1. Le rejet d’une conception purement policière. La garde à vue a fait
l’objet ces dernières années de nombreuses réformes qui ont abouti à modifier
la nature de la mesure, laquelle n’est définitivement plus purement policière. L’action
policière est limitée par les droits qui sont reconnus au suspect et rattachés,
au premier titre, à la défense. D’autre part, le contrôle de la garde à vue en
temps direct par l’autorité judiciaire est imposé par l’article 66 de la
Constitution [Cons.
const., déc. n° 93-326 DC du 11 août 1993]. C’est donc sous le
double effet de l’inscription dans la garde à vue, premièrement, des droits de
la défense liés à la nature pénale de la mesure, et, deuxièmement, des droits
et garanties liés à sa nature privative de liberté, que la garde à vue a quitté
le champ de l’arbitraire policier. Le régime de la garde à vue reste néanmoins
encore fortement marqué par la préoccupation de ne pas entraver l’action
policière au détriment des droits de l’individu en état d’arrestation. La
garantie judiciaire reste d’une intensité modérée. D’abord, le contrôle en
temps direct de la garde à vue peut être assuré, au moins pendant quarante-huit
heures, par l’autorité judicaire dépendante – c’est à dire le magistrat du
parquet [Cons.
const., déc. n° 2010-80 QPC du 17 déc. 2010], et même plus
longtemps, en ajoutant à une durée de quarante-huit heures, la durée de vingt
heures pendant laquelle le suspect peut être retenu avant son défèrement devant
le juge d’instruction, le juge des libertés et de la détention ou le Tribunal
correctionnel saisi en comparution immédiate. Au-delà de quarante-huit heures,
si l’intervention de l’autorité judiciaire indépendante statutairement –
c’est-à-dire le magistrat du siège – est exigée pour prolongée la garde à vue [Cons.
const., déc. n° 80-127 DC des 19 et 20 janv. 1981], le
juge compétent n’est pas nécessairement indépendant sur le plan fonctionnelle [Cons.
const., déc. n° 2004-492 DC du 2 mars 2004] et peut cumuler cette
fonction de contrôle de la garde à vue à la fonction de direction des
investigations.
2.
Le rejet d’une pleine judiciarisation. Avec le recul de la conception
policière de la mesure, le contrôle juridictionnel s’est déployé, et en 1998,
la Chambre criminelle a initié sa jurisprudence sanctionnant certains droits ou
garanties protégeant le suspect d’une nullité au grief neutralisé, en ce sens
que celui-ci est présumé de manière irréfragable [Cass.
crim., 24 nov. 1998, n° 98-82.496 : Bull.
crim., n° 314]. Pour autant, la Chambre criminelle a
longtemps abandonné à l’autorité judiciaire chargé du contrôle en temps direct
de la garde à vue le monopole du contrôle du bien-fondé du placement – donc de
sa nécessité – et du maintien en garde à vue au fil du temps – donc de sa
proportionnalité. Cette solution résulte d’un arrêt d’une Chambre mixte [Cass.
mixte, 7 juil. 2000, n° 98-50.007 : Bull. crim. n° 257 ; JCP 2000 II n°
10418, note O. Guérin ; Procédures 2001 n° 17, note J. Buisson ; RSC 2001. 189, obs. A. Giudicelli].
Elle a été confirmée par la Chambre criminelle dans une formulation de principe :
« la décision de placer en garde à
vue une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons
plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction
relève d'une faculté que l'officier de police judiciaire tient de la loi et
qu'il exerce, dans les conditions qu'elle définit, sous le seul contrôle du
procureur de la République ou, le cas échéant, du juge d'instruction »
[Cass.
crim., 4 janv. 2005, n° 04-84.876 : Bull.
crim., n° 3 ; Dr. pén. 2005.
n° 49, obs. A. Maron ; AJP 2005. 409, note M. Herzog‑Evans ; ibid. 160, obs. J. Leblois‑Happe]. Le
juge de la légalité de l’enquête ou de l’instruction se voyait donc interdire
tout contrôle de l’opportunité de la garde à vue, sous peine de cassation. Son
contrôle était donc cantonné à la régularité de la garde à vue, à savoir
l’existence de soupçons tels que définis par la loi et l’absence de dépassement
de la durée maximale prévue par la loi. Cette position n’est pas admissible. D’abord, la
volonté de laisser une marge à l’action policière durant le temps de
réalisation des investigations ne justifie pas qu’ultérieurement, une fois ce
premier temps passé, aucun contrôle rétrospectif ne soit permis. Ensuite, la
solution surestime la qualité du contrôle judiciaire de la garde à vue réalisé
en direct, déjà parce qu’elle exclut tout recours contre la décision de cette
autorité judiciaire, mais aussi parce que dans la très grande majorité des cas
ce contrôle est réalisé par un magistrat qui n’est pas indépendant, ou bien
statutairement ou bien fonctionnellement. La solution revient donc à retirer
toute effectivité au principe de la prohibition de la rigueur non nécessaire. Le
juge civil, que l’on répute souvent plus prompt à défendre les libertés
publiques, et qui intervenait pour contrôler la garde à vue de l’étranger précédant
son éloignement, a adopté une position différente dans un arrêt isolé [Cass.
civ. I, 25 nov. 2009, n° 08-20.294 : inédit ; Dr. pén.
2010 n° 11, obs. A. Maron et M. Haas]. Dès
lors que l’étranger dès son interpellation avait avoué être en situation
étrangère, la première chambre civile de la Cour de cassation retenait « qu’aucune enquête n’étant nécessaire, [si
bien que] les services de police
n’étaient pas tenus de la placer en garde à vue ». Ce dernier arrêt
était pourtant bien contraire à la jurisprudence dominante, prohibant au juge
de l’annulation tout contrôle du bien‑fondé. Malgré tous ses défauts, cette
solution, à l’époque où elle a été posée, ne contrevenait pas à la
jurisprudence européenne.
3.
Le cantonnement originel du contrôle européen de la garde à vue à la régularité.
L’article
5 § 1er c) évoque la détention du suspect « en vue d’être conduit devant l’autorité
judiciaire » et l’article 5 § 3 exige que la personne suspectée soit « aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la
loi à exercer des fonctions judiciaires ». L’interprétation littérale
de ces dispositions ne saurait admettre l’existence d’une privation de liberté
policière et autonome pour les seules nécessités de l’enquête, et consacre une
détention uniquement nécessaire à la conduite du suspect devant le juge
compétent pour notification d’une accusation en matière pénale, placement en
détention provisoire ou jugement. Cette conception, celle de l’Habeas corpus, n’est pas inconnue de la
tradition juridique française, qui a consacré la garde à vue uniquement avec
l’adoption du Code de procédure pénale, en légitimant ce qui n’était alors qu’une
pratique destinée à contourner le déclenchement des droits de la défense dès le
stade de l’interrogatoire du juge d’instruction. Néanmoins, la Cour européenne
des droits de l’Homme a toujours toléré la détention policière réalisée pour
les besoins de l’enquête. Si celle‑ci présuppose l’existence d’éléments de
suspicion contre l’individu [plus précisément, selon l’article 5 § 1er
c), « des raisons plausibles de
soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables
de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de
s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci »], la
détention de l’article 5 § 1er-c) peut servir à « les compléter en confirmant ou dissipant les
soupçons concrets » [CEDH,
29 nov. 1988, Brogan et autres c.
Royaume-Uni, req. nos 11209/84, 11234/84, 11266/84 et 11386/85,
§ 53].
Le placement en garde à vue ne peut poursuivre que deux finalités, à savoir la poursuite
de l’enquête ou la traduction du suspect devant l’autorité judiciaire. La Cour
européenne des droits de l’Homme contrôle l’existence de soupçons suffisant
contre le suspect placé en garde à vue [CEDH,
sect. IV, 6 nov. 2007, Stepuleac c.
Moldavie, n° 8207/06]. Dans un premier temps de sa
jurisprudence, la Cour s’est essentiellement attelée à fixer une limite
maximale à la durée d’une garde à vue, d’un peu plus de quatre jours, à partir
du précédent Brogan et son contrôle,
sur ce point, se cantonnait à vérifier abstraitement que cette durée maximale n’avait
pas été dépassée. En vérifiant seulement l’existence d’éléments de suspicions
préalables et l’absence de dépassement d’une durée maximale abstraite, la Cour
européenne des droits de l’Homme se contentait d’un contrôle de la régularité
de la garde à vue, à la manière des arrêts précités de la Cour de cassation.
4.
L’inclusion dans le contrôle européen du bien-fondé de la garde à vue. Dernièrement,
la Cour européenne des droits de l’Homme a ouvert son contrôle de l’opportunité
ou du bien-fondé de la garde à vue. Elle se saisit de l’ensemble des
circonstances de l’espèce afin de déterminer concrètement si la durée de la
garde à vue n’a pas été excessive, quand bien même le délai Brogan de quatre jours n’a pas été
dépassé. La Cour européenne des droits de l’Homme a ainsi censuré une garde à
vue de trois jours et vingt-trois heures [CEDH,
sect. V, 6 nov. 2008, Kandzhov c.
Bulgarie, n° 68294/01], de trois jours et cinq heures [CEDH,
15 oct. 2013, Gutsanovi c. Bulgarie,
req. n° 34529/10], de trois jours [CEDH,
sect. II, 3 févr. 2009, Ipek et autres c.
Turquie, nos 17019/02 et 30070/02], de
vingt-quatre heures [CEDH,
sect. IV, 24 juin 2014, Petkov et
Profirov c. Bulgarie, req. nos 50027/08 et 50781/09] et
de treize heures [CEDH,
23 avr. 2015, François c. France,
req. n° 26690/11, § 58]. La montée en puissance du contrôle
européen est visible à la durée des mesures censurées, de plus en plus brève :
le contrôle n’est pas réservé aux gardes à vue de longue durée, domaine
concerné par les premiers arrêts. Dans ces arrêts, c’est le plus souvent la
durée disproportionnée de la garde à vue qui est censurée, au regard du
comportement des autorités, duquel la Cour tire que la garde à vue a eu une
durée excessive, voire qu’elle a perdu toute finalité. Le comportement des
autorités est d’abord apprécié au regard des actes d’enquêtes réalisés durant
la privation de liberté : les autorités doivent agir sans désemparer. Le
maintien de la garde à vue, malgré l’arrêt de l’enquête, est alors sanctionné
par la Cour. Dans l’arrêt Ipek, la Cour constatait que les suspects
avaient subi un seul interrogatoire, durant le deuxième jour. Dans l’arrêt Petkov et Profirov, la Cour stigmatisait
l’absence d’enquête approfondie durant la détention, et la réalisation d’une
seule audition des suspects, réalisée juste après l’arrestation. Dans l’arrêt Gutsanovi, la Cour notait l’existence
d’investigations durant la première journée de garde à vue, puis leur absence
durant les deux jours suivants, pour conclure à « l’absence de toute circonstance pouvant justifier la décision de ne pas
le traduire devant un juge au cours des deuxième et troisième jours de sa
détention » [§ 158]. Aussi,
il ne saurait y avoir de latence, dans la traduction de l’individu devant le
juge, ou de la conduite de l’enquête. La Cour a exprimé fermement cette
position dans l’arrêt Vassis : «
on ne saurait donc en déduire une
quelconque volonté de mettre à la disposition des autorités internes un délai
dont elles auraient la libre jouissance pour compléter le dossier de
l’accusation : en effet, le but poursuivi par l’article 5 § 3 de la Convention
est de permettre de détecter tout mauvais traitement et de réduire au minimum
toute atteinte injustifiée à la liberté individuelle afin de protéger
l’individu, par un contrôle automatique initial, et ce dans une stricte limite
de temps qui ne laisse guère de souplesse dans l’interprétation » [CEDH,
27 juin 2013, Vassis et autres c. France,
n° 62736/09, § 61]. Dès lors, ou bien la garde à vue a servi à
la poursuite de l’enquête, et la disproportion de la garde à vue est
caractérisée par l’absence de réalisation d’actes d’enquêtes, ou bien la garde
à vue a servi uniquement à la traduction du suspect devant le juge, et la
disproportion de la garde à vue est caractérisée par le prolongement de la
mesure au-delà du temps indispensable à réaliser le transport de l’individu
devant le juge, dans des conditions de sécurité satisfaisantes [v. sur ce dernier point, Gutsanovi, § 158 : « la Cour tient à souligner à cet égard que le
requérant était détenu dans la même ville où se situait le tribunal compétent
pour statuer sur son placement en détention provisoire et qu’il n’y avait
aucune mesure sécuritaire exceptionnelle à prendre à son égard, autre que la
procédure standard d’escorte jusqu’à la salle d’audience où il devait
comparaître »]. La portée de ces différents arrêts reste
incertaine, néanmoins, au regard de la mise en exergue, par la Cour, de
circonstances particulières, pour justifier des constats de violation, comme
par exemple la minorité du suspect [Ipek], l’absence de
reconnaissance de droits au suspect durant la garde à vue [Ipek – Petkov et Profirov], la
fragilité psychologique du suspect [Gutsanovi], l’absence
de soupçons suffisants pour justifier la mesure de contrainte [François
- Kandzhov], la réalisation d’une fouille intégrale en dehors
de toute réglementation [François] ou
encore le fait que l’officier de police judiciaire ayant décidé du placement en
garde à vue revendiquait la qualité de victime de l’infraction reprochée [François]. Plus
que l’expression d’un contrôle in
abstracto, ces limitations montrent la prudence de la Cour et elles
interrogent sur la nécessité d’ajouter, à la défaillance des autorités
policières durant la garde à vue, l’existence d’une de ces circonstances
particulières, pour entraîner une violation de la Convention du fait du
placement ou du maintien en garde à vue infondé. La Cour a adopté cette vision
restrictive de la portée de sa jurisprudence lorsque son contrôle était
émergent [Oral et Atabay, §
43, ou CEDH,
sect. IV, 26 janv. 2010, Alici et Omak c.
Turquie, n° 57653/00, § 34 : « la
Cour considère que toute période de garde à vue dépassant quatre jours est prima
facie trop longue, même dans un contexte
de lutte contre le terrorisme (Brogan et autres […]). Toutefois, elle rappelle, avoir conclu à la violation de cette
disposition pour des périodes de garde à vue moins longues concernant les
mineurs (İpek et autres c. Turquie […])
et dans le cas de certains délits (Kandzhov c. Bulgarie […]) »] et elle l’a maintenu dans un
arrêt plus récent dans lequel elle a évoqué les principes applicables à son
contrôle de la durée de la garde à vue [CEDH,
sect. IV, 12 mai 2015, Magee et autres,
req. nos 26289/12, 29062/12 et 29891/12 : « Néanmoins, si toute durée supérieure à
quatre jours est a priori trop longue, dans certaines circonstances une durée
plus brève peut elle aussi être contraire à l’exigence de célérité (voir les
arrêts İpek et autres c. Turquie, nos 17019/02 et 30070/02, §§ 36-37, 3 février
2009, dans lequel une durée de trois jours et neuf heures n’a pas été jugée
suffisamment brève s’agissant de requérants mineurs, Kandjov c. Bulgarie, no
68294/01, § 66, 6 novembre 2008, dans lequel une durée de trois jours et vingt‑trois
heures n’a pas été jugée suffisamment brève s’agissant
d’un requérant
qui, arrêté pour une infraction mineure et non
violente, avait déjà passé vingt-quatre heures en garde à vue avant que la
police ne propose au procureur chargé du dossier de demander à la juridiction
compétente de placer le requérant en détention provisoire, et Hassan et autres
c. France, no 46695/10, § 89, 4 décembre 2014, dans lequel les
requérants s’étaient trouvés depuis longtemps en rétention avant d’être placés
en garde à vue). »]. Dans l’arrêt Gutsanovi, la Cour a directement
conditionné l’existence d’une violation de la Convention à la caractérisation
de « circonstances particulières »
[§
154 : « Or la Cour a
constaté des violations de ce même article pour des périodes de détention
n’atteignant pas quatre jours lorsqu’elle a relevé que les circonstances
spécifiques de l’espèce justifiaient une présentation plus rapide devant un
magistrat »]. Les derniers arrêts de violation recèlent
néanmoins de formulations générales de nature à fonder un contrôle de la
nécessité et de la proportionnalité de la garde à vue en toute matière, indépendamment
de l’existence de circonstances particulières, par exemple lorsque la Cour
exprime son refus de laisser à la police un pouvoir discrétionnaire de
placement en garde à vue [« the discretionary power of the police »,
§ 53], ou forge un principe général de refus de la garde à vue qui ne serait « ni justifié[e] ni proportionné[e] » [François, § 58].
Quoi qu’il en soit, dans le cas François,
le substitut du Procureur avait été informé du placement en garde à vue, et celui-ci
avait pu exercer le contrôle en temps direct de la privation de liberté. Cette
circonstance n’a pas empêché la Cour d’exercer son contrôle, ni de constater
une violation de la Convention. Ce seul arrêt suffit à condamner toute
conception laissant le monopole du contrôle du bien-fondé de la garde à vue au
magistrat opérant son contrôle en temps direct, quand bien même il faudrait
cantonner le contrôle européen à la censure des seules gardes à vue manifestement
infondées.
5.
Les évolutions législatives. Les modifications législatives
ont abouti à inscrire dans la loi française un véritable outil pouvant servir
au contrôle de l’opportunité du placement et du maintien en garde à vue. La loi
n° 2011-392
du 14 avril 2011 a ainsi précisé les motifs permettant le placement en garde à
vue à l’article 62-2
du Code de procédure pénale, lesquels ne sont pas sans rappeler, souvent,
ceux de la détention provisoire [permettre
l'exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la
personne ; garantir la présentation de la personne devant le procureur de la
République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l'enquête
; empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ; empêcher
que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur
leur famille ou leurs proches ; empêcher que la personne ne se concerte avec
d'autres personnes susceptibles d'être ses coauteurs ou complices ; garantir la
mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit]. Ces
motifs jouent le même rôle en enquête de flagrance, en enquête préliminaire [art.
77 Cpp] ou durant l’instruction [art.
154 Cpp]. Le magistrat qui opère le contrôle en temps direct de la
garde à vue reçoit information des motifs ayant prévalu lors du placement en
garde à vue [art.
63 Cpp] et le magistrat compétent pour la prolonger doit motiver
sa décision par rapport à ces critères [ibidem]. Les
motifs justifiant le placement en garde à vue sont notifiés au suspect, en même
temps que la mesure [art.
63-1 Cpp]. Manifestement, le législateur a entendu permettre au
suspect de pouvoir contester les motifs pour lesquels il a été placé, puis
maintenu en garde à vue. Et dans ces conditions, même à considérer que le
contrôle de l’opportunité de la garde à vue de la Cour européenne resterait
limité à l’existence de circonstances particulières, la législation française
outrepasse ce standard minimum et applique constamment les exigences de
nécessité et de proportionnalité.
6.
Confrontation des critères français au droit de la Convention. Les
motifs autorisant le recours de la garde dans la législation française – il
suffit d’un seul critère pour justifier du placement en garde à vue –
apparaissent conformes à la jurisprudence européenne, dès lors que ceux-ci
visent principalement la poursuite de l’enquête contre l’individu [art.
62-2 1er, 3°, 4° et 5 °]. Plus précisément, quant au
motif visant à « garantir la mise en
œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit » [art.
62-2 6°],
il rejoint directement le cas d’ouverture de la détention policière prévu par
le texte même de la Convention, à savoir l’existence de « motifs raisonnables de croire à la nécessité
de l’empêcher de commettre une infraction ». Finalement, le motif le
plus problématique tient à celui visant à « garantir la présentation de la personne devant le procureur de la
République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l'enquête »
[art.
62-2 2°].
Utilisé à lui tout seul, il est donc découplé de la réalisation d’actes
d’enquête, premier critère caractérisant la nécessité du placement en garde à
vue. Dès lors que le magistrat du parquet n’est pas une autorité judiciaire au
sens de l’article 5 § 3, l’objectif de traduire le suspect devant ce magistrat
ne caractérise pas non plus la nécessité de la garde à vue sur le critère de la
traduction devant le juge. Sauf à ce qu’à l’issue de cette traduction, le
suspect soit présenté aussitôt devant le juge d’instruction pour son
interrogatoire de première comparution, devant le juge des libertés et de la
détention aux fins du placement en détention provisoire dans l’attente de la
réunion du Tribunal correctionnel ou devant le Tribunal correctionnel
directement, la garde à vue justifiée uniquement par l’objectif de traduire le
suspect devant le magistrat du parquet ne pourrait être rattachée à aucun des
deux critères admis par la Cour européenne des droits de l’Homme et celle-ci ne
serait surement pas justifiée.
7.
Les potentialités du contrôle du bien-fondé de la garde à vue. Refuser
tout contrôle concret de la nécessité et de la proportionnalité de la garde à
vue dans le contentieux de l’annulation, c’est d’abord rejeter tout lien entre
le contenu de la garde à vue, donc les actes d’enquête réalisés durant celle‑ci,
et le bien-fondé de la garde à vue. C’est nier que la garde à vue constitue le
support nécessaire des actes d’enquête réalisés durant celle-ci. Pourtant, dans
les faits, la garde à vue est évidemment le support nécessaire des actes
d’enquête réalisés durant celle-ci, puisque la contrainte, générée par la
mesure, s’applique sur l’individu afin de l’obliger à y participer : c’est
parce qu’il est exclu que le suspect participe volontairement à l’enquête qu’il
faut le placer en garde à vue pour le forcer à participer, si bien que, sans
cette contrainte, les actes d’enquête n’auraient pas été réalisés. En droit, le
lien entre la réalisation d’actes d’enquête et la nécessité de la garde à vue a
toujours existé, l’ancien article 63 du Code de procédure pénale conditionnant
le placement en garde à vue aux « nécessités
de l'enquête ». Dès lors que le recours à la garde à vue doit, désormais,
être motivé par le fait que la mesure constitue « l’unique moyen […]» de poursuivre l’enquête [notamment], la
garde à vue, plus que jamais, doit être considérée comme le support nécessaire
des actes d’enquête. La jurisprudence européenne précitée ne fait qu’insister
sur ce lien, en liant la violation de la Convention principalement aux latences
des autorités dans la manière dont ils dirigent l’enquête durant la privation
de liberté. Dès lors, faire céder le barrage du contrôle de la nécessité et de
la proportionnalité de la garde à vue, c’est également faire céder le barrage
restreignant l’étendue des nullités procédurales, en vertu duquel la nullité de
la garde à vue ne peut se communiquer, sauf les auditions, aux actes d’enquête
réalisés durant celle-ci, notamment les perquisitions [Cass.
crim., 22 juin 2000, n° 00-82.632 : Bull.
crim., n° 242]. En tout cas, au regard des évolutions de la
jurisprudence européenne et de la législation française, le rejet du contrôle a posteriori du bien-fondé de la garde à
vue apparaissait comme une solution de moins en moins tenable, et la Chambre
criminelle a logiquement fait évoluer sa jurisprudence, tant quant au régime
dérogatoire qu’au régime de droit commun.
8.
L’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation pour la garde à vue
dérogatoire : l’annonce d’un contrôle de proportionnalité. Saisie
de la conventionalité de la prolongation dérogatoire de garde à vue prévue en
matière de criminalité organisée, la Chambre criminelle a validé la mesure au
motif qu’elle n’était « pas
excessive […], au regard tant de la
gravité et de la complexité des faits d'escroquerie en bande organisée que des
conditions dans lesquelles elle s'est déroulée » [Cass.
crim., 9 mars 2016, n° 15-83.026 : inédit]. Les
moyens contestaient abstraitement la conventionalité de la prolongation de la
garde à vue au-delà de quarante-huit heures. Pour autant, en rappelant que la
prolongation n’était pas excessive au regard « des conditions dans lesquelles elle s’est déroulée », la
Chambre criminelle semble bien s’arroger le contrôle concret [selon
les « conditions » de
l’espèce]
du bien‑fondé de la prolongation de la garde à vue, quand bien même elle ne développait
pas le contrôle qu’elle affirmait avoir fait. Les interrogations qui pourraient
naître sur la portée de cet arrêt semblent lever par l’existence de deux arrêts
antérieurs dans lesquels la Chambre criminelle a écarté la contestation du
bien-fondé de la prolongation dérogatoire de garde à vue dès lors qu’elle a
estimé que « la chambre de
l'instruction a analysé sans insuffisance les nécessités de l'instruction »
[Cass.
crim., 9 avr. 2015, n° 14-87.660 : Bull.
crim., n°76 – Cass.
crim., 19 janv. 2016, n° 15-81.039 : inédit], ce qui revenait déjà, plus implicitement, à
s’arroger le contrôle concret du bien-fondé de la prolongation dérogatoire. Au-delà
des affirmations péremptoires, la Cour de cassation n’a jamais développé les
étapes de son raisonnement et les critères de son contrôle. En tout cas, le
juge du fond est bien autorisé à pratiquer le contrôle a posteriori du bien-fondé de la prolongation, et celui-ci ne
semble pas se cantonner aux éléments qui figurent dans la motivation de
l’autorisation prise par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la
détention. Quant au contrôle de la Cour de cassation, les formules annoncent
tout simplement un contrôle de proportionnalité réalisé directement par elle,
et non un contrôle cantonné à l’étude de la motivation du juge du fond : l’absence
de développement de son raisonnement dans ces arrêts est d’autant plus
frustrante.
9.
Le cantonnement des motifs de l’article 62-2 à une question de régularité. Malgré
la réforme de 2011 et l’évolution de la jurisprudence européenne, il est vrai,
à cette époque, à ses prémisses, la Cour de cassation a d’abord persisté à
décourager toute velléité du juge du fond à opérer à un contrôle rigoureux de
l’opportunité de la garde à vue [Cass.
crim., 18 nov. 2014, n° 14-81.332 : Bull. crim., n° 241]. Le juge du fond avait sanctionné une
garde à vue réalisée à la suite d’une convocation adressée à un individu qui
avait fait l’objet de vérifications alcooliques quelques jours auparavant, et
ce, non pas pour poursuivre l’enquête, mais uniquement pour déférer l’individu
et assurer sa comparution immédiate devant le Tribunal correctionnel. La Cour
d’appel avait pris soin de motiver substantiellement son raisonnement au terme
duquel elle avait considéré que la garde à vue n’était pas nécessaire, dans ce
contexte [selon l’extrait de sa motivation figurant dans
l’arrêt, la Cour d’appel avait statué en ce sens compte tenu que « l'enquête était achevée dès le 25 mai 2013,
que la mesure de garde à vue, prise dans l'unique but d'assurer le défèrement
de l'intéressée, n'était pas justifiée, qu'une comparution immédiate aurait pu
être envisagée le 25 mai 2013 et qu'elle ne nécessitait pas un placement en
garde à vue et un défèrement immédiat, alors que la personne mise en cause
s'est présentée volontairement devant les enquêteurs »]. À
défaut de réalisation d’acte d’enquête, la Cour d’appel avait apprécié le bien‑fondé
de la garde à vue au regard de la nécessité d’user de la privation de liberté
pour assurer la présentation de l’individu au magistrat du parquet. Son
raisonnement n’était donc pas incohérent, tout en présentant une audace
certaine, pour aboutir à critiquer le choix du magistrat du parquet sur
l’orientation de la procédure. La Cour de cassation censurait la Cour d’appel
au motif qu’« une mesure de garde à
vue peut être décidée lorsqu'elle constitue l'unique moyen de permettre
l'exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la
personne ou de garantir la présentation de la personne devant le procureur de
la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à
l'enquête » et que le raisonnement de la Cour d’appel « a méconnu le sens et la portée du texte
susvisé et le principe ci-dessus rappelé ». Autrement dit, si le juge
de l’annulation doit rattacher la garde à vue à l’un des critères prévus par la
loi [en
l’espèce, la garde à vue visait bien à assurer la présentation du suspect au
magistrat du parquet], il lui était encore interdit s’interroger
au-delà, notamment pour vérifier qu’il était nécessaire de recourir à la
privation de liberté pour satisfaire l’objectif poursuivi par la mesure de la
garde à vue, ce qu’avait fait la Cour d’appel. La cassation était d’autant plus
ferme que la Cour de cassation dans son arrêt n’apprécie aucunement la valeur
ou la qualité de la motivation du juge du fond. La Cour de cassation maintenait
donc un contrôle de régularité, certes enrichi désormais d’une nouvelle
composante, à savoir qu’en plus de l’existence d’éléments de suspicion et du
respect de la durée maximale, il faut aussi que la garde à vue soit rattachable
à l’un des motifs de l’article 62-2 du Code de procédure pénale, ce que le juge
du fond doit vérifier, comme le rappelle la Cour de cassation.
10.
Le refus d’un contrôle strict de la motivation du juge du fond. La
position de la Chambre criminelle, exposée en 2014, était particulièrement
décevante, et c’est seulement récemment qu’elle a été de nouveau saisie de la
question [Cass.
crim., 28 mars 2017, n° 16-85.018 : à paraître au Bulletin], dans un arrêt forcément
très attendu. Elle a enfin défini largement l’office du juge du fond saisi du
contrôle du bien-fondé de la garde à vue : « il lui incombe de contrôler que la mesure de garde à vue remplit les
exigences de l'article 62‑2 » du Code de procédure pénale. Il est
désormais clair que le juge de l’annulation dispose du pouvoir d’appréciation
de la totalité du bien-fondé de la garde à vue, non pas seulement de
l’existence d’un critère de l’article 62-2, mais également de la vérification
que la privation de liberté était le seul moyen nécessaire pour atteindre
l’objectif de la garde à vue. Sur un plan moins important, la Chambre
criminelle a également posé le principe que le juge de l’annulation n’est pas
tenu par les motifs retenus par l’autorité de placement ou de prolongation de
la garde à vue, et peut en découvrir dans son contrôle a posteriori. Quant au contrôle de la Cour de cassation, il se
fonde en revanche sur les énonciations du juge du fond : elle n’entend
donc pas réaliser elle-même un contrôle de proportionnalité, mais un contrôle
classique de la motivation du juge du fond. L’arrêt est d’autant plus
intéressant qu’il révèle l’intensité du contrôle de la Cour de cassation. En
l’espèce, la garde à vue critiquée avait été réalisée plusieurs semaines après
une première audition libre, et elle avait été levée pour la nuit après la réalisation
d’une seule audition. La garde à vue avait repris le lendemain, pour la
réalisation de confrontations et la présentation du suspect au parquet. La
Chambre de l’instruction avait conclu à la régularité de la garde à vue, aux
motifs que [selon la synthèse figurant dans l’arrêt de la Cour de
cassation] « les
confrontations devaient être vraisemblablement organisées, de sorte que cette
mesure était justifiée par l'objectif d'empêcher d'éventuelles concertations ;
qu'une de ces confrontations a eu lieu avant que la garde à vue ne soit levée,
pour la nuit, et que le fait que les autres n'ont été organisées que le
lendemain n'est pas significatif de ce que les auditions réalisées auraient pu,
avec la même efficacité, être menées en dehors de toute coercition ; […] qu'au vu des données recueillies au cours de
l'enquête, le procureur de la République pouvait, avant même le début des
gardes à vue, considérer comme possible, voire vraisemblable, que certaines des
personnes entendues lui soient déférées, et que ce magistrat a effectivement
décidé à la fin de la mesure d'ouvrir une information et de présenter les
personnes déférées à un juge d'instruction ». Cette motivation est
particulièrement critiquable. Quand bien même le défèrement devant le magistrat
du parquet n’avait pas été réalisé au terme de la première période de garde à
vue, cela n’empêchait pas la Chambre de l’instruction de rattacher la garde à
vue au motif de « garantir la
présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce
magistrat puisse apprécier la suite à donner à l'enquête » figurant à
l’article 62-2, dès lors que dès l’exécution de la première partie de la garde
à vue, un tel défèrement était « possible ».
Autant dire qu’à suivre ce raisonnement, le bien-fondé de n’importe quel garde
à vue serait toujours assuré sur ce critère. D’autre part, la chambre
d’instruction n’explique jamais concrètement en quoi la réalisation des actes
d’enquêtes nécessitait le recours à la privation de liberté. Elle opère même
une sorte de renversement des démonstrations, en s’attachant à justifier que
les circonstances de l’espèce sont insuffisantes pour s’assurer que les actes
d’enquêtes auraient pu être réalisés aussi efficacement avec les suspects en
liberté, ce qui revient à soutenir que le placement en garde à vue est de
principe, alors que c’est évidemment tout le contraire et qu’il lui appartenait
de démontrer que seule la privation de liberté était de nature à permettre la
réalisation des actes d’enquête compte tenu des circonstances de l’espèce.
Pourtant, la Chambre criminelle confirmait cette motivation de manière
lapidaire : « attendu qu'en
l'état de ces énonciations, d'où il résulte que la mesure de garde à vue était
l'unique moyen de parvenir à l'un au moins des objectifs prévus par l'article
62-2 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction a justifié sa
décision ». C’est donc un contrôle restreint que la Cour de cassation a
réalisé, peu compatible avec la matière concernée, qui reste une ingérence à
une liberté fondamentale, à savoir la liberté individuelle.
11.
De l’art de dissimuler les résistances. La jurisprudence de la Cour de
cassation a évolué quant au contrôle du bien-fondé de la garde à vue, et la
pression européenne n’est sans doute pas étrangère au phénomène. Dans les
principes, la Cour de cassation affiche l’application de son contrôle le plus
intense, celui de proportionnalité, dans la matière de la prolongation
dérogatoire, et a abandonné la prohibition de tout contrôle a posteriori du bien-fondé de la garde à
vue dans la matière du droit commun. La jurisprudence de la Cour de cassation,
même la plus récente, reste décevante, alors que celle-ci n’a encore jamais développé
son raisonnement dans la matière de la garde à vue dérogatoire et que son
contrôle de la motivation du juge du fond est d’intensité faible dans la
matière de la garde à vue de droit commun. Il ne faudrait pas que les
évolutions de la jurisprudence française dans les principes ne constituent qu’un
affichage servant à dissimuler de réelles résistances au développement d’un
contrôle efficient du bien-fondé de la garde à vue. Les potentialités du
contrôle du bien-fondé de la garde à vue, notamment sa capacité à remettre en
cause les actes d’enquête, sont donc bridées. Cette ambiguïté dans l’état du
droit n’est pas sans rappeler le contrôle du respect des droits du suspect,
lequel est en apparence particulièrement strict, du fait de la nullité sans
grief, mais est en réalité neutralisé par la jurisprudence de la Cour sur l’étendue
des nullités, laquelle est cantonnée aux auditions. Ces solutions ménagent la
conception policière de la mesure et empêchent que le vice de garde à vue ne
soit létal pour la procédure.
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