle de l’allongement de la durée de la privation de liberté causée par les sanctions disciplinaires a été développée devant la Cour européenne des droits de l’Homme, qui a malgré tout réfuté l’application de l’article 6, au motif qu’ « il n'a pas été démontré [que la sanction disciplinaire] ait en aucune manière allongé la durée de la détention du requérant » [Payet, préc., § 98 – v. les différentes analyses de M. le professeur J.-P. Céré, dont les références sont citées en bibliographie, aux termes desquelles celui-ci conclut à l’application de l’article 6]. La jurisprudence devrait en revenir plus simplement au constat de la gravité de la sanction de placement en cellule disciplinaire et des similitudes entre le droit disciplinaire pénitentiaire et le droit pénal, tant d’un point de vue procédural qu’au niveau des comportements réprimés, pour appliquer à la décision de placement l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
26.             Conclusion : la part des avocats. La défense au prétoire pénitentiaire est nécessairement altérée par l’absence d’application des garanties du procès équitable, et l’intervention de l’avocat ne peut à elle‑seule compenser ces manques. L’application de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme constitue le remède à cette première limitation. La défense est aussi entravée, dans certains établissements, par la pratique pénitentiaire. Elles n’ont rien d’insurmontables et la reconnaissance de l’application des règles du procès équitable apparaît également comme le meilleur moyen pour forcer à l’administration de se départir définitivement d’une culture rejetant toute intervention extérieure dans la matière de la discipline. Les avocats doivent aussi peser sur la levée des limites de la défense au prétoire pénitentiaire, alors que la qualité inégale de leurs interventions devant la Commission de discipline est également critiquée [M. Herzog-Evans, « Aspects pratiques de la procédure disciplinaire pénitentiaire en France » : AJP 2013. 660. « Mes collègues assesseurs et moi-même n'avons pu manquer de constater que la plupart des avocats intervenant en commission ne soulèvent pas les nombreuses causes de nullité qui s'y manifestent, contribuant ainsi à leur persistance. Une partie des avocats sont cependant tout à fait compétents, voire excellents. Ils auront lu le dossier et sauront en pointer chaque imperfection ; ils connaissent bien les logiques carcérales et/ou leur client apportant un éclairage tout à fait utile. Ces avocats sont écoutés religieusement par tous et parfois craints, mais admirés par les membres de la commission. Beaucoup d'entre eux sont toutefois d'une compétence moyenne, voire faible. Ils ont à peine lu le dossier, parlent d'une voix monocorde et faible - en dépit du niveau sonore de l'établissement - ; sont manifestement peu concernés ; ne font pas avancer la compréhension du dossier ou de leur client ; ne voient pas les erreurs juridiques criantes ou les vices de procédure tout aussi manifestes ni ne demandent à voir quelles sont les normes internes prétendument violées (v. supra). Comme le note cet assesseur interrogé : « Un plus grand intérêt des avocats pour la matière pénitentiaire ne ferait pas de mal non plus. Combien de vices de fond et forme passent sous mes yeux de simple étudiante, alors même qu'ils glissent sous ceux des avocats professionnels ! ». Il va de soi qu'ils font alors piètre impression sur la commission. »].





BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE


J. Falxa, Le droit disciplinaire pénitentiaire : une approche européenne, th. Pau et Salamanca, 2014


J.-P. Céré, Droit disciplinaire pénitentiaire, Paris, l'Harmattan, 2011


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J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et E. Péchillon, Panorama Exécution des peines au Recueil Dalloz


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